Human Village - information autrement
 
La Rue, nouveau titre dans le paysage de la presse djiboutienne
par Mahdi A., octobre 2019 (Human Village 37).
 

Il y a quelques mois, Cassim Ahmed Dini nous annonçait la prochaine parution d’un nouvel organe de presse écrite. C’est chose faite avec la publication, hier, lundi 14 octobre, de La Rue. Le choix de ce nom n’est pas le fait du hasard. Le directeur de la publication, Cassim Ahmed Dini l’explique ainsi dans son éditorial : « La Rue, c’est d’abord un espace public, accessible à tout à chacun sans discrimination : c’est exactement ce que l’information doit être : un bien public disponible pour tous et qui contribue à une forme de sociabilité entre les membres de son électorat. […] L’ambition de notre journal, c’est d’offrir un espace de dialogue social, de débat public, dans le respect des normes de déontologie régissant normalement le journalisme : des informations et des analyses objectives suscitant la confrontation des idées et non des personnes ». Cet espace d’objectivité revendiqué serait d’autant plus nécessaire dans le paysage djiboutien que, pour l’équipe de La Rue, « la seule et unique information provient d’un régime qui a toujours refusé le pluralisme ». Allant jusqu’à comparer les médias publics à des bulldozers « qui encombrent l’espace de circulation de l’information et qui nuisent gravement à l’émergence d’une culture citoyenne de respect et de tolérance ». On imagine qu’ils apprécieront le compliment.

Pourtant, le constat posé par La Rue reste difficilement contestable, puisque, sur les 180 États classés par Reporter sans frontières (RSF), Djibouti se maintient en 2019 à la 173e place, comme en 2018 [1]. En 2013, le pays affichait un classement un peu plus honorable, 167e. La liberté d’expression serait malmenée et n’aurait cessé de se détériorer ces dernières années, puisque dégringolant en 2015 à la 170e et en 2016 à la 172e place.
Plus inquiétant, la Commission nationale de la communication (CNC), censée réparer les errements du passé et veiller notamment au respect de la loi, en matière de liberté de presse et de droit à l’information, semble malheureusement atteinte des mêmes syndromes que la Commission nationale indépendante pour la prévention et la lutte contre la corruption, l’Inspection d’État, ou bien encore la Cour des comptes et de discipline budgétaire : lassitude, démotivation, paralysie… Sinon comment expliquer le silence de cette instance de régulation des médias, face à la demande, pourtant formelle, adressée par le Dr Bouh Abdi Khaireh, de connaître les conditions légales à l’ouverture d’une radio communautaire ou privée en République de Djibouti ? Comment interpréter ce silence ? Sans doute faut-il se faire une raison : Djibouti, n’est pas près de remonter dans le classement de Reporter sans frontières ! Faudrait-il aller à l’extrême et créer une instance de contrôle du CNC, une sorte de police des polices...

La mission de La Rue serait d’autant plus urgente et citoyenne qu’elle veut lutter contre « l’abrutissement infantilisant » de la population et la diffusion d’une « dictature de la pensée unique ». Tout un programme : « il n’y a aucune offre d’information indépendante ici [2] : la différence est inexistante entre médias « publics » et médias « gouvernementaux ». En second lieu parce que notre paysage informatif de la presse écrite est un véritable cimetière de journaux partisans, essentiellement ceux de l’opposition, qui donnaient en général une information assez sérieuse, parfois sous la forme de révélation scandaleuse ».
La principale victime de cette situation serait le public, qui devrait, pourtant, avoir le droit à de véritables débats contradictoires et une information sincères.

Cassim Ahmed Dini et Yacin Ahmed Moussa [le rédacteur en chef], mettent les points sur les « i », notamment en affichant une détermination sans borne dans la mission dont ils se sentent investis : contribuer à « l’édification d’une conscience citoyenne », pour permettre à la population de participer en conscience au jeu électoral et « élire, pour de vrai, car capable d’apprécier ou de sanctionner tout élu, grâce à la pertinence de l’information qui lui sera accessible ». Et, pas impressionnables, nos rédacteurs déclarent être prêts à défendre leur ligne éditoriale vaille que vaille, quoi qu’il leur en coûte… Il faut le savoir, ce sont des téméraires qui n’hésiteront pas à s’engager dans le combat, le cas échéant, pour protéger « farouchement [leur] indépendance, car tel est le contrat qui nous lie à notre lectorat, persuadés que la liberté est dans l’autonomie, gage d’une information objective. L’utilité d’un journal libre et indépendant n’est pas à démontrer ».

Au moment, où, Human Village, s’apprête très probablement à poser sa plume – faute de ressources publicitaires/financières – nous ne pouvons que saluer l’initiative journalistique et adresser nos encouragements à l’équipe rédactionnelle de La Rue. Dans le même esprit, nous voudrions adresser un clin d’œil à Ali Barkat Siradj et Mohamed Ali Dimbio qui, dans les prochains jours, lancent aussi un nouvel organe de presse écrite à leur tour : Vision Djibouti.
Bon courage à vous et surtout bon vent !

Mahdi A.


[2Human Village est cependant un média indépendant djiboutien, mais il n’est disponible qu’en ligne.

 
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