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Djibouti, quels risques représentent les houtis ?
par Mahdi A., mars 2024 (Human Village 50).
 

Depuis la capture spectaculaire par les Houtis yéménites le 19 novembre du navire Galaxy Leader et de ses vingt-cinq membres d’équipage, leurs attaques perturbent le commerce international. Ils affirment qu’ils continueront à intercepter les navires à destination d’Israël ou appartenant à des Israéliens qui passent par le détroit de Bab el-Mandeb tant qu’Israël ne permettra au moins l’acheminement d’une aide humanitaire suffisante dans la bande de Gaza, pilonnée massivement depuis plus de cinq mois.

Photo Khaled Ziad/AFP

Le transport maritime mondial est profondément affecté : les grandes compagnies maritimes évitent dorénavant la mer Rouge. Les attaques Houties, qui n’avaient causé pour l’heure que des dommages mineurs sur les navires ciblés, ont connu une nette évolution avec l’attaque par des missiles balistiques le mercredi 6 mars dernier du vraquier True Confidence. Trois marins sont morts et le reste de l’équipage a été évacué sur Djibouti. Cette action intervient après que le cargo britannique Rubymar chargé d’engrais, exploité par une entreprise libanaise, a sombré samedi 2 mars en mer Rouge. Ces derniers évènements et l’intensification des activités Houties hier – 9 mars - laisse malheureusement présager une évolution plus dure.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a réagi en adoptant à l’unanimité la résolution 2722 qui rappelle que la liberté « de navigation doit être respectée et que les États ont, en accord avec le droit international, le droit de réagir à ces attaques. » [1].
Dans la foulée, les Américains ont mis sur pieds une coalition navale regroupant une dizaine de pays. Force est de constater que le positionnement de destroyers en mer Rouge et des frappes aériennes de positions au Yémen, n’a guère impressionné les Houtis qui n’ont pas cessé les agressions de navires en mer Rouge. Cette réaction Anglo-saxonne – puisque l’allié britannique y prend une large part - a fait monter la tension dans la région, accroît le risque d’escalade et inquiéte les pays riverains.

Quels sont les risques d’un affrontement militaire ? Djibouti a-t-elle raison de s’inquiéter ? Pourquoi les Houtis font-ils ces menacent aujourd’hui ?
Soucieuse de se tenir à distance du différend, Djibouti n’a pas souhaité – à l’instar de l’ensemble des pays limitrophes de la région - participer à la coalition militaire contre les attaques houties. Dans un récent entretien publié par Jeune Afrique [2], le chef de l’État Ismail Omar Guelleh a rappelé la ligne de son gouvernement – exprimée il a y plusieurs semaines tour à tour par le Premier ministre Abdoulkader Kamil Mohamed et le ministre des Affaires étrangères Mahmoud Ali Youssouf – et affirme que l’armée américaine n’utilise pas les infrastructures militaires de Djibouti dans le cadre de l’opération « Prosperity Guardian » : « Non. Nous nous sommes mis d’accord là-dessus. Djibouti reste en dehors de cette affaire ». Il ne cache pas cependant que ces attaques houties impactent l’économie du pays : « Il ne faudrait pas que cette situation perdure. À la fin de février, le volume des importations à destination de Djibouti et de l’Éthiopie avait baissé de 20% depuis le déclenchement de la crise, en décembre 2023, la chute du trafic local et de transit étant toutefois compensée par l’augmentation significative du transbordement. Mais nous savons que l’amplitude de l’impact négatif ne se fera réellement sentir qu’à partir de mars et avril. Nous restons donc très vigilants afin d’être en capacité d’amortir le choc ».
Lorsqu’il déplore la réinscription des Houtis sur la liste des groupes terroristes par les États-Unis, le président envoie un message de prudence. Sa crainte est sans doute que cette dénonciation soit interprétée comme un refus du dialogue ou de la négociation, et entraîne une escalade des affrontements : « Les Houtis sont un élément important sur l’échiquier yéménite, pas un groupe terroriste. Même si nous reconnaissons le gouvernement du président Alimi comme le seul légitime, nous ne pouvons ignorer l’existence d’un mouvement puissamment armé et qui contrôle la capitale, Sanaa ».
Les Houtis ont montré qu’ils peuvent lancer des missiles balistiques. Si les armes Houtis ne peuvent pas frapper le territoire américain, elles pourraient atteindre les territoires de la région où les Américains ont des intérêts. Pour rappel, Djibouti est situé à moins de trente kilomètres des côtes yéménites, au niveau du Bab el-Mandeb. Le président l’ignore pas, sa posture de neutralité à l’égard des Houtis, s’explique par des considérations sécuritaires évidentes [3].

On peut se demander si la région ne court pas le risque d’être déclarée comme zone de guerre après l’attaque contre le porte-conteneurs MSC Sky II, touché par un missile « à environ 85 milles au sud-est d’Aden et à 170 milles à l’est-sud-est du détroit de Bab al-Mandab alors qu’il naviguait de Singapour à Djibouti », selon une dépêche de Reuters. Les Houtis, après la mer Rouge, se tournent vers l’océan Indien. Après la nette baisse de la circulation par le canal de Suez, est-ce que les navires à destination de Djibouti par l’océan Indien ne vont pas eux aussi éviter la zone ? Le risque d’un asséchement sévère des flux de navires de marchandises vers notre pays n’est pas à écarter après cette attaque contre le porte-conteneurs. D’autant plus que, comme le soulignent Les Échos, « depuis plusieurs mois déjà, l’inquiétude monte dans les rangs des gens de mer à l’idée de devoir approcher le golfe d’Aden. En France notamment, des syndicats de marins ont pris langue, début février avec les représentants de l’État, les armateurs et la Marine nationale pour demander “d’arrêter de passer par Suez” et exiger le classement de la totalité de la région en zone de guerre. […] Le 16 février, la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) a conclu un accord sans précèdent avec de nombreux employeurs maritimes, complétant le contrat type des marins de tous pays, leur permettant de signifier leur refus de transiter au large du Yémen, de débarquer dans un port sûr et de prévoir leur rapatriement avec deux mois de salaire, sous réserve de prévenir une semaine à l’avance. Un accord couvrant logiquement plus de 250 000 marins embarqués sur plus de 10 000 navires » [4].

L’Union européenne s’apprête à lancer l’opération navale EUNAVFOR ASPIDES [5], distincte de celle des Anglo-saxons. Cette armada défensive et non d’attaque s’en tiendra à une posture d’élimination des missiles ou drones en cas d’attaque sur mer. Sera-t-elle suffisamment dissuasive pour rédiriger les flux de marchandises vers le canal de Suez ? L’autre possibilité est que Washington prenne acte de l’aggravation de situation et applique une nouvelle stratégie en imposant à Israël de cesser ses bombardements sur Gaza et d’autoriser l’arrivée de l’aide humanitaire.

Mahdi A.


[3Howard Altman, Houtis Threaten Reprisal Attacks On U.S. Bases In The Region, TWZ, 13 janvier 2024.

[4Denis Fainsilber, « Attaques en mer Rouge : les marins grandes victimes collatérales des Houtis », Les Échos, 8 mars 2024, p. 20.

[5Wikipédia, Opération Aspide

 
Commentaires
Djibouti, quels risques représentent les houtis ?
Le 16 mars 2024, par Souleiman Ismail Aden.

Il y a le risques economy puisque nous Muslims nous obligeons de support leur vue houtis support Gaza

 
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