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Pourquoi la vie des Palestiniens n’a-t-elle pas d’importance ?
par Mahdi A., décembre 2023 (Human Village 49).
 

Plusieurs médias ou leaders d’opinion sur les réseaux sociaux ont vu dans les propos tenus lors du colloque Héritage au palais du peuple par le ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Ali Youssouf, rapportés mercredi 20 décembre, un soutien immodéré au blocage du Bab el-Mandeb par les Houtis du Yémen. Bien que Mahmoud Ali Youssouf - élève préféré de la classe d’Ismail Omar Guelleh - n’ait pas démenti, on peut penser que ses propos ont sans doute été tronqués ou mal interprétés. Les choses ne sont pas aussi simples. Puisqu’il faut contextualiser, contextualisons.

Depuis la prise par les Houtis le 19 novembre du navire Galaxy Leader et ses 25 membres d’équipage, leurs attaques perturbent le commerce international. Ils ont promis de continuer de cibler les navires israéliens « jusqu’à ce que l’agression israélienne contre leurs frères de la bande de Gaza cesse ». Le Galaxy Leader était opéré par une compagnie maritime japonaise, mais appartient à une société britannique, elle-même propriétaire d’un homme d’affaires israélien.

Dans une séquence filmée de deux minutes, Mahmoud Ali Youssouf s’adresse à un participant qui demande si l’action des Houtis soutenait la cause palestinienne. Le ministre répond que la position de Djibouti était extrêmement délicate sur ces attaques, qui avaient un impact énorme sur le pays, et plus encore sur le commerce international. On peut supposer qu’en bon père de famille, il n’est pas enchanté par ce blocus et ne soutient pas cette action des Houtis, mais « en même temps » s’interroge sur le manque de réactions de la communauté internationale, malgré les alertes des Nations unies. C’est ainsi que le rapporteur spécial de l’ONU sur la Palestine, Francesca Albanese, se demande : « Pourquoi la vie des Palestiniens n’a pas d’importance ? ».
Face au « génocide » en cours à Gaza, le ministre ne peut qu’espérer in fine que ces actions dans le Bad el-Mandeb, point stratégique du commerce maritime mondial, permette d’éveiller les consciences de la communauté internationale sur le drame que vivent les Gazaouis. C’est ce que semblent signifier ses propos en somali (traduction Human Village) :
« En réponse à la question concernant les Houtis et leurs attaques initiales contre des navires, il convient de souligner que, dans un premier temps, les Houtis ont agi de la sorte pour attirer l’attention sur la cause palestinienne. En tant qu’État musulman et arabe, Djibouti a cherché à soutenir la Palestine en lançant des appels à l’aide, en continuant d’alerter l’opinion mondiale sur les conséquences de ce conflit. Lorsque nos frères yéménites sont intervenus en soutien, il était naturel pour nous de ne pas aller à l’encontre de cette solidarité.
Lors de la première attaque de navire par les Houtis, Djibouti n’a émis aucune critique ni médisance, car nous avons perçu cette action comme juste. Cependant, il est indéniable que la fermeture du détroit de Bab el-Mandeb aurait des conséquences mondiales, impactant lourdement l’économie djiboutienne qui dépend fortement du commerce maritime. Par conséquent, cette situation ne peut perdurer dans le temps, et il est impératif que ces attaques prennent fin.
Bien que les États-Unis soient en train de former une coalition internationale Prosperity Guardian, nous n’avons pas encore décidé d’y participer. Cependant, nous sommes pleinement conscients que le détroit de Bab el-Mandeb est une voie essentielle pour l’approvisionnement en denrées alimentaires et les ressources financières de Djibouti sont principalement issues du trafic maritime. La fermeture du détroit entraînerait l’effondrement de notre économie nationale. Ainsi, nous estimons que cette perturbation du commerce doit cesser rapidement.
Toutefois, nos sentiments restent partagés : si la Palestine n’a trouvé aucun autre moyen d’obtenir de l’aide que l’intervention des Houtis, que cela soit sous la protection d’Allah [que cette situation puisse se résoudre dans le cadre d’une stabilité régionale]. »

Mahmoud Ali Youssouf aurait-il été victime des médias, de ses opposants politiques, lesquels auraient malicieusement sorti son propos de son contexte pour en faire une arme de combat contre le pays et sa réputation, considérant que le ministre aurait délivré un certificat de respectabilité aux Houtis. Un peu fort de café en effet. Magnanime, Human Village met un terme définitif à la polémique qui a suivi la dernière phrase du ministre.
Propos mal interprétés se défendrait très probablement Mahmoud Ali Youssouf si on lui posait la question. Il est toutefois important de garder en tête que Mahmoud ne prenait pas initialement la parole à Héritage pour réagir sur la question du Bab el-Mandeb. On aurait tort de réduire les propos du ministre à un parti pris en faveur des Houtis dans la guerre qui les oppose indirectement à Israël. Ce qui est clair, par contre, et sans doute à l’origine de l’amalgame avec les agissements des Houtis, est la position constante de Djibouti concernant la cause palestinienne, ou encore ses dénonciations répétées de la colonisation par l’État hébreu des territoires occupées.

Une relecture des propos d’Ismail Omar Guelleh interrogé dans les colonnes d’Arab News en septembre 2020 est éclairante sur la normalisation des relations de quelques pays arabes avec l’État d’Israël : « C’est effectivement un phénomène qu’on observe ces derniers temps[…] Notre pays n’est pas guetté par une telle envie. Nous appartenons à la Ligue arabe et sommes totalement en phase avec les principes de cette organisation qui assignent la normalisation des relations de ses pays membres avec l’État d’Israël à la condition préalable que le conflit de ce dernier avec la Palestine débouche sur la création de deux États distincts. » [1]
Cette porte fermée à l’établissement de lien avec Israël est en réaction à l’attitude d’Israël à l’égard du peuple palestinien. Une relation cordiale entre notre pays et Israël est conditionnée au droit à la Palestine d’ériger son État conformément aux résolutions adoptées par les Nations unies. Djibouti demande à Israël de se conformer au droit international. Cette ouverture au dialogue avec Israël est exprimée par le chef de l’État dans Jeune Afrique en décembre 2020 [2] qui lui demande si Djibouti, à l’instar de plusieurs pays arabo-musulmans – les Émirats arabes unis, Maroc, Bahreïn et le Soudan – qui ont annoncé la normalisation de leurs relations avec Israël, pourrait suivre leur exemple ? La réponse d’Ismail Omar Guelleh ne souffre pas d’ambiguïté : « Non, car les conditions ne sont pas réunies. Nous n’avons aucun problème avec les Juifs en tant que peuple, ni avec les Israéliens en tant que nationalité. Certains viennent à Djibouti avec leur passeport pour y faire des affaires, et les citoyens djiboutiens ont, depuis vingt-cinq ans, l’autorisation de se rendre en Israël. Nous avons cependant un problème avec le gouvernement israélien, qui dénie aux Palestiniens leurs droits inaliénables. Il suffirait que ce gouvernement fasse un geste, celui de la paix, pour qu’en retour nous en fassions dix. Mais je crains qu’il ne le fasse jamais. »

Mahdi A.


[2Jeune Afrique, numéro 3095, décembre 2020.

 
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