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Accidents de la route : la duplicité des assureurs GXA et Amerga !
par Mohamed Ahmed Saleh, janvier 2019 (Human Village 35).
 

En 2018, on recense à Djibouti 3027 accidents de la route ayant causé des dommages corporels. Omar [1] fait partie des victimes ; il a subi de graves séquelles physiques lorsque son taxi a été violemment percuté par un chauffard. Il a été alité des mois durant et son unique source de revenu, son taxi, a presque rendu l’âme. Et le comble est que le chauffard, peu enclin à l’empathie, ne l’a soutenu à aucun moment en se prévalant d’être assuré.
Des assureurs qui remboursent uniquement les dommages matériels après d’interminables procédures judiciaires. Quid des frais de soins ? Quid du manque à gagner durant les périodes d’indisponibilité et d’interruption temporaire de travail ? Quid des dédommagements pour les séquelles physiques et corporelles des victimes ?
Frileux, voire cyniques, les deux uniques assureurs de la place djiboutienne exigent des expertises médicales pour évaluer tout cela et demandent des factures détaillées. Une manœuvre vicieuse qui décourage plus d’un, à cause de l’absence de structures dédiées à ces tâches difficiles à réaliser. L’autre interrogation en débat, c’est comment justifier de bénéfices aussi exorbitants de ce secteur d’activité si ce n’est faire l’hypothèse qu’ils sont réalisés au dépens de la population ? L’État exerce t-il un contrôle suffisant pour lui permettre de réagir en cas d’abus ?
C’est cette grande duplicité des assureurs qui a scandalisé Kadar Mouhoumed Hassan, expert consultant spécialisé dans la gestion hospitalière et des systèmes de santé. Il a étudié la question en profondeur et propose aujourd’hui des solutions simples et pratiques qui devraient satisfaire les victimes d’accidents de la route et les assureurs. Entretien…

Human Village : Avant d’aller dans le vif du sujet, nous aimerions vous présenter à nos lecteurs

Kadar Mouhoumed Hassan : Absolument. Je suis actuellement conseiller technique auprès du ministre de l’Économie et des finances, chargé des affaires sociales, de la santé et la pauvreté. J’ai déjà exercé au ministère de la Santé en qualité d’agent comptable de l’hôpital Peltier, je fus d’ailleurs le premier agent comptable de l’établissement hospitalier entre 2002 et 2005. Puis, entre 2006 et 2015, j’ai été auditeur des hôpitaux, enseignant vacataire à l’Institut supérieur des sciences de la santé (ISSS) et membre du comité technique du plan stratégique pour l’enfance à Djibouti (PASNED). Mon parcours professionnel est à l’image de mes études supérieures situées entre la gestion commerciale et hospitalière car je suis titulaire d’un brevet de technicien supérieur en gestion commerciale, obtenu en 1993 à la faculté de des sciences économiques et de gestion de Sfax (Tunisie) et d’une maitrise en gestion hospitalière et système de santé décrochée à l’école supérieure de commerce de Tunis en juin 1996.

Votre parcours professionnel vous a donné à constater une certaine duplicité chez les assureurs qui refusent d’offrir une couverture médicale aux accidentés de la route…
Tout à fait. Durant ma longue carrière dans le milieu médico-hospitalier, j’ai été amené à faire l’amer constat qu’aucune couverture médicale n’était offerte aux accidentés de la route. Lorsqu’un accident se produit sur la route, ce qui arrive malheureusement chaque jour que Dieu fait, l’assurance règle - après un parcours du combattant - les frais de réparation des véhicules endommagés. Ce principe ne s’applique pas aux accidents corporels puisque les assureurs dégagent leur responsabilité des prestations de soins prodigués aux victimes. C’est ce qui est inadmissible. Le cas du propriétaire de taxi évoqué dans l’article est assez symbolique des nombreuses victimes qui se retrouvent dans ces situations ubuesques. Ces pauvres gens sont privés de leur santé et de leurs moyens de subsistance. Le prétexte invoqué par les assureurs étant l’absence de structure ou d’un service qui prend en charge ce genre de prestation, à savoir l’évaluation et la facturation des soins prodigués et du manque à gagner. La loi n’étant pas spécialement claire sur ce sujet, les assureurs se dérobent derrière ce flou juridique pour échapper à cette responsabilité. C’est donc quelque chose d’assez révoltant.

Quelle solution préconisez-vous alors ?
Vous savez, lorsque l’accidenté est transporté par l’ambulance, il reçoit des soins à ses frais et au concours des proches. Ce qui constitue une charge financière assez conséquente. Et que dire lorsque la victime est la seule source de revenu pour le foyer ? C’est une catastrophe car l’assureur ne s’en mêle pas et rien ne l’y contraint. La Loi dispose seulement qu’il rembourse les dommages matériels subis par le véhicule. Et lorsque les victimes réclament dommages et intérêts, ils doivent passer par des procédures judiciaires qui durent des années et les tribunaux ne peuvent pas toujours statuer en leur faveur en l’absence d’une évaluation ou d’une expertise qui détermine le montant du préjudice subi et du dédommagement idoine. Que faire dès lors ? J’ai planché sur le sujet et je pense avoir trouvé une solution médiane qui donne entière satisfaction à l’assureur et aux victimes en même temps. Il s’agit d’une structure ou d’un service qui serait chargé de la question exclusivement. J’aimerais insister sur le volet médical, et je préconise que la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) porte la solution puisqu’elle est l’intermédiaire entre les établissements hospitaliers prestataires de soins et les tiers payants (assureurs). Ce service serait logé au sein de la CNSS qui garderait son rôle habituel comme étant l’interface entre les établissements hospitaliers prestataires de soins et les organismes de financements (assurances). Ainsi, la CNSS pourrait intervenir dans l’offre de soins des accidentés, puisqu’elle est dotée des infrastructures nécessaires pour assurer des soins efficaces grâce à ses moyens modernes dans les services d’urgence, d’imagerie médicale et de laboratoire ultramoderne. Les Assureurs pourraient mandater la CNSS pour suivre le circuit médical du blessé au sein des établissements hospitaliers. Pour cela la CNSS aurait des antennes au sein de chaque grand établissement hospitalier et facturerait en termes de coûts les prestations de soins prodigués aux blessés et les transmettrait à l’assureur concerné.

Avez-vous approché la CNSS et les assureurs pour leur proposer cette offre ?
Chaque jour que Dieu fait, on déplore des accidents de la circulation, les uns font la Une des journaux tandis que d’autres alimentent la rubrique des faits divers. C’est d’une telle banalité, mais ce qui est inacceptable est la fatalité qui entoure la situation des victimes de ces accidents de la route qui sont les laissés pour compte d’un système d’assurance défaillant qui fait la part du lion aux assureurs aux mépris des droits fondamentaux des accidentés. Les pratiques à la limite frauduleuse des assureurs doivent cesser. Et pour cela, je me suis engagé dans un plaidoyer auprès de la population mais aussi et surtout, des autorités compétentes pour légiférer si nécessaire. Il faut absolument se mobiliser pour que ces situations inhumaines vécues par de nombreuses familles trouvent enfin une solution digne. Celle que je propose me semble être la mieux à même de satisfaire toutes les parties. Mais, s’il le faut, nous mènerons le plaidoyer auprès des autorités publiques afin que les usagers ne soient plus jamais laissés seuls - sans recours possible - entre les griffes des Assureurs - un duopole dans la réalité (Amerga et GXA) - et qu’un compromis raisonnable soit trouvé. Je plaide donc pour des discussions préalables entre les établissements hospitaliers, la CNSS et les assureurs. Cela pourrait déboucher sur une convention tripartite en attendant la promulgation d’un décret ou d’une loi, qui devrait satisfaire l’ensemble des parties.

Propos recueillis par Mohamed Ahmed Saleh, photos Hani Khiyari

Additif : Suite au vif intérêt suscité par ce sujet de la part de nos lecteurs, notre rédaction veut revenir sur le thème des assurances à Djibouti pour analyser dans un article documenté les pratiques constatées par les usagers. Pour ce faire vos témoignages nous intéressent : ils alimenteront notre enquête ! Prenez quelques minutes pour nous transmettre votre expérience sur le sujet, elle nous permettra de mieux appréhender la réalité du monde des assurances et notamment de possibles procédés malhonnêtes relatifs à la branche automobile. Merci de nous contacter à cette adresse mail : contact@human-village.org.


[1Le nom a été changé.

 
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