Human Village - information autrement
 
En aparté avec… Ilyas Moussa Dawaleh
par Mahdi A., juin 2016 (Human village 27).
 

Ilyas Moussa Dawaleh bouscule son camp, et agace les caciques du microcosme politique djiboutien. Il veut insuffler un vent nouveau, une nouvelle dynamique au pays. Il veut rendre l’administration plus performante, plus efficace, plus vertueuse, plus à l’écoute des concitoyens et des entreprises. Mais le chemin est parsemé d’embûches ; cela ne semble pas décourager l’énergique ministre. Il s’appuie sur la confiance du chef de l’État pour mener les réformes qui lui ont été confiées. De là à voir en lui « le Macron » djiboutien il n’y a qu’un pas à faire… Jusqu’où ira l’atout maître du gouvernement ? Pour sa part il se dit simplement honoré de servir le pays et loyal au chef de l’État !

Le ministre nous a reçu à sa résidence privée située dans le quartier très cossu d’Haramous. Il nous a ouvert la porte de son domicile avec la plus grande des courtoisies. Sa demeure est pleine de charme et de douceur. Un intérieur chaleureux, très cosy, on voit que les couleurs et les objets ont été choisis avec beaucoup de minutie. L’heure est tardive, le rendez-vous a été fixé à 22h, faute d’avoir pu être inséré dans l’agenda très chargé d’un des piliers du gouvernement. Aussi, il a été convenu de profiter du ramadan pour réaliser l’échange ; les Djiboutiens veillent beaucoup plus tard en cette période de grande piété.
Ilyas Moussa Dawaleh a répondu à nos questions de manière assez franche, il ne s’est dérobé à aucune d’entre elles. Il n’a pas eu peur d’appeler un chat un chat... Il nous a semblé droit dans ses bottes, très à l’aise durant l’entretien. Rencontre avec un réformateur !

Monsieur le Ministre, on a souvent l’impression de devoir faire le parcours du combattant pour obtenir une simple information lorsque l’on souhaite acquérir un terrain à Djibouti-ville pour y construire sa maison. Comment expliquez-vous cette situation ? Pourquoi est-il difficile voire impossible d’obtenir des renseignements et des indications précises sur les terrains disponibles au service des domaines et de la propriété foncière ?
Effectivement, ce type de remarque est assez courant. Pour moi, l’explication est simple : depuis plusieurs années, une pénurie de terrains « lotis » ou de parcelles viabilisées pour construire des habitations s’est faite ressentir dans notre pays. Cette rareté a provoqué un sentiment de manque et une frustration chez certains compatriotes qui ne pouvaient accéder aux services des domaines et de la propriété foncière. Le gouvernement, à travers son ministère de l’habitat et en particulier le ministère délégué au logement, a rapidement pris un train de mesures fortes pour remédier à cette situation. Ainsi, des terrains ont été viabilisés puis proposés à la vente publique et les acquéreurs se bousculent d’ailleurs auprès des services compétents. Parallèlement, le gouvernement a choisi de viabiliser des terrains situés en périphérie de la capitale afin de désengorger les centres urbains et lutter contre la saturation de la capitale. Nous avons constaté également un phénomène nouveau : la spéculation foncière. Ainsi, il arrive que des spéculateurs aux moyens importants achètent plusieurs terrains et les proposent à la revente à des prix exorbitants. Ce faisant, ils empêchent des moins fortunés d’accéder à la propriété foncière. Le service des domaines en collaboration avec le département de l’habitat a donc entrepris des mesures de régulation destinées à contrecarrer ce phénomène avec la mise en place de fichiers où sont référencés les propriétaires fonciers. Cela permettra de limiter les abus et les spéculations. Par ailleurs, dans le cadre de la politique dite « zéro bidonville » et la stratégie nationale d’un logement pour tous, le gouvernement a dégagé d’importantes réserves foncières. Celles-ci se situent à Balbala Sud, une partie de la localité de Nagad, Haramous 2. Nous allons poursuivre dans ce sens, mais nous allons aussi accélérer la construction de logements sociaux. Et c’est là que réside la nouveauté. Pour les logements de moyen standing, l’État compte se désengager entièrement. Vous savez que les institutions publiques construisaient ces logements pour les proposer ensuite à la revente.

Dorénavant, nous allons encourager les promoteurs immobiliers en mettant à leur disposition des terrains déjà viabilisés par les services compétents du ministère délégué au logement. Nous pourrons ainsi consacrer nos ressources principalement aux logements sociaux, un peu dans le genre de ce que nous réalisons avec les cinq cent quarante premiers logements construits pour de jeunes fonctionnaires, de jeunes couples qui n’arrivent pas à accéder au logement. L’autre innovation c’est que nous allons instaurer le système du tirage au sort pour sélectionner les bénéficiaires de ces logements. C’est la seule solution pour rendre les processus d’octroi des terrains transparents et équitables. Cela permettra de lutter efficacement contre la spéculation et la mainmise sur la propriété foncière par les plus nantis. L’initiative gouvernementale tend donc vers l’instauration d’une certaine justice et d’une équité dans l’accès à la propriété foncière. Ainsi, tous les concitoyens auront la possibilité d’accéder à la propriété foncière à travers le système de tirage au sort, ou les ventes aux enchères, ce qui restaurera la confiance entre la population et l’administration foncière. Le chef de l’État et son gouvernement sont particulièrement sensibles à cette question d’accès au logement et à la propriété foncière. Quant au foncier à caractère commercial, industriel ou pour le développement, je pense que le processus est désormais bien engagé puisque le dernier schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la ville de Djibouti est très clair. Des zones sont réservées pour développer certains types d’activités pour assurer une certaine harmonie dans le développement urbain et faire de Djibouti-ville, la vitrine d’un pays en mouvement vers l’émergence, déterminé à jouer pleinement son rôle continental voire international sur le plan du commerce, de la logistique et des finances.

Nous avons rencontré de nombreux entrepreneurs et commerçants qui nous ont tous fait part de leurs soucis et difficultés. Leurs griefs concernent principalement le système bureaucratique assez paralysant et le système fiscal qui pratique des taux de dédouanement trop élevés. Ainsi, les prix des marchandises importées deviennent parfois hors de portée pour les consommateurs. Qu’en est-il réellement de ces problèmes ? Et enfin, pensez-vous que le système fiscal et notamment les niveaux élevés d’imposition puissent avoir un effet sur le taux de chômage ?
Je partage entièrement ces préoccupations de nos entrepreneurs et commerçants. Vous vous rappelez combien il était difficile de créer une entreprise à Djibouti, cela relevait d’un parcours du combattant qui en décourageait plus d’un et avait valu au pays une mauvaise notation dans les classements de Doing Business, même si leurs critères sont souvent énigmatiques et ne reflètent pas souvent la réalité. Ceci dit, nous avons engagé des efforts conséquents et toute une politique d’amélioration de l’environnement des affaires. J’ai personnellement conduit différentes actions ces dernières années dans ce sens. Je viens du privé je connais parfaitement le sujet et les défis à surmonter. Les étapes pour la création d’entreprise ont été considérablement réduites. Ce processus d’amélioration va se renforcer, nous sommes convaincus que le développement du secteur privé, principal créateur de richesses et d’emplois, est essentiel au développement de notre pays. Il est évident qu’une bureaucratie lourde est un handicap non seulement pour l’environnement des affaires mais aussi pour l’administration générale qui est souvent mal perçue par les citoyens. Une réforme de grande ampleur a été initiée, conformément aux priorités fixées dans la feuille de route de l’action gouvernementale du président pour le mandat achevé. Le Secrétariat exécutif chargé de la réforme de l’administration (SECRA) a engagé cette réflexion et nous devons reconnaitre que les résultats escomptés n’ont pas été atteints pour diverses raisons, notamment un manque de moyens et un manque de coordination entre nos différentes institutions, que je considère comme corrigées aujourd’hui. Vous l’aurez constaté, le président de la République, dès sa réélection au mois d’avril dernier et avant son investiture même, a eu une importante rencontre avec les plus hauts fonctionnaires de l’État, les directeurs généraux et directeurs de l’administration publique, tous secteurs confondus. Le message présidentiel fut que nous ne pouvions plus attendre et tergiverser et qu’il fallait mener les réformes tant attendues de l’administration. Je pense que des mesures sont prises, les administrés devraient rapidement constater de nettes améliorations. Chaque département devra établir une déclaration de services aux citoyens, c’est-à-dire un engagement sur des objectifs qualitatifs et quantitatifs précis qui seront appréciés et suivis par un comité national chargé d’évaluer la satisfaction des usagers et des citoyens en général, encore faut-il bien communiquer pour sensibiliser nos compatriotes aux nouveaux enjeux. Désormais, les concitoyens seront considérés comme des clients qu’il faut satisfaire. Il faut bien comprendre que ce n’est pas un privilège qui leur est accordé, mais le premier de leur droit qui doit être respecté et appliqué. Les citoyens ont droit à une administration qui réponde à leurs soucis et leurs attentes. L’autre constat a porté sur la mauvaise qualité des services de certaines de nos administrations qui non seulement ne donnent pas satisfaction aux usagers, ce qui se répercute sur la majorité par un coût politique tout en décourageant toutes les initiatives. Cette problématique est donc désormais prise à bras le corps par le gouvernement. Nous mettrons les bouchées doubles pour que des solutions rapides et efficaces soient apportées. Le SECRA avait d’ailleurs mis en place les soubassements de cette nouvelle politique et tracé les voies à suivre pour remédier à ce problème. Malheureusement, pour les raisons que j’ai évoquées, les résultats escomptés n’ont pas été atteints.
Pour les questions fiscales et le taux de dédouanement, je vous rappelle que des assises nationales sur la fiscalité ont été organisées tout récemment. Lors de cette grande première, toutes les questions et les interrogations sur le système fiscal ont été soulevées par le ministère du budget avec les opérateurs privés et l’ensemble des acteurs et entités économiques. Les débats et les réflexions ont vraiment été fructueux à plus d’un titre. À l’issue de ces assises, les recommandations et les actes du séminaire ont été compilés dans un document qui devrait aider à élaborer des réformes pertinentes et utiles pour améliorer notre système fiscal. Actuellement, une équipe d’experts internationaux travaillent à l’élaboration des réformes souhaitées. La principale recommandation fut que notre fiscalité soit au service du développement. Je ne pense pas qu’il arrive que des marchandises importées deviennent hors de prix à cause des surtaxes et des frais de dédouanement trop élevés. La pression fiscale à Djibouti reste très raisonnable par rapport aux pays de la région ou plus généralement en Afrique. Il me semble nécessaire d’améliorer les performances de notre administration fiscale et cela fait partie des réformes que j’ai évoquées. Dans cet esprit, chaque administration, et à plus forte raison, l’administration douanière et fiscale qui reste au service du développement, doit s’engager sur des contrats et des objectifs de performance. Cela inclus naturellement la rapidité des actions de dédouanement et d’affranchissement des marchandises importées. Il faut reconnaitre tout de même le travail de qualité qui est fait au service des douanes. L’administration fiscale dispose de tous les outils pour aller de l’avant et atteindre les plus hauts standards de performances, cela aussi participe de l’amélioration de l’environnement des affaires.
Pour revenir à votre question sur une éventuelle corrélation entre chômage et taux d’imposition, je pense qu’il n’y a aucun lien de causalité. Il nous faudrait plutôt travailler au développement du secteur privé, à l’encouragement et la promotion des initiatives privées et des investissements directs étrangers, et permettre qu’il y ait des opportunités d’emplois afin de corriger la tendance de la courbe du chômage dans notre pays.
Les impôts et taxes sont nécessaires pour collecter des recettes intérieures qui permettent de financer les projets prioritaires de développement de notre pays, accompagner la formation professionnelle par exemple. La simplification de l’impôt permettra aux opérateurs de s’acquitter convenablement de leurs devoirs fiscaux et participer ainsi à la lutte contre le chômage et au développement du pays.

Les phénomènes de corruption exacerbent fortement les difficultés ressenties par les opérateurs économiques. Quelles sont les mesures mises en œuvre pour endiguer ce fléau ?
Oui il est vrai que si la corruption n’est pas endiguée, n’est pas combattue efficacement, elle risque de nous coûter beaucoup. Ses conséquences peuvent être catastrophiques pour l’avenir de notre pays. Il est urgent de combiner nos efforts et travailler ensemble pour éradiquer ce fléau. Vous vous souvenez sans doute de la détermination du président de la République lors de son intervention à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de lutte contre la corruption qui avait coïncidé avec la mise en place de la Commission nationale indépendante de prévention et de lutte contre la corruption (CNIPLCC). Je suis favorable à une approche où chacun assume pleinement ses responsabilités et répond de ses actes afin que la transparence et la responsabilisation soient totales. Les institutions sont en place et la volonté est ferme, donc je crois que tous les ingrédients sont réunis pour pouvoir mener une croisade contre la corruption. C’est un enjeu majeur pour le nouveau mandat du président. La réforme des institutions publiques tend vers cela, y compris en mettant en place un système basé sur l’informatique et les nouvelles technologies afin de rendre le processus impersonnel dans l’attribution des marchés publics au sein des établissements publics et de l’administration générale. Mais je crois qu’il faut éduquer la population, les responsables et la société civile pour prévenir en amont tout abus. Chaque citoyen ou opérateur privé qui se sent lésé par un agent ou responsable publique indélicat quelque soit son rang, doit pouvoir dénoncer cette situation grâce à un système de formulaire anonyme de dépôt de plainte. Je reste convaincu qu’à l’instar de ce qui a très bien réussi au Rwanda, pour lutter contre la corruption il faut instaurer la reddition systématique des comptes publics, de toutes les administrations et établissements publics ; en d’autre terme, le public doit accéder à un certain nombre d’information à l’aide des nouvelles technologiques. C’est un processus qui est engagé sous la houlette du président de la République. Le constat est là et certaines pratiques devront prendre fin de manière définitive.

On constate que les dépenses de l’État pleuvent : elles croissent même plus vite que les recettes. Comment faire pour parvenir à les maîtriser ? Par ailleurs on le constate à travers le retard dans le paiement des salaires des employés de l’administration gouvernementale, comment l’expliquez-vous ?
Je préfère par courtoisie laisser mon collègue du budget apporter lui même les réponses à cette question relative aux dépenses. Toutefois je peux indiquer que concernant les retards dans le paiement des salaires des employés de l’État, il ne s’agit pas de problème de déficits, c’est plutôt un problème ponctuel de disponibilité, de trésorerie, et en général, les retards ne dépassent pas deux ou trois jours. Donc il n y a pas matière à spéculer ou s’alarmer outre mesure, le ministère du budget maîtrise bien le sujet et préserve l’équilibre de la balance des paiements.

Une loi inspirée du système bancaire anglo-saxon, a été votée par le Parlement afin de rendre la libération des hypothèques plus aisées. L’objectif étant de permettre que les banques soutiennent davantage ce secteur, et qu’ils pratiquent un meilleur taux sur les prêts concédés aux particuliers. Vont-elles réellement jouer le jeu et ont-elles pris des engagements chiffrés, notamment sur les nouveaux taux des prêts immobiliers ?
Ce n’est pas une loi proprement dite qui est inspirée du système anglo-saxon, c’est plutôt un amendement qui a été apporté à un article de la loi régissant les hypothèques. J’ai déjà évoqué l’amélioration du climat des affaires, ce texte est essentiel pour la promotion des investissements et la création de richesses. Les banques de la place se plaignent de la lenteur de l’exécution des décisions de justice et de la difficulté à recouvrer les sommes prêtées à des emprunteurs insolvables ou indélicats. C’est donc une mesure de plus destinée à améliorer le climat des affaires. Par cet amendement, les banques pourront exécuter plus rapidement les décisions de justice et recouvrir ainsi les impayés, mais certains garde-fous sont prévus afin de parer à tout dérapage. Les banques pourront mettre en vente les biens mobiliers et immobiliers saisis sur hypothèque à travers une procédure très bien définie. Effectivement en contrepartie les banques se sont engagées à faciliter l’accès aux prêts mais également à réduire les taux d’intérêts pratiqués. Nous aurons le temps de faire un bilan sur cette mesure. La question du rôle des banques de la place sur l’économie et son développement se pose avec acuité et il va falloir s’y atteler de manière générale. Il ne s’agit pas seulement de la saisie des biens hypothéqués ou de l’exécution des décisions de justice, la véritable question de fond c’est la sécurité juridique en matière d’exécution des contrats. Les réformes vont donc se poursuivre dans ce sens pour instaurer une meilleure harmonie entre le climat des affaires et les besoins de financements des citoyens auprès des banques de la place.

Les grands projets sont nombreux mais ils ne sont pas créateurs d’emplois. Le chômage touche de plus en plus la population aussi comment faire pour que notre développement économique puisse se conjuguer au pluriel et profiter au plus grand nombre ?
Non je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Les grands projets ont créé des emplois. Mais pour la plupart ces emplois sont temporaires, ils n’ont pas pu s’inscrire dans la durée et ont pris fin avec l’achèvement des grands travaux d’infrastructures. Ceci dit, il faut reconnaître que le chômage reste important au regard de notre démographie. Cependant, il faut être patient. Les grands projets vont porter leurs fruits sur le long terme. L’exemple le plus frappant est le DCT de Doraleh qui a crée près de 200 emplois directs à son inauguration, mais aujourd’hui les effectifs ont triplé, 600 emplois directs et 1500 indirects ont été crées en moins de trois ans. Il faut souligner également que ces grandes d’infrastructures vont elles-mêmes drainer d’autres projets et d’autres opportunités d’emplois. C’est donc un effet structurant et non conjoncturel. Prenez l’exemple du train, au fil des ans il va forcément participer à décupler l’activité portuaire de Djibouti et à améliorer la compétitivité de notre corridor. Ces grands travaux sont donc des vecteurs positifs qui vont transformer notre pays dans la longue durée. Cela va accroitre l’activité économique et la création de richesses et d’emplois. Pour lutter efficacement contre le chômage, il est établi qu’il faut déclencher un processus d’industrialisation, c’est exactement ce que nous sommes en train de réaliser en accélérant le développement du parc industriel dans la nouvelle Djibouti Free Trade Zone. A travers le projet ambitieux de parc industriel, avec une première phase de 4 km2, qui sera construit en moins d’un an et qui permettra la création de plusieurs milliers d’emplois grâce aux investissements directs étrangers qui affluent massivement. Plusieurs milliards de dollars seront engagés dans ces projets avec l’appui de notre partenaire China Merchants Holding, ils permettront la création de plusieurs milliers d’emplois. Contrairement à la grande majorité des pays d’Afrique en voie de développement, notre pays n’a pas une population rurale retenue par l’agriculture et le secteur primaire ce qui accroît la pression sur la capitale et sa périphérie. Les activités liées au secteur portuaire et aux services tirent l’essentiel de la croissance, les investisseurs étrangers sont très présents sur ces segments. Par contre nous manquons cruellement de ressources pour développer les activités primaires et secondaires. Nous souhaitons accélérer la diversification de l’économie nationale afin de ne plus compter seulement sur le port et les services car ils sont consommateurs de ressource financières très importantes et ne créent pas suffisamment d’emplois. Les réformes structurelles que nous menons visent à développer l’industrie légère et nous devons maximiser nos atouts, nos potentialités et notamment notre localisation géostratégique, mais également d’autres secteurs aux potentiels reconnus mais encore en friche comme par exemple le tourisme. Comment les financer, est la seule question qu’il faut régler. Le taux de chômage a considérablement diminué et tourne désormais autour de 38 à 42 %.

Le Fonds de développement est une institution très décriée. Les conditions ainsi que les modalités d’attributions des prêts ne sont pas claires. Aussi, alors que vous souhaitez en faire le socle du développement de l’entreprenariat privé, ne pensez-vous pas qu’il faudrait revoir en profondeur le fonctionnement de cette institution ?

Il est clair que l’on peut améliorer les performances du fonds de développement (FDED). Les critiques sont nombreuses, mais tant que nous n’avons pas d’éléments concrets et de preuves, il est impossible d’agir. Fondamentalement, le FDED est une institution qui mérite une refonte totale car son fonctionnement actuel ne permet pas d’atteindre les objectifs fixés. C’est un instrument capital pour lutter contre la pauvreté et soutenir la création d’entreprises. Aussi il me semble important que ses missions soient plus claires, mieux définies, notamment sur les projets qu’il doit financer jusqu’à une hauteur maximale de 25 millions de nos francs afin de limiter les risques. C’est un appui aux petits projets destinés à soutenir l’auto-emploi et les petites activités qui se greffent sur les grands projets. Quelques jeunes audacieux ont réussi et les success stories sont nombreuses. Il y a aussi des échecs mais cela fait partie de la vie d’une institution comme le FDED. J’ai engagé l’année dernière un audit organisationnel et stratégique mené par un cabinet international qui a produit des conclusions qui seront déclinées en stratégies pour renforcer l’activité du FDED qui a de belles choses à réaliser dans les années à venir. Le fonds est aujourd’hui rattaché auprès du ministère de la présidence en charge des investissements. Mais les réformes doivent se poursuivre pour le rendre plus efficace et accroitre son impact sur la vie des petites entreprises.

Lorsque vos services ont procédé à la vente partielle du PAID, (qui possède 66,66% de Doraleh Container Terminal SA, et 23,1 % de Djibouti Free Zone) à une compagnie chinoise pour 185 millions de dollars, a-t-il été diligenté en amont une expertise afin de connaître la valeur totale de ce bien ? Selon vous cette opération a t-elle été une bonne affaire pour notre pays ?
Concernant la privatisation partielle du PAID avec China Merchants Holding, il faut rappeler que l’État avait chargé le président de l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti, Aboubaker Omar Hadi, de mener les négociations avec les partenaires chinois. L’APZFD avait bénéficié de l’expertise d’un cabinet d’avocat international canadien lors des négociations en vue de cette participation au capital du PAID. A mon avis, ce partenariat est un succès à plus d’un titre, puisque c’est le plus grand opérateur chinois en termes d’activités portuaires, mais aussi propriétaire de plusieurs zones économiques spéciales en Chine, qui est entré dans le capital du PAID. C’est un partenaire de choix puisqu’il est un des principales acteurs de la politique « un pays deux systèmes en Chine », avec la création d’une zone économique spéciale à Cheng zen. Donc, c’est un groupe qui a accumulé beaucoup d’expertise et qui dispose de la capacité financière la plus importante des opérateurs chinois puisqu’il s’agit d’un conglomérat qui compte dans ses rangs les cinquante plus grandes entreprises d’État de Chine. La cession des 23,5% d’actions du capital du PAID, représente un deal intéressant pour Djibouti. Mais ce qui était recherché n’était pas le gain financier de cette privatisation partielle, dont les recettes ont contribué aux grands projets d’infrastructures. Le plus important pour nous était le profil de ce grand partenaire chinois, particulièrement dans le cadre de la stratégie de redéploiement de beaucoup d’industries chinoises dans le monde et en particulier en Afrique. Ce partenaire de choix participera à la construction du nouveau parc industriel de la Free Trade Zone en engageant ses propres fonds. C’est donc un partenariat capital pour le secteur portuaire de notre pays. Nous travaillons aussi avec lui sur plusieurs autres projets d’infrastructures sous forme de PPP. Cela dit, nous restons fidèles à notre tradition de diversification des partenariats. Nous ne serons pas limités à un partenaire exclusif car nous allons diversifier et prendre le meilleur dans chaque domaine et nous encourageons tous les autres partenaires étrangers pour les autres secteurs comme la logistique par exemple. Nous sommes d’ailleurs en discussion avec des partenaires néerlandais pour le développement de toute la chaine logistique du froid afin de devenir ainsi le principal hub de la logistique du froid sur la côte est de l’Afrique en visant notamment les secteurs agro-industriels et autres produits distribués froids d’Éthiopie et du Rwanda. C’est un fait indiscutable, China Merchants Holding est un partenaire stratégique pour le développement de notre pays.

Le poids de l’État dans l’économie est considérable dans notre pays. Est-ce le rôle de l’Etat d’être à la fois le moteur, le wagon et le contrôleur dans une économie équilibrée ?
J’ai toujours dit que le temps de l’État providence, omnipotent, et omniprésent est révolu. Pour des raisons propres à notre pays et à son histoire, l’État a été le principal employeur, client et fournisseur. Ce système a plus ou moins fonctionné. Mais le diagnostic macroéconomique réalisé en 2012 a donné lieu au document intitulé Nouveau modèle économique de Djibouti, qui a inspiré l’élaboration du programme dit « Vision Djibouti 2035 » et la stratégie quinquennale actuelle. Le document faisait le constat que notre modèle économique n’était plus soutenable. L’État ne pouvait plus continuer à être le principal employeur, client et fournisseur et il fallait désormais baser le développement économique dans une dynamique où le secteur privé s’investisse de plus en plus. Il fallait donc diversifier l’économie et encourager l’engagement accru du secteur privé pour créer davantage de richesses et d’emplois. Il est clair que sur certains types d’infrastructures et compte tenu des réticences des investisseurs privés qui seraient susceptibles de les financer, l’État doit jouer son rôle de précurseur, c’est le cas sur le chemin de fer qu’aucun investisseur ni Djiboutien ni étranger ne pouvait financer à hauteur de 500 millions de dollars américain. L’État est partie prenante, cela ne veut pas dire que nous n’allons pas nous désengager au profit du secteur privé dès que le projet aura atteint une vitesse croisière satisfaisante ; progressivement nous nous retirerons du capital de la ligne de chemin de fer. Il en est de même pour les projets aéroportuaires en cours. Au regard de la faiblesse du marché du transport aérien, il était peu probable qu’un investisseur s’engage dans un projet de construction d’aéroport dans notre pays. D’où l’engagement indispensable de l’État. L’objectif de la construction d’infrastructures c’est de parier sur l’avenir en mettant en place les conditions d’un développement harmonieux et accéléré pour le futur. Les lignes de chemin de fer, les routes et les aéroports doivent créer les conditions d’un développement futur. Il faut trouver un équilibre intelligent entre la participation de l’État dans l’économie et un secteur privé de plus en plus impliqué dans les infrastructures. C’est la raison pour laquelle nous soumettrons au Parlement sous peu un projet de loi qui visera à formaliser la participation du secteur privé dans plusieurs domaines d’intérêts sous forme de partenariat public-privé (PPP). Parce que l’État ne peut pas mobiliser suffisamment de ressources, nous devons choisir les investissements stratégiques qui appellent notre intervention, tout en encourageant le secteur privé à prendre le relai plus tard. Le cadre institutionnel et juridique actuellement en élaboration sur le PPP doit nous permettre de faire participer de plus en plus le secteur privé Djiboutien, y compris sur des grands projets notamment en partenariat avec de grands investisseurs étrangers qui ont des capacités importantes de financement. Le secteur privé aura un rôle de plus en plus prépondérant dans le tissu économique national. Le secteur privé djiboutien est encore fragile, faible et mal structuré sur le plan individuel. Comment expliquer qu’après près de quarante ans d’indépendance, les entreprises djiboutiennes ne sont pas en mesure de travailler sur les standards internationaux ? Il n’est pas normal que des grandes maisons de commerce disparaissent après le décès de leur propriétaire. Nous sommes restés sur les mentalités du commerce de détail, de boutiquiers et de petits commerçants. À qui la faute ? Les entrepreneurs eux-mêmes ou l’État qui n’a pas assez accompagné le développement du secteur privé pour qu’il puisse s’émanciper davantage ? Nous avons des individus très riches mais qui font leurs transactions commerciales de façon traditionnelle. Cependant je remarque que les mentalités évoluent, l’on voit ces dernières années quelques jeunes entrepreneurs qui travaillent avec des standards internationaux en tenant une comptabilité, ils engagent des commissaires aux comptes, recrutent formellement des cadres nationaux ou étrangers nécessaires pour développer des stratégies de développement claire pour leurs entreprises. Nous avons besoin d’institutionnaliser et de renforcer le secteur privé et il y a de nombreuses initiatives pour pousser à l’émergence d’opérateurs privés qui tiendraient des rôles stratégiques dans le développement de Djibouti, d’où le haut conseil national de dialogue public privé. Cette plateforme permettra de dialoguer d’égal à égal avec les associations professionnelles et sectorielles du secteur privé. Les opérateurs commencent à s’organiser sous forme de groupements professionnels ou de sociétés et c’est une bonne chose. Prenons l’exemple de l’association des transporteurs en commun qui regroupe plusieurs propriétaires de bus et véhicules qui ont mis en commun leurs véhicules pour créer des emplois formels, comme le krich boy (contrôleur), en recrutant des mécaniciens automobiles…

Comment pourriez-vous qualifier nos relations bilatérales avec notre partenaire émirati : la période de légère turbulence est-elle définitivement derrière nous ?
C’est une question difficile ! Vous savez qu’il y a eu une incompréhension et je pense que c’est une page qui est tournée. Djibouti est restée digne dans sa démarche et nous avons tout fait pour rétablir nos relations d’amitié. Et nos concitoyens ont un peu souffert de la non délivrance des visas, surtout les petits importateurs qui commerçaient entre Djibouti et Dubaï. Les visas sont rétablis désormais. L’incident malheureux qui a provoqué une réaction disproportionnée de nos amis émiratis est désormais clos et le bon sens a repris le dessus. Cela dit, DP World continue à opérer selon le contrat l’engageant avec notre pays malgré la procédure d’arbitrage introduite auprès d’un tribunal international. Cela ne nous a pas empêché de continuer à travailler en partenariat avec DP World, ce qui démontre que nous respectons les standards internationaux et les règles de protection des investissements tout en préservant nos intérêts. Djibouti appelle toujours à un partenariat gagnant-gagnant car c’est la seule manière de pérenniser des contrats. S’il y a un accord gagnant-perdant, à un moment donné le perdant réclame ses droits. Il faut absolument réfléchir au principe noble du gagnant-gagnant pour tout le monde.

Le futur port de Berberah va-t-il impacter voire nuire à nos intérêts économiques ?
Je ne vois pas en quoi le port de Berberah va impacter notre économie. Permettez-moi ici de dissiper certains commentaires mal intentionnés ou mal informés. La République de Djibouti n’a jamais été opposée au développement du Somaliland. Au contraire, Djibouti souhaite voir le Somaliland se développer car c’est notre voisin et nous n’avons pas choisi cet état de fait. Nous sommes le même peuple et nous partageons les mêmes cultures et histoires, et cela rien ne pourra le changer. Et sur le plan de la sécurité, nous apprécions la stabilité du Somaliland, c’est en partie ce qui nous a permis également de rester dans la quiétude à Djibouti. Si le Somaliland se développe économiquement et que les citoyens somalilandais voient leurs conditions de vie s’améliorer, Djibouti en sera le premier bénéficiaire. Les infrastructures de Djibouti sont là et bien là pour servir non seulement l’Éthiopie mais bien au-delà, tout le continent. Notre ambition va au-delà de l’Éthiopie. Même si avec ce grand pays nous sommes liés sur de grandes infrastructures développées en commun. Il y aura toujours une possibilité pour les autres ports de se développer parce que l’Éthiopie va continuer sa dynamique de transformation et de développement. Je trouve normal que l’Éthiopie souhaite avoir d’autres ports secondaires pour développer ses activités. Mais c’est également l’aspiration d’autres voisins qui souhaiteront un jour vouloir servir les clients que nous servons actuellement. Le meilleur en sortira gagnant et tirera le gros du marché, et c’est exactement dans cette perspective que nous nous situons. Mais pour nous, l’investissement à Berberah ou ailleurs n’a rien d’inquiétant. Nous pensons qu’il y aura une certaine rationalité et que les choses ne se feront pas sur la base de l’émotion puisqu’il s’agit d’investissements. Enfin il faut savoir que la croissance économique de l’Éthiopie dépasse les 10%, quant à celle de son fret, elle croît de près 20% par an ; il y a de la place pour tout le monde. Aussi, les commentaires prétendants que Djibouti souffrira de la concurrence du port de Berberah sont mal renseignés.

La formation professionnelle est l’enfant pauvre de l’enseignement. Comment expliquez-vous que cette filière ait été autant mise de côté ? En 2008, les Nations-unies ont publié un Rapport sur le développement humain, dont le thème était consacré à l’adéquation emploi formation. Le constat qui avait été établi à cette occasion sur l’état de notre système éducatif était désastreux : tout devait être reconstruit ! Comment expliquez-vous que ce diagnostic n’ait servi à rien, puisqu’en 2016 les problèmes demeurent identiques. Il n’y a pas eu de réflexion nationale sur l’employabilité de notre main d’œuvre, de mesures prises pour adapter nos outils de formation aux besoins du marché du travail. A quand une véritable table ronde qui réunirait le secteur privé, la société civile, l’État, et les partenaires sociaux ?
Malheureusement, nous avons peut être manqué de lucidité et de stratégie en n’encourageant pas nos compatriotes à aller vers les filières techniques et professionnelles où les formations sont qualifiantes. Nous sommes encore prisonniers d’une certaine mentalité élitiste qui glorifie la formation académique généraliste au détriment des formations pratiques et techniques plus professionnalisantes. Pour des raisons historiques, notre système éducatif a privilégié la formation de fonctionnaires, ou d’employés de bureau alors qu’il fallait adapter la formation aux besoins du marché de l’emploi. Le diagnostic est fait, l’État a entrepris des efforts colossaux et investis massivement. Plusieurs initiatives sont d’ores et déjà en cours d’exécution comme l’adéquation formation/emploi. Sur les cinq années à venir, le développement du capital humain sera priorisé. Les compatriotes qui reçoivent des formations académiques sont souvent victimes des chômages longs durés car ils n’ont pas les qualifications pour aller travailler dans les entreprises de la place. Des techniciens spécialisés dans la filière froid et climatisation peuvent aujourd’hui percevoir des salaires de plus de 200 000 Fdj, et je ne vous parle même pas des ingénieurs.
Il arrive même qu’une main d’œuvre qualifiée étrangère soit appelée à la rescousse pour satisfaire les besoins des entreprises. Les Djiboutiens doivent absolument se défaire de cette mentalité du travail de bureau. Les cursus du LIC et des centres de formations régionaux sont en train d’être réhabilités et on doit encourager les Djiboutiens à considérer sérieusement les formations professionnels qualifiantes. Les moyens ne manquent pas aujourd’hui, car c’est à travers le développement de la formation professionnelle que nous pourrons lutter efficacement contre le chômage et former les futurs créateurs de richesse du pays. Certains pourront créer leurs propres entreprises avec les formations acquises.

Alors que la géothermie fonctionne très bien au Kenya, pourquoi la République de Djibouti, traine t-elle les pieds sur cette question ? Comment expliquez-vous ce retard dans le développement de ce potentiel énergétique ?
L’énergie en général reste notre principale frustration car cela représente l’un des principaux obstacles à la transformation économique dans notre pays. Malgré les nombreux efforts entrepris nous avons joué de malchance. A la fin des années 1980 et au début des années 1990, nous étions très proches de la mise en exploitation des champs géothermiques, malheureusement, cela a été interrompu par le conflit civil dans le nord du pays qui a empêché le développement du projet. Dans les années fin 2000, nous avons trouvé les bons partenaires et nous avons entrepris les bonnes démarches avec l’Islande, leader mondial dans l’exploitation de l’énergie géothermique. Le chef de l’État s’est déplacé jusqu’en Islande pour engager ce partenariat stratégique. Tout a été ficelé, les études finalisées, mais la crise mondiale a mis l’Islande au bord de la banqueroute. Ce fut la fin de cette belle histoire malheureusement, et nous ne pouvions rien y faire. Nous avons démarché beaucoup d’autres partenaires stratégiques et des investisseurs. Malheureusement nous n’avons pas pu faire aboutir nos contacts. Mais maintenant, nous pensons avoir trouvé le bon filon. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour enfin voir commencer l’exploitation de la géothermie dans les deux années à venir, y compris en engageant nous même certains investissements pour l’acquisition des machines de forages et avoir notre propre programme de forage. Parallèlement, nous menons avec nos partenaires au développement (BM, AFD, OPEC,…etc) des discussions pour le consortium qui veut s’installer dans la région du lac Assal. Mais nous sommes également preneurs des développeurs d’énergie géothermique comme les énergies renouvelables sous la forme de PPP, mais aussi le concept des « Indépendant Power Producer » (IPP). Ainsi, nous comptons encourager des opérateurs privés et c’est pour cela que nous avons pris la décision stratégique de libéraliser le secteur de la production d’énergie en République de Djibouti. Je pense que nous sommes sur la bonne voie et nous espérons que les résultats seront visibles bien avant la fin du mandat du président.

La stratégie de développement, raccrochée à la locomotive éthiopienne, et le partenariat économique avec les Chinois, vise à faire de Djibouti le grand hub de la sous-région. Or, les montants des prêts chinois consentis à notre pays sont décriés par le FMI et la Banque mondiale qui estiment que le gouvernement est excessivement imprudent sur cette question. Que répondez-vous à ces critiques ? Quel est votre avis sur cette analyse lorsque l’on sait que notre pays s’engage dans de vastes programmes de développement en infrastructures ? Quel est le taux d’endettement de notre pays ?
A ce jour, Djibouti sert généralement plus de 90% du commerce extérieur de l’Éthiopie. L’Éthiopie a une croissance à deux chiffres, elle a pu parvenir à cette performance grâce à nos installations portuaires à la pointe de la technologie. Aujourd’hui, nous en sommes arrivés à un stade de coopération où les deux pays sont devenus interdépendants. On entend ici et là des commentaires de certains esprits obtus qui n’arrivent pas à cerner les enjeux géostratégiques et politiques régionaux et internationaux, et qui dénoncent la fragilité de Djibouti, ou la dépendance de notre pays vis à vis de l’Éthiopie. Djibouti n’est pas dépendante de l’Éthiopie et vice versa, nos deux pays sont interdépendants et c’est de cela qu’il s’agit quand nous parlons d’intégration harmonieuse. Nous avons investi ensemble dans différentes infrastructures pour servir nos économies, ce qui par là même, a permis de consolider notre position comme le principal hub logistique et commercial de la corne de l’Afrique. C’est ce qui a facilité nos relations économiques et commerciales avec la Chine parce que les Chinois ont des intérêts économiques importants en Éthiopie, qui est aujourd’hui considérée comme la première ou la seconde économie la plus performante du continent. Et l’industrialisation galopante est tirée principalement par les investissements chinois et d’autres investissements occidentaux. Je pense que la relation que nous avons nouée avec l’Éthiopie servira de modèle à l’ensemble du continent africain. C’est ainsi que nous espérons voir rapidement l’IGAD économique voir le jour. Il nous faut créer un solide bloc économique dans cette partie de l’Afrique. Djibouti et l’Éthiopie en seront naturellement les deux principales locomotives. Quant à la Chine, il n’y a pas un pays au monde aujourd’hui, qui n’est pas intéressé par commercer ou nouer des relations économiques avec ce grand pays. C’est la deuxième puissance économique du monde. Et le fait que Djibouti ait développé des relations solides en si peu de temps avec le géant chinois sur le plan économique, commercial, logistique, et militaire est un motif de satisfaction très fort. Nous sommes également un des acteurs majeurs de la « nouvelle route de la soie ». Cela nous permettra d’accéder à d’autres opportunités bien plus grandes. Ce partenariat stratégique avec la Chine ne va pas nous empêcher de diversifier nos partenaires. Nous aurons toujours besoin de nos partenaires des pays du Golfe avec qui nous avons des relations historiques et culturelles et d’ailleurs beaucoup d’entre eux travaillent avec Djibouti. Nous aurons toujours besoin de la France avec qui notre relation est toujours aussi forte. Il en est de même avec nos partenaires américains avec qui nous développons des partenariats sur de nombreux domaines, y compris dans le domaine économique et commercial. Nos intérêts nationaux nous dictent de multiplier et diversifier nos partenariats afin de couvrir tous les domaines économiques, sécuritaires, culturels… Nous devons transformer notre position géostratégique en dividendes économiques afin de soutenir notre croissance et notre dynamique de développement. C’est la raison pour laquelle, pour nous, l’Asie en général, la Chine en particulier, la Turquie, l’Inde et les pays occidentaux, restent importants à nos yeux. Il faut garder à l’esprit que sur le plan géostratégique mondiale sur le corridor maritime Est-Ouest (Asie-Occident), la mer Rouge et le Bad el Mandeb reste un point de passage névralgique. Or, Djibouti est le premier port d’attache maritime majeur sur la mer Rouge, aussi je ne vois pas comment on pourrait être crédible si l’on ne considère pas très sérieusement dans notre stratégie de diversification, la première économie d’Asie qu’est la Chine.
Quant au FMI, je n’ai jamais entendu parler d’une quelconque dénonciation de la part des institutions de Bretton Woods que ce soit le FMI ou la Banque mondiale. Oui, dans les revues sur la base de l’article 4, il est fait mention dans le dernier rapport du risque de soutenabilité de la dette. Mais ça nous le savions déjà, car pour jouer le rôle de hub sur le plan continental voire international et surtout pour développer Djibouti et permettre de réduire le niveau du chômage que nous connaissons et rendre le pays bien plus résilient à tout type de choc externe, il était vital d’accélérer le processus d’intégration régionale et globale. Cela veut dire concrètement de participer à la compétition régionale et internationale. Et l’on ne peut participer à cette compétition qu’en ayant les meilleurs atouts en termes d’infrastructures qui nécessitent des investissements conséquents. Je ne vois pas la Banque mondiale nous prêter 500 millions de dollars pour construire un chemin de fer. La Banque mondiale n’avait pas participé au projet de terminal portuaire de Doraleh à l’époque parce qu’elle n’y croyait pas. Pourtant aujourd’hui, la valeur et le poids économique de ce poumon de notre économie, n’est un secret pour personne. Cet investissement qui était le plus coûteux à l’époque, avec un montant colossal de plus de 397 millions de dollars, s’est révélé aujourd’hui l’investissement le plus rentable que nous ayons fait. Notre logique est simple, nous voulons construire un pays sur le très long terme, cela implique nécessairement des prises de risques indispensables. Nous sommes donc heureux d’avoir trouvé un partenaire providentiel qui a cru en nos potentialités et misé sur notre avenir et qui s’est engagé à nos côtés pour nous aider à mener à bien notre politique de transformation économique. Nous lui en sommes reconnaissants. Mais l’essentiel, c’est de bien gérer ces sommes colossales empruntées et honorer nos engagements. Nous avons investis en toute connaissance de cause dans le projet du train malgré les risques dus à nos faibles capacités. Mais il s’agit d’un projet commercial qui devra générer des revenus et s’auto-rembourser. Nous devons seulement observer une certaine rigueur et une discipline budgétaire pour rendre rentable nos investissements tout en réformant nos institutions. A ce jour, je considère que notre dette est raisonnable, si l’on fait abstraction du volume de ces différents emprunts qui peuvent sembler élevés par rapport à notre PIB actuel (60%). Les établissements publics qui bénéficient de ces prêts vont générer des ressources additionnelles et honoreront eux mêmes leurs dettes. A l’image du port de Djibouti qui va s’élargir et sera en mesure de rembourser les investissements consentis. Pareil pour le projet d’adduction d’eau qui sera rentabilisé à terme. Et d’ailleurs, l’eau est une ressource vitale, la question de sa rentabilité ne devrait même pas se poser. Nos partenaires, dont le FMI, ont émis des réserves sur le projet des chemins de fer qui engageait notre avenir dans le processus d’intégration économique régional. Cette connexion ferroviaire avec l’Éthiopie était indispensable afin de pouvoir tenir la compétition avec n’importe quel autre port de la région. Ce choix a été fait et nous en sommes fiers. A nous maintenant de trouver la bonne discipline pour rentabiliser ces projets et permettre leur auto-remboursement. Et dans le pire des cas, des capitaux privés pourront se joindre à nous et donc il n y a vraiment aucune inquiétude à avoir. Y a-t-il un pays au monde qui ne s’est pas endetté pour se développer ? Il n’y a qu’à regarder les taux d’endettement des USA, du Japon, de la France… Dubaï a contracté des emprunts colossaux pour se transformer. Et malgré la brève crise de 2008, le pays continue de rayonner. Nous devons laisser à nos générations futures un héritage solide, le chef de l’État s’y emploie…

N’est-il pas difficile d’éviter le conflit d’intérêt lorsque l’on est à la fois le ministre des finances et de l’économie et à la tête d’une des plus grandes sociétés de la place ? Comment arrivez-vous à différencier vos intérêts personnels et ceux de la nation ? La ligne rouge peut-être aisément franchie...
C’est une dialectique utilisée par quelques uns de mes détracteurs du milieu politique… C’est vrai que c’était nouveau de voir un homme du secteur privé occuper des fonctions importantes au sein d’un grand département ministériel. Mais c’était mal me connaître ou mal me juger de soupçonner un quelconque conflit d’intérêt. Et d’ailleurs ces piques et ces attaques qui n’ont aucune justification ne me touchent pas si c’était le but recherché. Je me suis déjà exprimé sur le sujet dans de grands médias publics. Je ne suis pas membre du gouvernement pour m’enrichir. Je pense avoir réussi ma vie avant de rejoindre l’équipe gouvernementale. Cela, les Djiboutiens le savent. Ceci dit, il faut rester vigilant par rapport à tout risque de conflit d’intérêt. Et il ne faut pas se limiter uniquement aux personnes issues du secteur privé, il faut être vigilant avec toutes les personnes occupant de hautes fonctions dans l’administration et dont la charge publique peut amener à des situations de conflit d’intérêt. Des institutions existent pour surveiller, tirer la sonnette d’alarme et sanctionner au besoin. Pour ma part, j’ai toujours milité pour rendre notre administration la plus vertueuse et la plus transparente possible. Car ce sont les conditions essentielles pour conduire une action publique, car nous seront jugés par nos administrés. Je pense également qu’il faut encourager qu’il y ait plus d’acteurs du secteur privé, au gouvernement afin d’insuffler une autre façon de faire, une autre philosophie et une autre approche novatrice. Ces personnes pourraient apporter leurs expériences, leur vécu pour tirer notre administration vers le haut, notamment dans les simplifications de normes, ces dernières ne viendront jamais des administrations centrales, puisqu’elles les ont élaborées. Enfin pour ce qui est de mes entreprises à Djibouti, depuis que je suis arrivé à la tête du département que j’occupe aujourd’hui, je ne les gère plus. Je considère que ces cinq dernières années je me suis efforcé d’apporter ma pierre à l’édifice de notre nation, l’histoire me jugera. J’ai milité et je milite encore pour l’amélioration de la qualité de la gouvernance, pour des procédures d’appels d’offres plus transparentes, juste et équitables. Pour moi il n’existe qu’une seule ligne rouge : d’abord, les intérêts de la République ensuite, les intérêts de la République et enfin les intérêts de la République.

Qu’en est-il du projet de pipeline avec le Sud-Soudan alors que ce pays connaît de violents soubresauts ? Il semblerait que les relations avec le Nord-Soudan se sont fortement réchauffées, dans ces conditions Juba a t-il encore des raisons de s’engager dans un projet d’une telle envergure ? Etant donné cette nouvelle donne régionale est-il toujours aussi pertinent d’envisager la construction d’un port pétrolier et d’une raffinerie à Douda ?
Le Sud Soudan connaît des difficultés, on espère que ce pays va se rétablir rapidement. Pour ce qui est des autres projets au niveau pétrolier et gaziers. Il y a un projet de pipeline d’exportation de gaz liquéfié avec l’Éthiopie. Un pipeline de pétrole raffiné est en négociation en Éthiopie, la République de Djibouti et une société américaine Black Rhino en sont partenaires. Ce contrat a été prolongé hier (nlrd, mardi 22 juin 2016) d’un an, puisqu’il avait été signé en septembre 2015 à New York afin de laisser du temps pour finaliser les discussions portant sur les accords définitifs qui permettront le lancement des travaux et études d’ingénierie. Et, compte tenu de l’envergure de Djibouti, un projet de raffinerie est en discussion. Il faut savoir qu’il n’existe aucune raffinerie sur toute la région. Il faudra corriger cette anomalie.

A lire le décret relatif aux attributions des ministres, il semblerait que vous soyez le grand perdant du dernier remaniement ?
Je suis honoré de l’opportunité que m’a fait, le chef de l’État en me nommant dans son gouvernement. Je lui suis loyal, et il le sait.

Quels sont selon vous les grands enjeux des années à venir pour la République de Djibouti et plus généralement au niveau régional ?
Les défis majeurs restent l’emploi, le développement du capital humain, la bonne gouvernance, le renforcement des capacités et la consolidation de nos institutions. L’emploi passe par le renforcement du secteur privé. Et l’autre enjeu fondamental pour Djibouti, c’est la compétitivité de Djibouti dans un contexte de compétition rude à l’échelle internationale et régionale. Il faut aller vite car nous n’avons pas droit à l’erreur. Il nous faut construire des institutions capables de répondre à ces enjeux du futur. L’intégration régionale est aussi un enjeu majeur, car Djibouti aura tout à gagner à s’insérer dans un bloc consolidé. Djibouti, en terme de taille de marché, ne représente pas un enjeu commercial. Nous avons besoin de nous intégrer dans un bloc continental, régional, et sous régional, afin de venir à bout du principal ennemi : la pauvreté et le chômage des jeunes. Nous avons beaucoup d’opportunités mais les défis sont aussi importants. Nous sommes à un tournant qu’il faut réussir à tout prix. Certaines mesures sont actuellement en gestation afin de créer une meilleure cohérence dans l’élaboration de nos stratégies de développement, dans la coordination de l’action publique, dans la rentabilisation de ces grandes infrastructures qui nous ont couté cher. Le Djibouti Development Board qui va bientôt voir le jour, va permettre de créer cette cohérence dans la stratégie de développement et l’exécution des programmes de développement sous le leadership direct du président de la République.

Propos recueillis par Mahdi A. , photos Hani Khiyari

 
Commentaires
En aparté avec… Ilyas Moussa Dawaleh
Le 26 juin 2016, par Rachid Mohamed Assoweh .

Bonjour Mr le ministre, je vois ici que des belles réponses et on est émis par ces engagements que vous faites... Je viens de découvrir ceci et bien-sûr j’ai des questions mais avant Je tiens à vous remercié personnellement de votre écoute et vos bonnes intentions pour le peuple Djiboutien, vous le gouvernement sans oublier notre président...

Que Dieu soit avec vous dans vos bonnes attentions...


En aparté avec… Ilyas Moussa Dawaleh
Le 26 juin 2016, par farah abdi sougueh.

Interview sinceres avec des réponses et des questions sans langue de bois. Vive la République de Djibouti, Vive IOG son président et vive cet infatigable ministre, bosseur et très loyal au président IOG et à la politique qu’il mène. En lisant ces quelques lignes, je vois l’avenir de DJIBOUTI radieux et prospère. INCHA ALLAH nous y arriverons avec l’aide d’Allah.
Vive Djibouti, Vive le peuple djiboutien et Vive son président IOG


En aparté avec… Ilyas Moussa Dawaleh par Djama ali houssein
Le 30 juin 2016, par djama ali houssein.

excellent interview. Sincerement je remercie au ministre de l’economie et des finances Mr Ilyas Moussa Dawaleh(IMD) a ses reponses claires et bien precis. certes ces reponses sont chargés d’un inestimable espoir qui soulage incontestablement la préoccupation de la jeunesse en particulier sur les questions de l’emploi de jeunes, sur le logement, dettes du pays......
bref on peut dire que IMD est un grand economiste, un visionnaire que peut compter notre president Ismail Omar Guelleh dans le processus de developement du pays. Djibouti a besoin de grandes personnalites comme Ilyas.

 
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