Le président de l’Autorité des ports et des zones franches (APZFD), Aboubaker Omar Hadi s’est exprimé dans un communiqué du 5 août sur la sûreté des ports en République de Djibouti et rappeler qu’ils sont régis par une règlementation stricte, répondant aux exigences des standards internationaux les plus élevés. Cette communication intervient au lendemain de la double explosion au nitrate d’ammonium dans l’enceinte du port de Beyrouth. Elle vise à rassurer la population djiboutienne, les opérateurs portuaires, et les différents armateurs clients de nos infrastructures. Il s’agit de dégonfler la baudruche d’inquiétudes qui aurait pu gagner les populations riveraines d’infrastructures portuaires, qui s’interrogeraient sur les conditions locales de stockage de matières hautement dangereuses. En effet la diffusion des images choc et de la désolation qui a suivie l’explosion, aussi bien en vies humaines que matérielles, a secoué les esprits. Pour ne laisser aucune place aux spéculations et aux commentaires anecdotiques diffusés dans les réseaux pour nuire à la réputation de nos installations, les autorités portuaires djiboutiennes prennent les devants et rappelent les principes de précaution qui guident la gestion de ces produits considérés comme ultra-sensibles. Ne manquant pas de souligner qu’à Djibouti, bien que pays de transit, et donc amener à manipuler différents produits dangereux, le protocole sécuritaire est tel que le pays peut se prévaloir de ne connaitre aucun sinistre dans le domaine.
« Les autorités portuaires de Djibouti attirent l’attention sur la conformité de nos installations aux réglementations internationales en vigueur en matière de sécurité liée à la prise en charge des marchandises toxiques et dangereuses. Les responsables portuaires affirment que nos infrastructures doivent cette situation à leur respect rigoureux et systématique aux normes et codes édictés par l’Organisation maritime internationale (IMDG) qui fixe les modalités de traitement et de sécurisation de produits explosifs et inflammables. Nos installations doivent surtout leur capacité à prévenir en amont le moindre risque lié aux accidents de produits toxiques dans leurs enceintes à une législation, notamment un décret présidentiel adopté en Juillet 2007 [1]. »
Les normes de sécurité seraient si importantes, qu’une obligation d’acheminer la marchandise sous escorte jusqu’à la frontière est imposée pour toute marchandise dangereuse ou encombrante. Il s’agit non seulement ne pas perdre de vue la marchandise, mais surtout de veiller à ce qu’elle puisse circuler sans encombre sur la nationale 1. L’escorte est facturée 180 000 FDJ par la gendarmerie. « Cela en raison du fait qu’il s’est doté depuis fort longtemps de procédures draconiennes où, les déchargement hautement minutieux de ces produits dans nos ports sont immédiatement suivi de leurs embarquements sur les camions censés directement les acheminer, moyennant une escorte assurée par la Gendarmerie nationale, jusqu’à leur destination finale. »
Comme la transparence est dans le contrôle, nous avons voulu nous assurer auprès des personnes concernées, à savoir les transitaires, de la bonne application de ces mesures. Nous avons rencontré deux d’entre eux, pour nous enquérir des pratiques en vigueur pour la gestion de la manutention et le transport de ces produits sensibles, comme le nitrate d’ammonium.
Moustapha Mohamed, responsable de Ryane Transit, confirme sans hésitation que les règles de sécurité établies sont si contraignantes que parfois il lui était arrivé de penser qu’elles étaient superflues, et que dorénavant on le reprendrait plus à de tels inepties. « Avant la déflagration de Beyrouth, pour moi ces mesures sécuritaires étaient exagérées. Une pesanteur synonyme d’entrave à la bonne marche des activités portuaires. Aujourd’hui je dois faire mon mea culpa. Je ne connais pas la quantité de nitrate d’ammonium qui transite par Djibouti pour le marché éthiopien. Pour ma part, ma société en traite autour de 200 conteneurs par an, c’est-à-dire 4000 tonnes. Je confirme les propos d’Aboubaker Omar Hadi, ce produit n’est acheminé à Djibouti que conditionné dans un conteneur, le vrac étant interdit. »
Nous relançons Moustapha Mohamed en lui demandant de nous en dire davantage, notamment en explicitant concrètement le processus de gestion du nitrate d’ammonium dans les ports du pays.
« Environ 36 heures avant que le navire transportant la marchandise n’arrive au mouillage, nous sommes informés par les agences maritimes qui nous remettent le connaissement de la marchandise. […] En cas de produits catégorisés 1, comme pour le nitrate d’ammonium [IMO class NO 5.1], la réglementation est extrêmement rigoureuse. En général, nous traitons la documentation en 24h, que cela soit la documentation douanière éthiopienne, djiboutienne, l’acquittement des frais portuaires. Ce travail finalisé, tous ces éléments sont présentés à la capitainerie. À partir de là, il nous est indiqué une date et une heure limite pour faire disposer dans l’enceinte du port les véhicules de transports nécessaire pour prendre en charge les conteneurs déchargés, et ce avant même l’accostage du navire. Il faut savoir qu’un camion a une capacité de deux conteneurs de 20 pieds. Dans le cas d’un déchargement de 30 conteneurs par exemple, il sera exigé de prépositionner 15 camions au point indiqué par la capitainerie. Uniquement après qu’un agent de la capitainerie sera assuré de la disponibilité des véhicules sur site, le navire est autorisé à quitter le mouillage au large et à venir s’arrimer au quai. C’est très simple, le produit est considéré si dangereux que le conteneur n’est même pas autorisé à toucher le sol. Les portiqueurs s’activent depuis leur cabine pour déposer les uns après les autres les conteneurs sur les véhicules alignés, à la queue leu leu, qui attendent patiemment leur tour pour s’avancer et être chargés. L’opération terminée, les camions encadrés par deux voitures de la gendarmerie prennent la direction de la frontière éthiopienne aussitôt. Je vais vous raconter une anecdote qui vaut le détour, et qui montre la rigueur de la capitainerie sur le sujet. Il faut savoir que les camions de transports de produits dangereux appartiennent à 100 % à des transporteurs éthiopiens, qui ont été désignés par le client final. Il peut arriver que celui-ci ne dispose pas de suffisamment de camions sur place ou qu’ils arrivent en retard par rapport à l’heure de contrôle des agents de la capitainerie. C’est très simple, si le compte de camion n’est pas réuni par rapport à la marchandise attendue, le navire n’est pas autorisé à accoster. Parfois ces navires étant attendus dans les autres ports régionaux - et comme le temps est de l’argent - , ils quittent nos eaux pour y revenir 10 ou 15 jours plus tard pour décharger le produit, cette rotation occasionnant des pénalités importantes de l’armateur au client éthiopien de l’ordre de 10 000 dollars américains. Parfois je trouvais que c’était exagéré et que l’on aurait pu laisser 24h ces conteneurs sur le quai du terminal, le temps de réunir les véhicules. Je voyais ces mesures sécuritaires comme préjudiciable à notre performance, mais il faut avoir le mérite de le reconnaitre, j’étais complétement dans l’erreur. Plus personne ne peut ignorer l’impact d’une catastrophe portuaire sur les quartiers riverains. La prudence et le principe de précaution doivent guider nos actions encore davantage. » Le second transitaire consulté, le responsable de Trans Logistic Ahmed Aden Bouh a confirmé point par point les informations récoltées par notre rédaction auprès de son confrère. Sur ce sujet Aboubaker Omar Hadi dit vrai, on ne badine pas avec la sécurité portuaire à Djibouti !
Après la double explosion du 4 août, qui a dévasté des pans entiers de la capitale libanaise et fauché la vie de 158 personnes et blessés plus de 6000, le choc psychologique de cette déflagration doit tout de même nous faire réagir. La prévention efficace d’évènements, comme celui qui vient d’endeuiller Beyrouth, nécessite le renforcement de la gestion de nos ports. Il faut nous remettre en cause et analyser l’ensemble de nos procédures, leurs points forts et leurs points faibles, pour mieux anticiper les risques potentiels, comme l’appelait de ses vœux notre globetrotter national Mahmoud Ali Youssouf dans un tweet. Tant qu’à faire, pourquoi se limiter au nitrate d’ammonium. Après la fuite de pétrole du MV Wakashio, échoué au large de la côte de Maurice le 6 août dernier, nous nous sommes demandés si notre pays disposait de matériel de lutte contre la pollution maritime par hydrocarbures pour réagir en cas de sinistre similaire ? Quelles sont les expertises techniques et opérationnelles dont dispose notre pays pour parer à une catastrophe de cette ampleur ? Quelle est la disponibilité des stocks concernant les différents types de récupérateurs d’hydrocarbures, ou des barrages absorbants et hauturiers pour endiguer un éventuel désastre écologique ?
Dans le même ordre d’idées le port de Tadjourah a été équipé récemment d’une unité de stockage de gaz liquéfié, mais quelles sont les mesures adoptées pour assurer la quiétude des habitants de la localité et se prémunir d’un accident malencontreux, ou voire d’une négligence humaine lors de manipulations de ce produit dangereux ?
Mahdi A.
[1] Décret n° 2007-0157/PRE du 16 juillet 2007 portant règlement général du Port autonome international de Djibouti, voir en ligne.