Le secteur du transport et du transit routier djiboutien est en pleine effervescence. Après des années d’immobilisme, marquées par des efforts isolés et un manque de coordination, les acteurs de cette filière stratégique ont décidé de rompre le silence. Un mouvement collectif est en marche, nourri à la fois par des témoignages poignants venus du terrain et par une structuration institutionnelle inédite. L’heure est à l’action concertée, à la réforme des pratiques et à l’union face aux défis.
Lors d’une rencontre fondatrice organisée à la Chambre de commerce, ce matin - lundi 23 juin -, entre professionnels de la logistique, un transitaire/transporteur djiboutien très actif, Abdoulwahab Ahmed Robleh, a livré un témoignage sans détour. Il a dressé un tableau sombre mais lucide de la situation actuelle. Selon lui, le secteur est désorganisé, chacun évolue seul et les transporteurs djiboutiens peinent à faire entendre leur voix. Il a souligné que ce n’était pas un acteur extérieur qui marginalisait les transporteurs, mais plutôt eux-mêmes, à force de désunion et de dispersion des efforts.
Dans le prolongement de la même idée, Abdourahman Elmi Ismail a mis en lumière les défaillances du système d’assurance, évoquant deux expériences très contrastées. Dans le passé, il avait souscrit une assurance en Éthiopie. Lorsqu’un de ses camions s’est renversé, l’assurance éthiopienne avait immédiatement pris en charge l’accident, récupéré le conteneur et géré les formalités sans qu’il ait à intervenir. À l’inverse, après avoir été contraint par la loi de souscrire localement à Djibouti, il s’est retrouvé seul face à un sinistre majeur : un de ses camions flambant neuf s’est renversé, totalement détruit, mais l’assurance djiboutienne a refusé d’indemniser sous prétexte que l’accident s’était produit hors du territoire.
Au-delà des assurances, c’est la question des chauffeurs qui inquiète. Ce transporteur, Abdourahman Elmi Ismail confesse avoir arrêté temporairement ses activités de transport après trois accidents graves impliquant des chauffeurs djiboutiens. Face à l’imprudence, au manque de formation et à l’irresponsabilité de certains conducteurs, il a dû se tourner vers des chauffeurs éthiopiens plus expérimentés. Il raconte notamment qu’un chauffeur local, responsable d’un accident, avait tout simplement abandonné son véhicule au bord de la route en Éthiopie et quitté l’entreprise. Il a ensuite trouvé un nouvel emploi. Il estime ce comportement inacceptable et plaide pour la mise en place d’un registre de signalement des chauffeurs défaillants, dans le respect des règles mais dans l’intérêt de tous.
Face à ce constat d’échec collectif, une réponse structurée a émergé à Djibouti. Une assemblée a consacré la transformation d’une ancienne association en un véritable groupement d’intérêt économique, baptisé GIE Association des transporteurs routiers djiboutiens (ATRD). Ce nouveau groupement rassemble les transporteurs autour d’un projet commun, avec la volonté affirmée de défendre leurs intérêts et de reprendre la place qui leur revient dans le marché régional. Cette nouvelle entité s’appuie sur une ambition forte : faire en sorte que les transporteurs djiboutiens puissent eux aussi bénéficier du trafic régional et ne plus laisser la quasi-totalité des parts aux entreprises éthiopiennes qui captent aujourd’hui 99 % du fret selon certains professionnels. Les membres du GIE ATRD veulent s’organiser pour proposer des services fiables, sécurisés et compétitifs.
Une gouvernance a été mise en place sous le contrôle de Me Abdoulmalik Habib, huissier de justice. Hoche Saïd Dawaleh a été élu président à l’unanimité. Il est entouré d’un bureau composé de représentants d’entreprises locales bien implantées. Le groupement prévoit de créer un comité des sages, ainsi que des pôles dédiés aux relations publiques, au développement, à l’éthique et à la formation.
« Nous aussi, nous voulons participer à ce marché. Si nous ne nous fédérons pas, n’unissions pas nos potentiels, nous continuerons à disparaître du paysage économique régional […]. Ce que nous allons construire n’est pas pour une seule société. Tout ce que nous gagnerons, nous le partagerons », a notamment déclaré Hoche Said Dawaleh à sa prise de fonction.
Les fondateurs insistent sur la transparence et la redistribution équitable des bénéfices. Ils affirment que tout les projets du GIE bénéficieront à l’ensemble de ses membres. Ils souhaitent instaurer un fonctionnement collectif où la solidarité prime sur la compétition. Des projets concrets sont déjà en cours de discussion, notamment un partenariat renforcé avec le centre de formation pour chauffeurs de la Chambre de commerce, la mise en place d’un système commun d’assurance, et l’ouverture de négociations avec les banques pour faciliter l’acquisition de camions par les membres.
Les transporteurs djiboutiens sont à un moment charnière de leur histoire. Entre les voix individuelles qui s’élèvent, comme Abdourahman Elmi Ismail ou Abdoulwahab Ahmed Robleh, et la construction d’un cadre collectif structurant, l’avenir du secteur repose désormais sur une dynamique nouvelle. Les professionnels sont unanimes : seule l’union leur permettra de peser dans un marché de plus en plus concurrentiel.
La volonté est là. L’organisation est en marche. Il reste désormais à prouver par les actes que Djibouti peut redevenir un acteur majeur du transport régional.
Mahdi A.