Human Village - information autrement
 
L’Arabie saoudite interdit les importations d’animaux vivants depuis Djibouti
par Mahdi A., octobre 2019 (Human Village 37).
 

Comme le disait fort élégamment un homme politique français, « les emmerdements volent en escadrille »… Après le retrait de la certification portuaire ISPS de Djibouti par les gardes côtes américains (Departement of Homeland Security), voilà une nouvelle qui ne risque pas de redorer le blason portuaire de la République de Djibouti : le ministère saoudien de l’Environnement, de l’eau, et de l’agriculture a notifié, par communiqué de presse, l’interdiction pour des raisons sanitaires, avec effet immédiat, de toute importation de bétail sur pieds depuis la République de Djibouti et le Soudan [1].

Concernant le Soudan, cela s’explique par la détection d’un foyer de 135 cas du virus de la fièvre de la vallée du Rift (FVR), signalé par l’organisation mondiale de la santé animale (OIE). Il s’agit de limiter le risque de propagation de la maladie aux animaux, voire même à l’homme, en mettant un coup d’arrêt aux importations. La décision sanitaire saoudienne d’un embargo sur l’importation d’animaux vivants depuis Djibouti serait la conséquence de contrôles inopinés effectués par les services vétérinaires saoudiens, qui auraient décelé des cas positifs à la fièvre de la vallée du Rift. Ceci n’aurait pas dû se produire, puisque le centre de quarantaine de Djibouti, dont la certification sanitaire est valable pour l’ensemble de la péninsule arabique, était censée prévenir ces risques en amont, en détectant les animaux malades voire fragiles durant la quarantaine. Seuls ceux certifiés sains par les vétérinaires auraient dû embarquer.

En conférant cette habilitation régionale à la République de Djibouti en 2006, alors que le pays ne dispose pas d’un cheptel important, il s’agissait pour les Saoudiens de sous-traiter à un pays considéré comme sûr et fiable une partie de sa sécurité sanitaire, en contrôlant les animaux vivants destinés à la consommation humaine avant leur arrivée au royaume des Saoud, et plus largement dans la péninsule arabique. C’est ainsi qu’un financement USAID sous forme de don de vingt millions de dollars, initialement destiné à la Somalie, a permis la création du centre de Damerjog en République de Djibouti. Inauguré le 22 novembre 2006, il est « doté d’une clinique, d’une pharmacie, d’une salle d’autopsie, d’un abattoir avec chambres froides, d’un incinérateur et d’un laboratoire médical performant, lequel est relié par un réseau intranet aux différentes parties du centre » [2].

La gestion de l’immense complexe a été confiée à un homme d’affaires saoudien, à travers une de ses filiales, Abu Yasser international. Quelles sont les clauses de cette concession ? Comment l’État est-il associé à ces énormes profits ? Quel contrôle exerce l’État, et notamment le service vétérinaire national, sur cette société et ses pratiques sanitaires ? Le contrat contient-il des clauses contraignantes avec des obligations de réinvestissement et d’entretien des installations ? Questions d’autant plus importantes que l’on ne peut-être qu’effaré par l’état de délitement et de dénuement des lieux. Comment expliquer cette situation alors que, le centre démarrait pourtant sur les chapeaux de roue avec un pic en 2010 de presque deux millions de têtes exportées, dont « 139 433 bovins, 1 400 233 ovins, et 85 558 dromadaires » [3]. Ces premiers résultats laissaient espérer un avenir prometteur à ce qui s’apparentait déjà à hub régional pour l’exportation d’animaux vivants… Au point de projeter la construction d’un port mitoyen au centre de Damerjog afin de réduire les coûts du transfert du lieu de quarantaine au port d’embarquement. L’infrastructure « sera équipée notamment d’un terminal d’une capacité d’accueil de plus de 5 navires à bétail ainsi qu’une zone de transit de 5 hectares. Selon les prévisions des autorités portuaires djiboutiennes, près de 2 millions de têtes de bétail devraient être acheminées dès la première année suivant la création du port de Damerjog. “Les retombées économiques vont représenter en recettes d’exportations près de 500 millions de dollars par an”, [avait] indiqué le président de l’autorité des ports et des zones franches, M. Aboubaker Mohamed Hadi, avant de faire savoir que les travaux de construction du port à bétail de Damerjog seront financés à hauteur de 70 millions de dollars » [4].

C’est peu de dire que cette restriction commerciale saoudienne aura des répercussions économiques énormes pour le secteur portuaire djiboutien et le centre de quarantaine de Damerjog. On pense aussi évidemment aux nombreux emplois qui en dépendent, comme ceux liés au transport routier animalier. Selon les données diffusées par les autorités saoudiennes, lors du pèlerinage à La Mecque pour Aïd El-Kabir 2019, Djibouti a exporté 700 000 têtes de bétail. Cette baisse du trafic animalier s’explique essentiellement par l’ouverture de centres concurrents notamment en Somalie, après la levée d’une interdiction d’exportation qui a duré neuf ans [5]. En 2012, le pays exportait 535 501 têtes, dont 48 439 bovins, 449 009 petits ruminants, 38 053 camelins ; en 2014, les exportations croissent légèrement, passant à 568 073 têtes. Le centre s’impose.

Mine de rien, l’activité sanitaire animalière rapporte des sommes colossales. Il n’est pas difficile d’évaluer la perte si l’on prend le temps de croiser les données disponibles de la Banque centrale et du Centre de l’Igad pour le développement des zones pastorales et de l’élevage (ICPALD) pour 2013. Selon la Banque centrale, 518 172 têtes ont été exportés cette année-là [6], « contribuant à hauteur de 11,6 milliards FD (0,065 milliards USD), soit l’équivalent de 74,8 % de contribution de l’élevage au PIB agricole en 2013 ». [7]. Inexistants avant l’ouverture du centre de Damerjog, les importations de foin, étaient estimés à 1,32 milliards de FD en 2013. C’est donc pas loin de cent millions de dollars américain que notre économie devra tirer un trait sur la base des 700 000 têtes exportés en 2019... Que dire ? Que faire ? Qui blâmer ?

Comment expliquer une telle négligence dans l’évaluation des risques sanitaires, alors que la détection du virus de la Rift Valley n’est pas d’une grande complexité. « Pour la FVR, la plupart des pays avec des installations de niveau BSL 2 ont la possibilité de tester les sérums avec la méthode ELISA étant donné la simplicité des installations nécessaires à la réalisation de ce test » [8].
Est-il possible d’imaginer qu’une partie du commerce d’animaux vivants échappe à tout contrôle des services sanitaires du centre de quarantaine de Damerjog en période de flux tendu, particulièrement à la veille de la cérémonie religieuse de l’Aid El-Kabir, et soit malgré tout certifiée par Abu Yasser ?

Questionné sur les raisons de cette crise sanitaire, et ses conséquences financières et en terme de réputation de la place portuaire djiboutienne extrêmement fâcheuses, Mohamed Daoud Chehem, un des leaders de l’opposition parlementaire, a un avis tranché sur le sujet : « Il ne faut pas chercher loin, le premier responsable c’est l’inaction de l’État : le manque de rigueur de notre administration, le découragement des instances de contrôle, le laissé aller/faire institutionnaliser par le chef de l’État, ce qui induit nécessairement, l’absence de reddition de comptes, le règne de l’impunité qui est - que l’on le veuille ou pas - un principe de base du fonctionnement de notre service public, la déperdition de la notion de l’intérêt collectif… Le président de la République va-t-il enfin prendre ses responsabilités et engager les mesures disciplinaires appropriées pour sanctionner les responsables des départements défaillants ? Cela serait bel et bien une première… Wait and see, pour reprendre une expression qu’affectionne Ismail Omar Guelleh ! », nous déclare sur un ton plein d’amertume, presque désabusé, le président du Parti djiboutien pour le développement (PDD).

Mahdi A.

Voir aussi « Epizooties et géographie ».
Voir aussi « J’ai mal à mon pays ! ».

 
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