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En aparté avec… Hoche Said Dawaleh
par Mahdi A., juin 2025 (Human Village 54).
 

Dans un contexte de mutation logistique régionale, alors que Djibouti cherche à renforcer sa place de carrefour stratégique entre l’Afrique de l’Est et le reste du monde, le secteur national du transport routier joue un rôle déterminant. Pourtant, ses acteurs restent souvent invisibles, marginalisés dans les grandes décisions et confrontés à de multiples défis : absence de structuration, concurrence étrangère déséquilibrée, monopoles émergents, retards réglementaires…
À la tête de l’Association des transporteurs routiers djiboutiens (ATRD) depuis 2018, Hoche Said Dawaleh livre ici un témoignage rare, franc et détaillé sur les combats quotidiens des transporteurs, leurs ambitions économiques, les blocages persistants qu’ils rencontrent et sa vision pour moderniser et unifier le secteur.
De la création d’un groupement d’intérêt économique (GIE) au plaidoyer pour une loi sur le transport, en passant par la formation professionnelle, les enjeux transfrontaliers avec l’Éthiopie ou les rapports parfois tendus avec les opérateurs multimodaux, cet entretien lève le voile sur les rouages d’un secteur à la fois vital et trop souvent méconnu.

Hoche Said Dawaleh

Quel est le rôle de l’Association des transporteurs routiers djiboutiens (ATRD) ?
C’est une association à but non lucratif créée en 2018 pour défendre les intérêts des transporteurs sur le corridor. Elle a vu le jour dans un contexte où les transporteurs djiboutiens ne représentaient même pas 1 % du trafic. L’ambition, c’est de porter cette participation à 10 %, voire à 30 % au cours des prochaines années.

Est-ce un secteur créateur d’emplois ?
Absolument. Un seul véhicule nécessite au minimum deux à trois personnes, donc le transport est un véritable levier de création d’emplois.

Combien de membres compte actuellement votre corporation professionnelle ?
Nous sommes une trentaine de membres avec un parc d’environ 400 véhicules. Notre objectif est de porter ce nombre à 1 000 véhicules, et de structurer l’ensemble avec un centre de formation, dans le cadre de notre grand projet logistique.

Pouvez-vous revenir sur les débuts de l’obtention de l’agrément pour en faire un groupement d’intérêt économique ?
Cela a été long. En 2018, nous avons travaillé avec détermination pour convaincre le ministère de l’Équipement et des transports du bien-fondé de notre démarche. À la fin de l’année 2019, le ministère a permis la mise en place de l’agrément. Cela a marqué un tournant qui permet dorénavant à des entreprises d’unir leurs efforts là où elles ont des intérêts en commun, tout en conservant leur indépendance.

Votre GIE a récemment participé, du 26 janvier au 2 février, à une visite de terrain organisé par Trademark East Africa concernant les corridors Nord et Central, permettant de visiter les ports de Mombasa et de Dar es Salaam et de vous rendre à Kigali et Kampala pour évaluer de visu les équipements infrastructurels et les services existants. De quoi s’agit-il ?
Nous avions été invités à échanger et à partager des expériences de bonnes pratiques par les Northem Corridor Transit and Transport Coordination Authority (NCTTCA), Central (CCTTFA) et DESSU Corridor Authority (Djibouti-Ethiopia-South Sudan-Uganda) qui sont des autorités régionales. L’objectif est de structurer et réguler les corridors. Une mission a été organisée, avec un rapport à la clé, qui nous a permis de faire un état des lieux approfondi des infrastructures, des opérations en cours, et des défis rencontrés dans la gestion des corridors. Au cours de cette mission, plusieurs points importants ont été relevés, notamment les progrès réalisés dans la mise en œuvre des projets d’amélioration des échanges commerciaux, ainsi que les actions entreprises pour optimiser la gestion des flux de transport avec la coordination entre les différentes parties prenantes. Les échanges que nous avons eu avec les acteurs locaux ont mis en évidence l’importance de renforcer les mécanismes de collaboration et de suivre de près l’évolution des projets en cours pour assurer une gestion efficace et durable du corridor. Cette visite a été l’occasion de s’inspirer de ces modèles pour évaluer la pertinence de créer une autorité de gestion du corridor de Djibouti, desservant l’Éthiopie et potentiellement le Sud-Soudan. Enfin, je tiens aussi à souligner que le corridor Djibouti Éthiopie a été considéré dans l’étude comme le plus sécurisé, le plus rentable et le plus court pour les transporteurs et les opérateurs économiques. Ce n’est pas rien, il faut s’en féliciter  !

Pourquoi passer de l’association à un GIE (groupement d’intérêt économique) ?
Parce que nous étions trop éparpillés. Il faut s’unir, créer une masse critique, afin de devenir un acteur incontournable du transport fret régional. Un GIE à l’image de l’ATD permettrait à terme d’être payé en devises fortes via les opérateurs multimodaux. C’est une transformation nécessaire pour rester compétitifs.

Quel est le rôle de Trademark East Africa dans tout cela ?
Trademark apporte un appui technique essentiel. Pour le moment, ils travaillent uniquement sur certains axes comme Galafi, Balho mais on espère une extension vers d’autres corridors par exemple Galileh. Leur expertise est précieuse.

Le projet de parking pour les transporteurs est-il concrétisé ?
Oui. L’État vient juste de nous octroyer un terrain de 70 000 m² à PK17, grosso modo il permettra d’accueillir en même temps un peu plus de 300 camions. Cela permettra de structurer l’activité, regrouper les transporteurs, et d’accueillir la douane, la police, etc. C’est un projet imminent.

Et du côté éthiopien, avez-vous eu un terrain équivalent ?
L’Éthiopie promet depuis longtemps, mais rien n’est malheureusement encore acté. Pourtant, c’est indispensable pour organiser les retours et fluidifier la logistique.

Hoche Saïd Dawaleh

Y a-t-il des difficultés dans les relations avec l’Ethiopian Maritime Affairs Authority (EMAA) ?
Oui, notamment une interdiction de faire du transport retour depuis l’Éthiopie pour les sociétés djiboutiennes de transport. Nous avons confronté les autorités, notamment le directeur général, Abdulber Shemsu Ahmed, à leurs propres documents, et certains ont même affirmé ne pas être au courant de cette interdiction. On attend maintenant une levée de ces barrières, le respect de la réciprocité.

Est-ce que les banques soutiennent votre projet de leasing ?
Oui. Les banques sont prêtes. Mais elles exigent par contre un interlocuteur unique, comme un GIE, pour rassurer les bailleurs et faciliter les financements.

Le projet de loi sur le transport est-il prêt ?
Oui. L’ATRD a participé à la rédaction du début à la fin. Il s’agit d’une loi pour réorganiser le secteur, protéger les nationaux, fixer les règles de concurrence, etc. Elle est prête depuis trois ans, il ne reste qu’à la faire passer en Conseil des ministres et au Parlement. Nous nous efforçons de sensibiliser les autorités politiques sur la nécessité de ne plus tarder a sa transmission au Parlement pour examen. Son adoption donnera un nouvel élan au secteur.

Quel est l’apport du CRC (Centre de ressources et de compétences) ?
C’est une vraie révolution. Le CRC forme désormais des chauffeurs djiboutiens, autrefois majoritairement éthiopiens. C’est un label de qualité reconnu, et cela redonne de la valeur au métier.

Le secteur du rail est-il perçu comme une menace ?
Non. Le train est un complément, pas une concurrence. Il décharge les routes et ouvre d’autres perspectives. Mais il reste beaucoup de zones non desservies par le rail.

Quelle est votre position sur le monopole tenté par certaines sociétés multimodales ?
Nous nous opposons fermement au monopole. Certaines sociétés veulent tout centraliser, même choisir les transitaires. C’est dangereux pour l’équilibre du secteur. Nous appelons à l’unité, à la coordination par un seul interlocuteur.

Que pensez-vous de l’évolution de l’ATD ?
L’ancienne équipe a fait un travail colossal. Mais aujourd’hui, il y a des déceptions : pas de dividendes, des projets immobiliers en suspens. Il faut redynamiser l’organisation, et penser collectif, pas individuel.

Est-ce qu’il y a une plateforme de concertation avec les autorités portuaires ?
Elle existe, mais elle devrait être mieux exploitée. Il faut dialoguer aussi en temps de calme, pas seulement en période de crise. On espère que la direction de l’ATD prendra le taureau par les cornes et mettra en place un espace de dialogue fluide.

Avez-vous envisagé des dispositifs d’assurance et de soutien en cas de panne ou d’accident ?
Tout est prêt, structuré. Mais cela reste à activer. Avec un GIE, l’administration pourrait prendre en charge le développement de la partie commerciale, ou par exemple en cas de litige avec les assurances, suivre les impayés notamment et effectuer les relances le cas échéant, rendu possible avec l’ouverture d’un bureau à Addis-Abeba.

Vous militez pour une fédération unique de la logistique ?
Oui. Une seule voix pour représenter Djibouti, aussi bien le transit que le transport, que ce soit à Addis-Abeba ou ailleurs. Il faut qu’Aboubaker Hadi aille jusqu’au bout de sa vision d’unité à l’instar de la fusion ATD-RTA : mettre en place par exemple Djibouti Logistic platform, une unique structure comme interlocuteur des autorités portuaires, crédible, capable d’accéder aux financements et de gérer un parc conséquent de manière centralisée. Les banques sont prêtes, les transporteurs engagés, mais le succès dépend d’une réelle cohésion.

Quelle est votre vision pour l’avenir ?
Un mouvement plus fort, structuré, capable de faire face à la concurrence régionale. Il ne faut pas se disperser. Le transport transfrontalier est une aventure prometteuse pour les jeunes. Mais il faut de la rigueur, de la formation, de l’unité, et du courage politique.

Propos recueillis par Mahdi A.

 
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