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En aparté… Mohamed Daoud Chehem
par Mahdi A., mars 2016 (Human Village 26).
 

À la veille du scrutin du 8 avril prochain, nous avons rencontré pour une interview exclusive Mohamed Daoud Chehem, président du Parti djiboutien pour le développement (PDD), et candidat de l’USN pour l’élection présidentielle. L’occasion pour nous de dresser le portrait de l’homme, retracer son parcours politique, découvrir son programme politique et son projet de société. Mohamed Daoud Chehem, ne s’est dérobé devant aucune de nos questions. Entretien…

Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ? Quel est votre parcours personnel, et politique ?
Mohamed Daoud Chehem : Je m’appelle Mohamed Daoud Chehem. Je suis rentré au pays après des études supérieures en mathématiques en France en décembre 1977. Et j’ai commencé à travailler en qualité de chef de cabinet du Premier ministre de l’époque, Abdallah Mohamed Kamil, le 5 février 1978. Suite à la nomination d’un nouveau premier ministre en la personne de Barkhat Gourad Hamadou, j’ai quitté mon poste. J’ai été affecté à la direction des finances (ministère de l’économie et des finances.) J’y ai passé près de six ans. Durant cette époque, j’étais ce qu’on appelle un bras cassé ou bras croisé, selon l’expression populaire, jusqu’au 18 juin 1987, lorsque j’ai été nommé directeur-adjoint des finances. Et le 22 novembre de la même année, j’ai occupé le poste de directeur des finances par intérim.

J’ai été arrêté le 13 janvier 1991, parmi des centaines de personnes pour un soi-disant complot contre la sûreté de l’État. C’était au moment où le conflit armé (la guerre civile) avait éclaté avec la rébellion du Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie (FRUD) qui a pris le maquis dans le nord et le nord-ouest du pays. Moi et les personnes arrêtées avec moi pour sympathie avec le mouvement de rébellion, avons été libérés le 15 décembre 1993 après une grâce présidentielle, après avoir purgé une peine de trois années moins un mois. Ce fut une période noire et difficile, mais nous avons su tenir bon et résister moralement au sentiment d’abattement devant ce triste sort. En décembre 1996, je suis allé en Éthiopie. Et le 26 septembre 1997, le gouvernement éthiopien m’a arrêté avec les responsables du FRUD qui étaient restés là bas avant de nous extrader vers Djibouti. Nous étions une dizaine de personnes à subir ce nouveau revers politique et nous avons été placés en détention à Nagad. C’est à partir du 1er octobre 1997 qu’on a été directement transférés à la prison de Gabode. Nous y sommes restés jusqu’au 10 février 2000, lendemain de la signature de l’accord cadre avec le Frud-armé de feu Ahmed Dini, qui a été signé à Paris le 7 février 2000. Je suis donc passé encore une fois par la case prison pour une période de deux ans et quatre mois. J’ai donc passé près de la moitié de la décade des années 1990 derrière les barreaux et payé très cher mon engagement politique. Et en 2002, quand la période de dix ans de multipartisme limité à quatre partis est arrivée à son terme, j’ai fondé mon propre parti le PDD le 11 novembre 2002 avec l’avènement du multipartisme intégral.

Quels sont les idéaux et la ligne politiques de votre parti ?
Notre projet politique et notre idéal c’est tout simplement la défense des intérêts supérieurs de la nation djiboutienne et la bonne gouvernance.

Pourquoi y a-t-il deux candidats de l’Union pour le salut national (USN) ? Est-ce que vous ne favorisez pas un émiettement des voix de l’opposition et partant une victoire du candidat IOG ?
C’est une question pertinente qui revient souvent dans la bouche des journalistes que je rencontre. Dans l’absolu, l’idéal serait que l’USN ne présente qu’un seul candidat. Mais plusieurs lignes s’affrontaient [dans la coalition de l’opposition, NDLR]… La charte qui a été faite après les élections législatives de février 2013, prévoyait qu’on présente un candidat. A ce moment là, nous avons proposé de faire ce choix et de désigner notre candidat en octobre 2015. Mais certains partis ont exprimé des réticences à cette option, préférant poursuivre la mobilisation populaire pour faire tomber le régime en place. Au début, c’est cette seconde option qui s’est imposée à tout le monde. Mais à la suite des accords cadres avec l’UMP, nous sommes revenus à la première ligne où il fallait faire le choix d’un candidat unique. C’est ce qui a été décidé à la fin du mois de janvier. Le 6 février dernier, lors d’une réunion de désignation du candidat a été organisée, nous avons constaté un défaut ou un vice dans l’article qui devait statuer sur la désignation du candidat unique. En réalité, il nous manquait les critères et le profil qui devait s’imposer comme candidat naturel. La clause précisait seulement que le choix de la désignation relevait de la discrétion du haut conseil qui devait proposer le candidat. Ce haut conseil est composé des huit partis signataires de la charte de l’USN, qui sont l’Allance républicain pour le développement (ARD), le mouvement pour le renouveau démocratique (MRD), le parti djiboutien pour le développement (PDD), l’Union pour la démocratie et la justice (UDJ), le parti national démocrate(PND), le Mouvement pour la démocratie et la liberté (MODEL) (les six premiers partis), rejoints plus tard par le rassemblement pour l’action, le développement et la démocratie (RADD) et le centre des démocrates unifiés (CDU). Pour la petite histoire, le RADD s’est joint à l’USN au cours de la campagne électorale des élections législatives mais le CDU est arrivé un ou deux mois après les élections. Ce sont donc les chefs de file de ces huit partis qui composent le haut conseil de l’USN. Certains spécialistes ont intégré l’instance dirigeante de la coalition pour des aspects et des besoins pratiques et techniques. Donc, le haut conseil s’est retrouvé devant un choix cornélien avec les trois candidats qui se sont déclarés parmi la coalition. C’est ce qui m’a poussé avec un autre candidat de spécifier certains critères pour faire le choix du candidat unique. A ce moment là, certains représentants du parti MODEL ont proposé de laisser de côté la charte sous prétexte que la mise en place de critères allait prendre du temps, et à la place ils ont proposé de faire une rencontre entre les trois candidats et les anciens et les sages de la coalition de l’USN. L’un s’est désisté et il a été proposé de faire une prière pour départager les deux candidats restants. C’est à partir de ce moment là que j’ai constaté que la charte devenait caduque. J’ai donc opposé une fin de non recevoir à cette idée. J’ai décidé de passer outre et de déposer ma candidature le 28 février 2016. Et quand j’ai quitté la coalition, l’UDJ a décidé de me suivre tout comme le RADD. Donc, il ne restait plus que cinq partis qui sont restés. Le MRD avait déjà refusé de participer à cette élection. C’est donc la non-application de la charte qui a provoqué cette dislocation.

Pourquoi êtes-vous candidat ? Que pensez-vous que vous pourriez apporter au pays si vous étiez élu à sa tête ?
Je voudrais déjà partager certains constats avec vous sur la gestion du pays. Je vous signale que j’ai été haut fonctionnaire dans l’administration publique depuis l’indépendance. A l’époque, l’administration était vraiment viable. L’autorité de l’État était présente et personne ne pouvait se permettre des écarts ou des passe-droits. Les textes et les lois étaient respectés à la lettre. Aujourd’hui, l’administration est devenu un foyer de laxisme, de non-viabilité, l’écrit a pratiquement disparu et tout se fait oralement. Il règne une ambiguïté totale sur les rôles et les missions de chaque maillon de la chaine. Tout cela résulte d’un laisser-aller pitoyable qui a mis à genoux nos institutions publiques. Nous sommes donc devant l’obligation de remettre l’État debout. Le constat de ce délabrement est dans toutes les sphères et tous les secteurs. La santé ou l’éducation n’échappent pas à cette tendance. Que constate-t-on par exemple à l’éducation nationale ? Des jeunes détenteurs de diplômes de licence ne savent même pas lire et écrire. Pour ce qui est de la santé, on inaugure des bâtiments et des centres de santé, mais il n y a pas de médicaments, pas de soins, le patient doit tout acheter, tout va de pire en mal avec cette gouvernance... La mauvaise gestion et la mal gouvernance ont gangréné toutes les sphères du pays. La culture de la bonne gestion et de la bonne gouvernance doit être rétablie dans l’administration et les institutions publiques.

Les termes de l’accord cadre entre l’UMP et l’USN n’ont pas été respectés selon le constat posé par une frange importante de l’opposition. Quel est votre opinion à ce sujet ?
Je pense que le respect de la démocratie impose à l’opposition de montrer un peu plus de considération à la majorité qui a tout de même mis en application de larges pans de l’accord-cadre, le reste est en voie d’application. Donc, l’opposition doit aussi montrer un peu de bonne foi.

Avez-vous bénéficié d’un financement public ? Si non, comment financez-vous votre campagne ?
Vous devez savoir que nous ne recevons pas de financement public. La loi actuelle sur les élections ne prévoie pas de financement public. C’est la raison pour laquelle je crois que le Parlement devrait se pencher sur cette question. J’espère que ce sujet fera l’objet d’une prochaine loi favorisant le financement des campagnes mais également des partis politiques. C’est vrai que l’UMP ne se gêne pas pour utiliser tous les biens de l’État en n’accordant aucun moyen aux partis de l’opposition ou aux candidats indépendants. C’est totalement injuste et illégal au regard de la loi. Je finance donc ma campagne avec mes propres moyens et l’appui des sponsors qui soutiennent ma candidature.

Au sujet de la répartition du temps de parole sur les antennes et les ondes radiotélévisés, comment se passeront les choses cette fois-ci ?
Vous voyez bien que la RTD ne fait que la campagne de l’UMP. On ne voit à la télévision et on n’entend à la radio que la voix des partisans du président IOG. Pour la durée de cette campagne électorale, il a été établi un créneau horaire de soixante minutes à la télé et sur la radio pour toute la durée de la campagne, c’est à dire 13 jours, c’est vraiment trop peu. Je trouve que ce temps de parole n’est pas suffisant. Vous constatez avec moi que la RTD c’est la chasse gardée du régime qui organise des meetings même avant la campagne électorale.

Quels sont les grands défis que notre pays doit relever dans les prochaines années ?
Le devenir de notre pays est lié à notre voisin, donc plus l’Éthiopie se développera, plus elle tirera notre croissance et notre essor économique. La stabilité et le développement de notre grand voisin est la clé de notre avenir.

La loi interdit les partis politiques à caractère religieux. Quel jugement portez-vous sur cette loi ? Pensez-vous que la politique et la religion sont les deux faces d’une même pièce ?
Je pense qu’il faut séparer la religion et la politique, donc l’esprit de cette loi me convient parfaitement.

Que pensez-vous de la stratégie de développement accrochée à la locomotive éthiopienne et le partenaire chinois visant à faire de Djibouti le grand hub de la sous région ?
Je pense avoir donné mon assentiment à cette stratégie.

Comment comptez-vous lutter contre le chômage des jeunes diplômés ?
D’abord en développant la formation qui doit être prioritaire. Actuellement, de nombreux emplois sont occupés par une main d’œuvre étrangère, du fait de manque de formation et de compétences chez nos jeunes. Le LIC qui existe depuis les années 1980 est presque à l’abandon et ses bâtiments et infrastructures sont dans une vétusté et un délabrement sans nom. Il faut donc mettre l’accent sur la formation de nos jeunes pour les accompagner dans le marché du travail. On ne pourra pas tout absorber d’un seul coup. Et laisser certains jeunes étudiants aller au bout de leurs études supérieures à l’étranger et ces gens là pourront occuper les hautes fonctions dans les instances et les organisations internationales pour les quotas de Djibouti. On doit favoriser l’émulation chez une certaine élite qui pourra défendre nos intérêts dans les instances internationales. Donc on ne doit pas arrêter notre cycle de formation supérieure à la licence, il faut encourager les jeunes et les accompagner à aller plus loin encore.

Comment appréhendez-vous la CENI telle qu’elle a été mise en place ?
La CENI n’est pas du tout représentative de la diversité des candidatures. Je pense que c’est un leurre qui doit servir à instaurer une confiance insidieuse et fragile et éviter ainsi le piège du boycott populaire et celui de l’opposition. Mais nous avons tout de même voulu donner au peuple une autre alternative que le pouvoir et ses représentants. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai pu être élu député à l’Assemblée nationale.

Pensez-vous qu’il y aura un deuxième tour ? Si oui, quelles sont vos chances ? Est-ce que l’opposition va soutenir le candidat qui ira au second tour pour affronter le candidat IOG ?
Je pense sincèrement qu’il y aura un second tour à cette élection. Et oui, je pense que l’opposition se mettra d’accord le moment venu à soutenir le candidat de l’opposition qui ira affronter le candidat IOG au deuxième tour. Pour nous ce serait le meilleur scénario.

Si demain, vous êtes celui que les Djiboutiens choisissent pour diriger le pays, quels sont les actes que vous poserez pour les cent premiers jours ?
Deux choses comme je l’ai dit tout à l’heure, la formation des jeunes et la santé. Ce sont les deux secteurs clés qui emporteront mes priorités.

Propos recueillis par Mahdi A.

 
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