Human Village - information autrement
 
Un rapport étrille le duopole GXA et Amerga
par Mahdi A., août 2020 (Human Village 39).
 

En septembre 2019, Ernst & Young et associés, un des plus importants cabinets d’audit financier et de conseil au monde, a remis à notre gouvernement un rapport intitulé « Étude opérationnelle d’analyse, évaluation et perspectives du secteur bancaire et financier à Djibouti ». On notera le très faible bruit médiatique qui a accompagné la parution de ce document. Nous avons décidé d’organiser son commentaire en trois articles. Le premier volet de cette série concerne le diagnostic du secteur des assurances. Les analystes d’Ernst & Young mettent en lumière la nécessité de procéder à des réformes profondes afin que ce secteur essentiel puisse mieux accompagner l’essor de l’économie djiboutienne. Ils le décrivent trusté par deux sociétés qui dictent leurs lois tarifaires aux dépens des particuliers et des familles, dans l’opacité la plus complète et sans que les institutions réagissent. Pour les rapporteurs, des réformes sont nécessaires. Ils proposent notamment quatre axes pour améliorer la gouvernance du secteur : « Faible taux de pénétration de l’assurance : une opportunité de développement pour le secteur » ; « La micro assurance : catalyseur de l’initiative privé des toutes petites entreprises » ; « Capitaliser sur le rôle d’investisseur institutionnel du secteur des assurances » ; « Veiller à l’ouverture et à la diversification du secteur ».

Un indicateur ne manque de susciter le débat : le taux de rentabilité des capitaux propres, c’est-à-dire le rapport entre le résultat net et le capital investi par les associés ou actionnaires. Il aurait dû alerter depuis longtemps sur cette situation problématique, notamment au vu des récriminations des automobilistes. Ceux ayant eu un accident matériel, mais aussi corporel, ont souvent l’impression de voir leurs droits bafoués lorsqu’ils réclament la réparation du véhicule ou le paiement des soins médicaux. Les assurés comprennent tristement que le duopole engrange rapidement les recettes des primes d’assurance - puisqu’il n’a qu’à se croiser les bras nonchalamment en attendant le chaland -, mais que pour lui faire délier sa bourse, c’est une toute autre histoire… Au-delà des sentiments des uns et des autres, pour se faire une véritable idée sur la question rien de mieux que les chiffres, ils ne mentent pas. A leur lecture, il apparait que GXA et Amerga mettent peu d’entrain à régler les dossiers de sinistres, au point que l’on peut s’interroger : quelle est la part de stratégie calculée dans la lenteur du traitement des déclarations de sinistres auprès des deux assureurs ? Ces deux assureurs sont en réalité les maîtres de l’horloge. De quel recours dispose les assurés qui s’estiment lésés ? Les tribunaux… Il faut dire ce qui est, peu s’y aventurent de leur plein gré. Une avocate respectée de la place avait trainé l’assureur GXA en justice pour le non remplacement d’un rétroviseur alors que le constat montrait pourtant que l’infraction avait été causée par l’autre véhicule… assuré chez le même assureur. Renvoyant ses deux clients dos à dos, l’assureur refusait de payer les réparations de l’un comme de l’autre. La belle affaire ! L’avocate a pu se permettre ce luxe, mais il n’est pas à la portée à n’importe quel quidam de défier les assureurs devant les tribunaux. Quid des frais de justice ? Quid des appels, des renvois de l’instruction ? Quid des demandes de reports ? Pour la petite histoire, rappelons que la procédure engagée par Moussa Ainan Abdillahi contre la compagnie Ethiopian Airlines, concernant les indemnités pour les graves séquelles qu’il a subies lors du crash du vol 961 du 23 novembre 1996, a pris fin plus de vingt ans après les faits… On comprend vite que le rapport de force est en faveur des assureurs, et qu’il semble vain de chercher une voie de salut auprès de la Justice. Il faut composer avec eux, puisqu’ils auront le dernier mot.

Le rapport nous informe sur cette question du règlement des sinistres : « Améliorer la cadence de règlements des sinistres par les compagnies d’assurance : avec un taux de liquidation des sinistres de 25,4%, les assurances djiboutiennes affichent des taux bas en comparaison avec les données des marchés CIMA [1], qui s’élève à 56,6% en 2016. Cette lenteur de règlement des sinistres ne favorise pas le recours des Djiboutiens aux services des assurances qui peuvent lui préférer des formes classiques d’auto-assurance ».
Cette comparaison accable en laissant penser à de coupables stratagèmes déloyaux pour gagner du temps, donc prendre la main et imposer son arbitrage. La justice devrait ouvrir une instruction préliminaire sur ce point pour y voir plus clair, afin de lever le doute sur une possible escroquerie en bande organisée de vaste ampleur ! Dans le prolongement de cette même idée, quelle lecture avoir de la ligne budgétaire « provisions », censée pourvoir aux dommages en instance de règlements. En effet, n’est-il pas envisageable qu’un montant substantiel de celle-ci vienne gonfler les profits des actionnaires. Quelles sont les chances que le client, bien que, s’estimant lésé, en vienne à accepter les conditions fixées par l’assureur, voire à abandonner ses prétentions de réparation se refusant à dépenser son énergie, son argent et son temps en procédure de dénonciation et de contestation ?
C’est la raison pour laquelle il est urgent de mettre en place une tierce autorité pour protéger les consommateurs contre les abus de ce duopole. Ne cherchons pas à réinventer la roue, reproduisons ce qui a été réalisé ailleurs et parait fonctionné correctement, en instaurant un médiateur dédié aux assurances.

Que dire aussi du système d’assurance des véhicules de l’État en contrepartie d’une sorte de compensation dans le calcul du versement des taxes et impôts ? Selon des informations récoltées auprès d’une source informée, le ministre du Budget, Abdoulkarim Aden Cher, serait bien inspiré de jeter un œil de plus près à cet accord - et ses modalités d’exécution -, il n’est pas exclu que l’État se fasse rouler dans la farine.

Pour Ernst & Young, cette concentration va de pair avec une santé financière des opérateurs privés plutôt flatteuse. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant pour les clients de ce duopole qui voient, année après année, la facture des primes s’alourdir considérablement. On parle d’un chiffre d’affaires en 2017 de plus 3 milliards de nos francs. Il repose essentiellement sur le marché de l’assurance automobile qui représente environ 60% du chiffres d’affaires du secteur « soit 2,1 milliards de FDJ des primes d’assurance en 2017, alors que la branche représente 45% des primes en Tunisie, 27,1% au Maroc et 33% au titre des marchés CIMA (non-vie). »
Les experts ajoutent que « l’analyse de la performance du secteur des assurances montre une forte rentabilité des deux opérateurs, avec des ROE de 29,6 et 26,6% respectivement pour les années 2016 et 2017. La lecture de ces forts taux de rentabilité et de la forte proportion de la branche automobile dans les primes émises, explique l’absence de motivation des deux opérateurs du secteur des assurances à diversifier leurs offres de produits. »

A l’aune des résultats nets affichés par ce secteur, Ernst & Young ne manque pas dans leurs conclusions, qui épinglent GXA et Amerga dans les grandes largeurs, de recommander entre autres aux « compagnies [de] baisser les tarifs d’assurance : avec un taux de sinistralité globale de 32,9% au titre de l’exercice 2017 et suivant une tendance baissière depuis l’année 2015, les compagnies d’assurance djiboutiennes affichent une marge technique confortable leur permettant d’adopter des tarifications plus attractives ».
En considération de ce qui précède, comment ne pas sourire a posteriori à la lecture du procès-verbal de la réunion de la sous-commission économie-finance-solidarité relative à la crise du Covid du 7 avril 2020 réunissant le gouvernement et le secteur financier. Au cours de cet échange le directeur général de GXA assurance, David Boucher, tenait des propos sidérants : « Ce dernier a informé que son entreprise sera fortement impactée par la crise actuelle car le confinement oblige les particuliers à rester chez eux et donc ils ne peuvent pas venir renouveler leur contrat d’assurance ». C’est le comble du comble, alors que le confinement a réduit la circulation automobile et donc les accidents. Il ne fait pas de doute que les assureurs sont les grands gagnants de cette crise. David Boucher veut nous faire oublier que les Djiboutiens attendent que les assureurs fassent un geste pour soutenir les ménages et les entreprises en rediscutant leurs contrats.

La coupe n’est pas pleine. Les analystes déplorent l’activité insuffisante des assurances. Ils appellent le secteur à évoluer afin de jouer un rôle plus dynamique pour soutenir et accompagner l’économie. Ce qui est reproché aux assureurs est de ne pas être assez innovants. Ils doivent inventer de nouvelles offres qui permettent à tout le monde de vivre en toute quiétude, car un accident peut vite arriver. Des pistes sont envisagées notamment dans la micro-assurance avec des offres adaptées, comme l’assurance agricole, l’assurance catastrophe naturelle, l’assurance-terrorisme, l’assurance chômage, l’assurance étudiant, l’assurance maladie, l’assurance incendie... Et d’enfoncer le clou en appelant à « L’ouverture du secteur à des nouveaux opérateurs de l’assurance incitera le secteur à une plus grande innovation dans la conception de produits nouveaux, la réduction de la tarification et l’amélioration de la qualité des services. »

Enfin, il faut reconnaitre que l’État paraît mal armé pour contrôler cette activité laissée sans garde-fou. Cette situation nécessite un renforcement de l’arsenal juridique qui donne la priorité à la protection des consommateurs contre les abus manifestes. Il faut agir en profondeur pour lever les nombreux problèmes en suspens, notamment le manque de transparence des assurances. Il faut signaler qu’un an après ce diagnostic accablant, rien n’a changé : les autorités politiques seraient-elles réfractaires aux réformes ?

Mahdi A.

Additif : Suite au vif intérêt suscité par ce sujet de la part de nos lecteurs, notre rédaction veut revenir sur le thème des assurances à Djibouti pour analyser dans un article documenté les pratiques constatées par les usagers. Pour ce faire vos témoignages nous intéressent : ils alimenteront notre enquête ! Prenez quelques minutes pour nous transmettre votre expérience sur le sujet, elle nous permettra de mieux appréhender la réalité du monde des assurances et notamment de possibles procédés malhonnêtes relatifs à la branche automobile. Merci de nous contacter à notre adresse mail : contact@human-village.org.


[1Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances

 
Commentaires
Un rapport étrille le duopole GXA et Amerga
Le 29 août 2020, par aden abdi salan.

Aucune loi ne réglemente à ce jour les assurances à djibouti.
Les parlementaires ne veulent rien faire ou ne savent même pas qu’il y a aucune texte de lois.
La loi du 30 juillet 1930 est applicable à djibouti à ce jour.

 
Commenter cet article
Les commentaires sont validés par le modérateur du site avant d'être publiés.
Les adresses courriel ne sont pas affichées.
 
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 
L’UE devient observateur du Code de conduite de Djibouti
 
Trois nouveaux opérateurs logistiques en Éthiopie
 
Les économies africaines et la transformation numérique
 
Menace de grève d’enseignants du Lycée français
 
Les aromates à Djibouti : commerce ou production ?
 
France, Djibouti, Chine : des stratégies surtout militaires
 
| Flux RSS | Contacts | Crédits |