Le hasard faisant bien les choses, j’ai fait une belle rencontre en centre ville jeudi dernier, en la personne de Simane Souleiman Mohamed - préfère être appelée par son surnom, Sisi. Il faut dire qu’elle ne passe pas inaperçue. Il n’est pas très commun de voir une jeune fille au volant d’un scooter à Djibouti-ville, encore moins coiffée d’un énorme casque jaune brillant, vêtue de surcroît d’un fin pantalon bleu, d’un polo jaune et de baskets… Arborant un léger sourire aux lèvres en passant à ses côtés, alors qu’elle s’apprêtait à démarrer son bolide… Prenant cette mimique sur mon visage pour une sorte de moquerie masculine à l’égard des femmes en moto, elle n’hésite pas à me héler et me demander ce qui me fait sourire ! Après m’être expliqué, de nature curieuse, je n’ai pas pu m’empêcher de m’enquérir sur son métier et les difficultés liées au fait d’exercer dans la circulation un peu folle du centre-ville et de surcroit dans une activité plutôt considéré comme masculine. Elle retire son casque qui, me dit-elle, l’étouffe un peu, ajoutant qu’à l’intérieur c’est une véritable fournaise. Quelques cheveux frisés apparaissent au-dessus de son large front, bien qu’enroulés autour d’un épais voile noir, ce dernier n’arrive pas à couvrir entièrement sa chevelure. Le visage de Sisi est fin, allongé, son sourire rayonnant. Sa joie de vivre est contagieuse, son énergie débordante, et a le contact facile, elle raconte son métier et une tranche de sa vie sans filtre … Son récit est touchant, poignant. Elle se refuse d’obéir aux stéréotypes, elle veut les défaire, les combattre. Pour elle, les femmes devraient être traitées de la même manière que les hommes. Elle condamne les discrinations qui découlent de ces représentations d’un autre temps. La fibre féministe chevillée au corps, elle dit vouloir agir pour lutter contre le sexisme qui serait selon Sisi, l’un des plus grands fléaux de notre société. Rencontre...
Simane Souleiman Ahmed est née en l’an 2000, elle a 18 ans. Elle est issue d’une fratrie de 14 enfants, un frère et une sœur seraient plus jeunes qu’elle, l’un serait de 1989 et la dernière de 2007. Son père ne travaille plus depuis l’an passé, licencié de son poste de chauffeur auprès de la société Solar. Sa mère, bien qu’ayant poursuivie des études, n’a jamais occupé un emploi rémunéré, elle a préféré se consacrer à ses enfants. C’est la raison pour laquelle elle est heureuse d’avoir été recrutée à la Poste, c’est une véritable aubaine pour sa famille, confie-t-elle. Son salaire est la principale ressource de la famille. Tous ses frères et sœurs seraient désespérément à la recherche d’un emploi. Elle vit avec sa parentèle à Ambouli, dans une maison ayant appartenu à son grand-père. Sa famille n’a donc fort heureusement pas à s’acquitter d’un loyer, qu’elle aurait été en incapacité de payer. Leur habitation n’a plus d’eau courante ni d’électricité depuis plusieurs années, elle m’assure pourtant ne pas voir cela comme quelque chose de si pénible ; par la force des choses, on s’en accommode très bien avec le temps m’affirme-t-elle… Une femme au volant d’une moto ce n’est pas habituel chez nous, il faut le reconnaitre. Pourtant à l’entendre, être une femme dans ce métier ne lui pose aucun problème raconte-t-elle avec une certaine espièglerie.
« Les clichés, toujours les clichés, pourquoi une femme en moto forcément cela fait sourire à Djibouti ? La moto, ce n’est écrit pourtant nulle part, que c’est réservé aux hommes … ce qui est saugrenue, c’est de le penser !
Effectivement nous ne sommes pas nombreuses, mais Il m’importe peu même le cas échéant d’être la seule fille en scooter à circuler dans les artères de Djibouti-ville. Moi, je suis tombée dedans toute jeune. Je ne me rappelle même pas l’âge que j’avais lorsque j’ai enfourché ma première moto. Il faut que les djiboutiens grandissent, il nous faut dépasser les préjuger, car tout le monde peut tout faire professionnellement Personnellement rien ne m’effraie, je me considère au minimum l’égal de l’homme, j’ai par le passé été maçon sur des chantiers de construction, j’étais rémunérée à la journée, l’équivalent des hommes, selon la difficulté des chantiers entre 1500 et 2000 FDJ. Je n’ai jamais été prise à défaut sur mon rendement ou, encore moins, à me plaindre d’une quelconque pénibilité la tâche confiée. D’ailleurs j’ai essayé de me faire enrôler à l’armée au terme de ma formation de huit mois dans le cadre du programme FETTA ; mais mineure contrairement à mes collègues d’armes, je n’ai pas pu être enrôlée. La formation était rémunérée 25000 FDJ, somme que je reversais à ma mère. Faute de pouvoir m’enrôler, comme sorte de lot de consolation, j’ai été acceptée au sein de l’équipe de football féminin de l’armée. Le rythme était infernal, en dehors des entrainements et exercices intensifs ou des matchs de compétition, l’armée ne manquait jamais de nous trouver de quoi nous occuper. Pour celles qui douteraient des aptitudes des femmes à accomplir les mêmes taches que les hommes, je les encourage à aller faire un passage dans les rangs de notre armée. C’est une belle école de la vie pour se convaincre de l’égalité entre les deux sexes ».
Pourquoi n’a-t-elle pas essayé de postuler sous le drapeau sa majorité atteinte pour y faire carrière ? L’argent évidemment, répond-elle. Elle avait besoin de gagner davantage pour supporter ses parents pris dans la tourmente de la gestion du quotidien. « Pour le foot, on percevait ce que l’on nomme le trousseau, une somme forfaire de 17000, que l’on nous versait en espèces. Entre mes huit mois de formation et les deux années où j’ai joué dans l’équipe, j’aurai presque fait trois ans dans les rangs de l’armée ».
Comment lui est-elle venue l’idée de postuler à la Poste ?
Comme si cela allait naturellement de soi, elle me dit, avoir appris que des recrutements pour des postes de coursiers étaient proposés, avec aucune discrimination ou différenciation sur la question genre entre les postulants. « Sur les six postes à pourvoir, deux femmes – dont moi - ont été retenues. Pour être honnête, je ne pense pas que l’on démérite par rapport à nos collègues masculins, je pense même plutôt que c’est le contraire », ajoute-t-elle avec un sourire au coin !
En quoi consiste le job ?
« Je livre des plis, des documents et des colis urgents, en ville. Aucune formation nécessaire n’est requise, ni le moindre permis pour les scooters de moins de 50 cc. Il s’agit tout de même d’un métier exigeant et stressant dans lequel évidemment, nous sommes exposés aux risques de la circulation. Les djiboutiens sont des chauffards, ils slaloment entre les voitures, grillent les feux rouges, effectuent des dépassements par la droite, ne craignent pas de rouler en sens inverse, ne savent pas toujours cédez le passage… on croirait qu’ils ont oublié le code de la route ! Il faut constamment être sur ses gardes au volant. Depuis notre recrutement, le 1 févier dernier notre équipe n’a heureusement connu aucun accident, même si nous sommes poussés par la pression qui nous demande d’aller très vite et de livrer toujours le plus rapidement possible : il faut savoir donc concilier les impératifs du service et la prudence pour éviter les dangers de la conduite d’un motocycle en plein ville. En moyenne j’effectue tous les jours entre vingt et trente courses, entre 8h du matin et 16h30. On a une heure pour déjeuner. En général, je ne déjeune pas et me contente de déambuler à pieds en ville en attendant de reprendre le service.
Mon salaire, 40 000 par mois, je le verse à la famille. »
La rémunération lui semble-t-elle satisfaisante ?
« Bien sûr que non, mais c’est mieux que rien. »
Revenant à la charge, je lui ai demandé si elle souhaitait adresser un message au directeur de la Poste, pour améliorer quelque peu ses conditions de travail ? Gênée par la question, elle ose après quelques secondes de réflexion, formuler des améliorations utiles : « Oui, par exemple, cela serait bien que nous puissions disposer au minimum de trois tenues de travail. Il fait tellement chaud que c’est pénible de travailler qu’avec une seule tenue. Nous sommes la journée entière sous le soleil, et avec le ramadan, c’est encore moins évident. A force de laver tous les jours la seule tenue à notre disposition, elle commence à rendre l’âme et va finir en haillons. Dans quelques jours, notre pays va célébrer la Aid el fitr. Si les coursiers – nous sommes les plus bas salaires - pouvaient recevoir une prime exceptionnelle afin de nous permettre de célébrer les festivités à l’instar de nos compatriotes, cela serait une très aimable attention de la direction. »
Simane Souleiman Ahmed est une jeune dame dont l’engagement auprès des siens force le respect. Son courage et sa force de caractère méritent d’être mis à l’honneur. Les idées combatives qu’elle promeut pour accorder une place plus juste aux femmes au sein de notre société, pourraient-être accompagnées par l’action publique en surfant notamment sur l’image et le parcours de "Sisi" pour déconstruire la représentation sociale du masculin et féminin. Que cela soit à travers les médias, ou des rencontres collégiens, lycéens, étudiants avec des femmes qui s’imposent dans des métiers supposément d’hommes, pour défaire les idées reçues pourraient s’avèrer payant pour un choc des mentalités. Il s’agira aussi de signifier très clairement aux jeunes filles, qu’il leur appartient de se battre pour briser le plafond de verre, que rien ne leur sera donné par générosité dans notre terre d’Islam, elles devront arracher les avancées revendiquées, attendues.
Enfin, on peut considérer que 40 000 FDJ par mois pour travailler en extérieur, à braver la pluie, le soleil, et les chauffards, est pour le moins une rémunération indécente, et ce d’autant plus que le job est contraignant, sa pénibilité évidente, la prise de risque réelle… Le directeur de la Poste, Bahnan Ali Maidal serait bien inspiré de se pencher sur ces situations salariales extrêmement précaires.
Mahdi A.
Cher Mahdi,
merci pour ton article qui met en avant une facette des métiers de la Poste et qui plus est une factrice.
Je suis conscient de la pénibilité du travail et les responsables concernés préconisent toujours des améliorations mensuellement.
Juste une précision ; cette jeune factrice est stagiaire pendant 4 mois avant que son responsable fasse une évaluation qui donnera lieu à son recrutement en cdi ou pas.
Les 40.000 fd sont donc une petite prime de motivation et en aucun cas un salaire mensuel qui je te rassure sera plus décent eu égards aux dispositions du code du travail djiboutien.
Bien à toi et bravo encore pour ton site web ; c’est un plaisir de lire un vrai professionnel.