La presse internationale a donné un retentissement important à la signature de l’accord commercial entre Dubaï Ports World (DP World) et le gouvernement autoproclamé du Somaliland pour la gestion du port de Berbera au nez et à la barbe du groupe français Bolloré.
DP World a signé le 9 mai dernier avec les autorités somalilandaises, un contrat de concession du terminal de Berbera pour les trente prochaines années. La société émiratie devrait investir 442 millions de dollars sur la durée de la concession en plusieurs phases. Les autorités somalilandaises espèrent en faire un port d’envergure avec pour ambition de concurrencer à terme le corridor de Djibouti.
On peut considérer que cette nouvelle acquisition émiratie va conférer une certaine cohérence et une complémentarité entre les deux ports tout en évitant qu’ils se livrent une guerre de prix pour grapiller des parts de marché. D’un point de vue géostratégique pour Djibouti, cette prise de participation par Dubaï Ports World s’apparente à une belle aubaine. Ce scénario s’avère moins risqué que si le groupe Bolloré avait pris pied à Berbera.
Les Émiratis n’ont pas fait les choses à moitié manœuvrant pour faire prendre langue l’Ethiopie avec le gouvernement autoproclamé du Somaliland. De ce conclave a débouché la signature le 31 mars 2016 d’un accord de commerce de transit le long du corridor reliant l’Éthiopie au port de Berbera, par lequel les autorités éthiopiennes s’engagent à faire transiter d’ici à 2020, jusqu’à 30% de leur trafic marchandise. Ce document vaut son pesant d’or : il donne l’assurance aux émiratis que les investissements consentis pourront être amortis.
Or, depuis le conflit avec l’Erythrée en 1998, Djibouti est le seul débouché maritime du géant éthiopien aux 100 millions d’habitants.
Et si tout ce vacarme autour du port de Berbera était finalement… qu’un grand coup de bluff des Éthiopiens et des Émiratis dans une partie de poker menteur !
Selon de nombreux observateurs, les choses ne sont en effet pas aussi simples. Cette prise de participation du groupe DP Wolrd à Berbera n’est pas sans lien avec le lourd différend commercial qui oppose DP World et le gouvernement djiboutien sur la gestion du port du Doraleh Container Terminal.
Les Émiratis espèrent probablement faire plier le gouvernement djiboutien en se positionnant à Berbera afin de l’amener à revoir sa copie quant à ses intentions sur le sort du DCT…
Quant aux Éthiopiens, ils sont conscients que l’ouverture du port multipurpose de Doraleh en mai 2017 et la gestion du site par la China Merchant Holding sonnera le glas de la mainmise éthiopienne sur les activités portuaires. Du fait que la gestion du port ne sera plus comprise dans le domaine public, elle deviendra privée, des changements importants surviendront notamment dans la tarification en vigueur, l’accord sur l’utilisation du port de Djibouti et le transit des marchandises (25A-ETH du 13/04/02) nous liant à l’Éthiopie, et la concession accordée à la SDTV.
Les enjeux financiers sont tellement énormes qu’il n’est pas étonnant que le « chiffon rouge » de Berbera, soit agité aussi bien par la partie émiratie que l’éthiopienne. Ce que l’on voudrait nous présenter comme une épée de Damocles, pourrait être tout simplement un coup de bluff pour amener le gouvernement djiboutien à des positions beaucoup plus accommodantes…
A cette étape de l’analyse, il est important de rappeler que le port de Berbera est sous équipé, non conteneurisé et que les 215 kilomètres allant de Berbera à la frontière éthiopienne de Gabiley n’offrent pas d’accès routiers adaptés au transport commercial. S’ajoute à ce tableau, la précarité juridique de l’État autoproclamé de Somaliland dont la souveraineté n’est pas reconnue par la communauté internationale.
Cette situation pèse lourdement sur le développement du port de Berbera, puisqu’elle ne permet pas aux grandes lignes maritimes d’y faire escale. D’autres contraintes assombrissent également l’horizon liées à l’instabilité chronique de la Somalie, avec pour conséquence la piraterie, le kidnapping du personnel maritime ou encore la présence de terroristes islamistes shebbabs à quelques encablures de Berbera…
Si ce n’était pas suffisant pour démontrer que Djibouti n’a rien à craindre de l’émergence d’un port d’envergure à Berbera, on pourrait signaler le brusque ralentissement de la croissance éthiopienne, qui selon le FMI sera divisée par deux en 2016 pour atteindre 4,5%.
L’environnement économique, juridique et sécuritaire permet de relativiser « les menaces » d’un détournement du trafic maritime éthiopien.
Comment nous délier de la mainmise d’Ethiopian Shipping Line, Maritime Transit Service of Ethiopia et de la SDTV sur les activités portuaires ?
Une jurisprudence existe en la matière : l’accord supposé être perpétuel sur les facilités portuaires entre le Chili et la Bolivie a été annulé à la suite de la privatisation en 2004 des ports d’Arica et d’Antofagasta. Il ne doit pas en être autrement à Djibouti !
L’accaparement des activités portuaires les plus lucratives par la partie éthiopienne ne peut enchanter les Chinois qui veulent amortir leurs importants investissements. Les Chinois savent qu’ils ne peuvent se passer des revenus du cargo, de la manutention et du vrac. Ils n’ont sans doute pas injecté des montants aussi importants dans le chemin de fer, les routes et les ports en eaux profondes pour permettre à Ethiopian Shipping Line, Maritime Transit Service of Ethiopia et SDTV d’augmenter encore leurs formidables marges d’exploitation. Le croire serait une grave erreur !
Les cartes doivent être entièrement rebattues ; les opérateurs portuaires djiboutiens n’en finissent pas de s’interroger sur les raisons qui ont pu justifier l’octroi d’une concession exclusive, d’une durée de trente années, pour l’exploitation du vrac à la SDTV dont l’actionnaire majoritaire est le richissime homme d’affaires éthio-saoudien Mohamed Hussein Al Amoudi.
L’argument habituel, selon lequel le secteur public et les monopoles publics ne sont pas suffisamment efficaces ou trop chers, ne semble pas pertinent. La SDTV ne s’est pas gênée pour augmenter les prix de la manutention du vrac. Dès sa prise de contrôle de l’activité en janvier 2007, les prix ont bondi de plus de 120%, passant de 8 à 18,75 dollars la tonne. Le montant des investissements consentis par SDTV ne peut justifier de tels tarifs.
Al Amoudi Charity Trust Fund
L’opération de séduction de François-Louis Meynot, mandataire du Charity Trust Fund, dans les colonnes du journal La Nation [1], énumére les réalisations de la fondation en faveur des dockers et de leurs familles. Cette plaidoirie ne doit pas nous tromper sur le fait que le monopole privé n’a pas à priori d’objectif philantropique…
On peut se demander si un contrôle public de cette activité génératrice de ressources phénoménales ne permettrait pas de mieux répartir les bénéfices de l’exploitation d’un tel monopole dans l’intérêt général ?
Il faut comprendre que la mécanisation nécessaire du terminal vraquier a supprimé pas moins d’un millier de postes de dockers. Cette fondation de bienfaisance vise à panser les plaies, en contribuant à la reconversion des dockers en leur permettant de se tourner vers des métiers moins pénibles. Pour ce faire, la SDTV verse au Al Amoudi Charity Trust Fund un montant proportionnel au volume traité : 0,25 cent par tonne, c’est-à-dire entre 500 000 et 750 000 USD par an consacrés aux dockers et leurs familles.
Même si la somme semble importante, en considérant le grand nombre d’emplois détruits par la modernisation et la mécanisation des infrastructures du terminal vraquier et compte tenu du coût opérationnel des dockers, 4,5 dollars la tonne, qui a été divisé par quatre ou cinq. On peut estimer que la soixante-dixième fortune mondiale et la première d’Éthiopie, aurait pu être plus généreuse envers cette communauté des dockers broyée par la SDTV.
Cette situation pose plusieurs questions. Notre pays est en voie de développement, le niveau de pauvreté y est très élevé, comment se fait-il que les fruits de cette activité extrêmement lucrative ne profitent pas plus aux Djiboutiens ? La SDTV bénéficie d’une rente considérable grâce à son monopole, la question est de savoir si cette situation est bénéfique pour l’économie du pays, et également de connaître la répartition des profits réalisés ? Le PAID perçoit-il des redevances pour les espaces importants qu’occupe la SDTV dans l’enceinte du port ? Comment l’Etat est-il associer aux bénéfices de cette activité ?
Notre demeure commune, Djibouti avant tout !
Lors de son premier discours de son nouveau mandat au palais du peuple, le chef de l’État a voulu mettre chaque Djiboutien face à ses responsabilités. Il indiquait ainsi que seul, il ne pouvait rien !
Il partait du postulat que l’amour que tout un chacun porte à la patrie, à la nation, à notre « demeure commune », guidera chacun de nos pas, chacun de nos actes pour améliorer l’existant et aller encore plus loin sur le chemin de notre développement.
Il nous demandait « chacun à son niveau », de devenir « acteur de sa citoyenneté, créateur d’idées, générateur de solidarité et porteur du message universel de paix et d’espoir ». Et d’ajouter « c’est ainsi que se bâtit une citoyenneté moderne, forte et exemplaire. Et c’est ce chemin que nous allons emprunter, ensemble, en hommes libres, sûrs de notre capacité à réformer autant que de besoin ».
Ces paroles doivent tous nous interpeller, nous inspirer afin de nous mobiliser pour agir et ne plus se contenter d’observer…
Mahdi A.
Photos James Jeffrey, BBC.
[1] « Devoir d’inventaire », La Nation, lundi 16 mai 2016, édition 94.
Effectivement, c’est luctueux de voir une main étrangère, surtout éthiopienne, profitant de notre richesse. Nous devons être poussé par une force en nous, encourager par la honte qui nous hante, à réagir et agir, pour prendre, en notre propre main djiboitienne, les règnes de notre richesse. Pour que le profit soit Djiboutiens et pour que nos chers dockers vivent encore plus mieux, car seul les Djiboutiens savent la valeur d’un djiboutien. Et pour un dernier mot, j’aimerais félicité et encourager M.Mahdi sur ces bonnes analyses, sa bonne façon de comprendre les choses. Et enfin pour son patriotisme absolu.
Cher ami ces commentaires biens écris et biens documentés confirme les commentaires des experts sur les conséquences négatifs en termes de retombes économiques de la signatures du connaissement directe en 2006 à Djibouti et depuis avec l application du multimodale a donné le monopole total à la sociétés MTSE et Éthiopienne Schipping Line sur les activités portuaire les deux études sur le secteur des transports et la logistique de la Banque Mondiale en2013 2014 confirmés tout cela .
Je suis entièrement d accord avec votre titre sur le bluff du Port de Berbera
Sujet qui est toujours d actualités a chaque fois que notre partenaire éthiopien veut renégocier quelques chose mais une chose est sur Aves les perspectives du acivites portuaire des pays de l Afrique de l est le transit éthiopien suffirait pour tous les ports de la region Djibouti Mombassa berbera dans les horizon 2025 2030 les pouvoirs d achat de la classe moyenne va augmenter et les importations de ces pays va croître .mais à court termes les investissements dans le port de berbèra est impensable car Dubaï veux une base militaire en Somalie land et l Ethiopie suspectes tous les pays du golfe de soutenir l Égypte pour le projet du Dam par l Ethiopie donc risque de conflit entre ces deux pays .au contraire le nouveaux port de doraleh DMP va attiré de nouvelles lignes maritime ce qui va conforté la place de hub de Djibouti .omar wahib aref