La déclaration de l’ambassadeur djiboutien en Arabie saoudite, M. Bamakhrama, en date du mardi 8 mars 2016, au sujet de l’ouverture imminente d’une base militaire saoudienne à Djibouti, intervient alors que se déroule sur le sol saoudien le plus grand exercice militaire de l’histoire de la région. L’exercice « Tonnerre du Nord » a pris fin aujourd’hui, jeudi 10 mars 2016. Il a rassemblé tous les pays du golfe persique ainsi que la Jordanie, l’Egypte, le Soudan, la Tunisie, le Maroc, la Mauritanie, Djibouti, les Comores, le Pakistan, la Malaisie, le Sénégal, le Tchad, et les Maldives.
L’annonce précède de vingt-quatre heures le voyage du chef de l’État djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, à Hafr Al Batin en Arabie saoudite. Il est accompagné du ministre de la Défense, Hassan Darrar Houffanehs, et de Mahmoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères.
Ces opérations militaires dans le Nord, près de la frontière avec l’Irak, avaient réuni près de vingt nations. Les Saoudiens voient dans cette alliance militaire « sunnite » l’occasion d’une véritable démonstration de force à l’endroit des Iraniens, des Russes et enfin des Houtis ! Les Saoudiens cherchent à diversifier leurs alliances afin de ne plus dépendre uniquement de leur allié américain. Ces derniers n’ont plus le monopole de la sécurité dans la péninsule arabique.
La décision d’ouvrir une base militaire à Djibouti n’est pas anodine. Djibouti occupe une position centrale sur l’axe contrôlé par le détroit de Bab el-Mandeb, par où transite 40% du pétrole du monde, dans le voisinage immédiat du Yémen, mais également où sont présents les troupes des plus grandes puissances militaires : la France (1750 hommes), les États-Unis (4000 hommes) le Japon (600 hommes) et la Chine, quelque centaines pour l’heure avec un effectif qui risque de grossir considérablement dès l’achèvement des travaux en 2017 de la base navale à Doraleh.
En se positionnant à Djibouti, les Saoudiens cherchent à envoyer un signal fort : ce pied à terre à l’entrée du Bab el-Mandeb matérialise la montée en puissance des responsabilités que les Saoudiens entendent dorénavant assumer aux côtés de leurs partenaires, non seulement dans la péninsule arabique mais également dans ce carrefour stratégique. Cette lecture nous indique qu’ils s’affranchissent donc de leur dépendance vis à vis des Etats-Unis et qu’ils ne comptent plus exclusivement sur ces derniers pour défendre leur territoire ou leurs intérêts régionaux.
L’accord conclu entre Djibouti et l’Arabie saoudite va dans le sens de cette analyse. L’Arabie n’aurait pu montrer plus clairement son intention de jouer à l’avenir dans la région un rôle prépondérant - à la tête de trois coalitions - dans les conflits à venir. Cela représente un changement significatif de la politique étrangère saoudienne. Elle ne s’aligne plus dorénavant sur les décisions américaines. Elle n’est pas sans lien à la redistribution de l’influence stratégique dans la péninsule arabique, à la suite de l’accord sur le programme nucléaire iranien, la présence militaire russe en Syrie, et la prise de pouvoir au Yémen par les Houtis de confession chiite, alliés supposés des Iraniens.
La politique étrangère menée par les Saoudiens, comparable à un éléphant dans un magasin de porcelaine…
Il est à craindre que les onze jours d’exercices militaires qui prennent fin aujourd’hui ainsi que l’annonce de l’ouverture d’une base militaire à Djibouti, ne feront qu’exacerber les tensions dans cette poudrière qu’est devenu le Moyen-Orient, où tous les dangers devenant incontrôlables augmentent le risque d’une guerre mondiale. Djibouti prend le risque de se positionner en première ligne en cas de conflit.
Nul ne voit dans l’implantation saoudienne à Djibouti une façon de se positionner dans un face à face à l’Iran. Il s’agit davantage d’une menace économique qu’elle lui adresse. En cas de conflit, les Saoudiens pourraient filtrer les eaux du Bad el-Mandeb, par où transite une partie du pétrole iranien, mais également durablement contrôler les côtes yéménites afin d’empêcher tout ravitaillement en armes des rebelles Houtis ou empêcher les Iraniens de prendre pied au Yémen, à l’instar - du coup de maître - des Russes en Syrie. Enfin, on ne peut exclure que les Saoudiens souhaitent tout bonnement mettre fin aux trafics d’êtres humains qui déferlent en Arabie saoudite, via le Yémen et dont les réseaux très organisés sévissent depuis les régions du Nord de la République de Djibouti ainsi que sur les côtes somaliennes. Cette thèse expliquerait l’appui en renforcement de capacité, ces dernières années, des Saoudiens aux gardes-côtes Djiboutiens.
Et si les Saoudiens avaient juste deux années de retard avec la mise sur pied de la coalition militaire sunnite ?
Personne n’envisage une seconde que les troupes sunnites réunies en Arabie saoudite puissent, un jour prochain fondre sur la Syrie. La présence militaire des Russes a redistribué entièrement les cartes. Les pays de cette nouvelle coalition sunnite pourront-ils s’engager sur cette pente glissante ?
Les Saoudiens savent à quoi s’en tenir sur la question : ils ont eu des difficultés énormes à mettre sur pied une coalition militaire pour une intervention au sol au Yémen, et ce malgré les incitations pécuniaires considérables promises à ses alliés.
Les Saoudiens ne pardonnent pas aux Américains de ne pas avoir renversé Bachar El Assad après le massacre au sarin du 21 août 2013. En effet, les autorités saoudiennes avaient été prises de court lorsque la possibilité d’une intervention militaire en Syrie s’était effondrée à la suite de la proposition russe de placer l’arsenal chimique syrien sous contrôle onusien pour destruction. Depuis, le ver est dans la pomme…
Il faut rappeler que les Saoudiens sont durement éprouvés au Yémen, où les troupes de l’opération Restore Hope, sous commandement saoudien, ne parviennent pas à bouter les Houtis hors de Sanaa. C’est un véritable camouflet : près d’un an après l’intervention militaire, la situation reste inchangée. Un vent de panique a gagné ce colosse financier aux pieds d’argile. Cette analyse est confirmée par le besoin presque viscéral des autorités saoudiennes de démultiplier les alliances politiques et sécuritaires. Mais de quoi ont-ils si peur ? Depuis quand le rétablissement d’un gouvernement légitime après un coup d’Etat, peut-il justifier de sacrifier des milliers de vies, de provoquer des dizaines de milliers de blessés, de détruire complètement les infrastructures d’un pays, de jeter sur la route plus de deux millions de personnes, et de condamner 80% d’un peuple que l’on dit vouloir sauver, à l’assistance humanitaire...
Relation djibouto-saoudienne
Cette coopération avec les Saoudiens ne date pas d’hier. Le premier accord a été signé en 1977, et Ismaïl Omar Guelleh s’inscrit dans la lignée de son prédécesseur, Hassan Gouled Aptidon. Politiquement, cette amitié djibouto-saoudienne se traduit par une multitude d’accords de coopération et de visites de responsables saoudiens et djiboutiens. On retiendra celle très remarquée à l’occasion de la première commission mixte de coopération militaire djibouto-saoudienne, de l’amiral Al Ghacham bin Manahi Al Kahtani, chef de la division des opérations de la marine royale saoudienne, en août 2015.
L’implantation d’une base saoudienne marque une montée en puissance de cette coopération. L’intérêt est réciproque. L’Arabie saoudite se dote des apparats des grandes puissances et s’invite, couverts à la main, à la table des grandes nations. Djibouti saura habillement tirer ses marrons du feu, le pays n’en est plus à l’installation de sa première base militaire étrangère sur son territoire. Mais, il est à craindre que cette décision accroisse davantage l’instabilité et conduise à une relance encore plus folle de la course aux armements dans la région. Les essais de tirs de missiles balistiques iranien - d’une portée de plus 1400 kilomètres - du 8 et 9 mars en sont l’exemple le plus significatif...
Mahdi A.
Formidable article, l’analyse est pertinente et les informations sont de première main ! Bravo Mahdi
J’admire votre travail. Dois-je vous rappeler que ce n’est que votre point de vue de reporter, qui je penses, est d’une justesse d’analyse comme serait Mozart à la musique classique.
Persévérez mon Cher