Human Village - information autrement
 
Omar Abdillahi Ibrahim, amoureux de la mer et chasseur de palourdes
par Mahdi A., mars 2015 (Human Village 22).
 

Nous nous sommes rendus à la plage de Douda pour nous baigner avec une amie. Nous n’avions pas pris la peine de regarder les horaires de la marée… et à notre arrivée, la mer était partie au loin… Déçus forcément, nous avons tout de même déplié nos serviettes à l’ombre d’un parasol sur la plage dont nous étions les seuls occupants. Pas si déserte que cela finalement, puisqu’on apercevait au loin une personne qui semblait s’affairer à… fouiller le sable avec une sorte de râteau ou quelque chose de similaire, dans l’autre main il tenait une sorte de sac.
 
Deux heures ont passées, nous étions toujours allongés à attendre sagement que la mer se décide à revenir, mais l’horizon s’entêtait à rester invariablement le même : la mer toujours en recul et l’homme au loin continuant à gratter le sable comme s’il y cherchait de l’or. Intrigués, piqués par la curiosité, nous nous sommes rendus auprès de lui. Il s’agissait d’un jeune homme, Omar Abdillahi Ibrahim. Il a 24 ans et réside à proximité de là, à Douda dont il est originaire. Il nous apprend qu’il se rend ici presque tous les jours en fonction des horaires de la marée. Il n’y vient que lorsque celle-ci a reculé pour y pêcher… la palourde. C’est son métier ! 
 
Nous avons longuement échangé sur son métier : « Je pêche les palourdes uniquement sur la baie de Douda, là où je vis. J’ai appris le métier d’un vieux pêcheur arabe, qui voyant ma curiosité a bien voulu me l’enseigner. Plus tard, je me suis perfectionné seul. C’est en écoutant, en apprenant et en discutant avec les autres pêcheurs locaux que je me suis forgé dans le métier. Il était important de s’informer sur la reproduction de la palourde mais aussi de comprendre comment elle se pêche dans son cadre naturel, à quelle seconde précise, elle s’attrape. Il faut savoir que la palourde a ses saisons, il faut attendre que la mer prenne ses vacances et qu’elle se retire très loin. Malheureusement la saison va bientôt prendre fin, elle reprendra cet été, autour d’août. »

Quant à savoir s’il peut en vivre, Omar nous répond : « oui je peux en vivre à la seule condition de ne pas être pas trop gourmand, c’est la raison pour laquelle je suis très attentif à l’opération de tri car la ressource est vitale et il s’agit de ne pas la galvauder ! Je vérifie la taille des palourdes. Je ne cueille que les grands coquillages autour de quatre ou cinq centimètres. Auparavant, je travaillais dans la pêche au filet. Comme je vous l’ai dit c’est à la suite d’une rencontre heureuse que j’ai eu envie de devenir pêcheur de palourdes ! En dehors des saisons de cueillette, je retourne à la pêche au filet. Je m’y connais bien aussi dans ce métier, il faut dire que je n’ai pas mon pareil pour nettoyer mon filet de tous les résidus et débris qui s’y accrochent comme les coquillages ou les herbes indésirables... J’aurai été fier d’améliorer le contenu du repas familial en y ajoutant des palourdes, mais c’est impensable… Pour ma part j’ai appris à les apprécier avec le temps. Il a fallu bien sûr que je surmonte mes appréhensions et que j’y goûte… Le résultat a été inattendu, surprenant même : je ne me suis pas laissé rebouter et en renouvelant l’expérience j’ai été conquis. Je peux les déguster cuites à la poêle avec un peu de beurre, de l’ail et une petite pincée de sel ou tout simplement les avaler tout cru, c’est aussi très agréable ! Bien évidemment je regrette que les membres de ma famille n’aient jamais voulu essayer… Mais il faut bien se faire une raison puisque cette répulsion à l’endroit des fruits de la mer n’est pas propre à ma famille mais presque inoculé dans les gènes de la plupart des Djiboutiens. Parfois il y a des barrières artificielles, des digues qui sont posées dans l’esprit de tout à chacun, et il est impossible de les faire céder. C’est comme cela que voulez-vous. Sans doute l’aspect visqueux mais plus encore le fait que cela ne soit pas dans nos habitudes alimentaires rebute les Djiboutiens je crois. D’ailleurs je n’ai jamais pu en vendre ni à Douda, ni à Damerjog. »

Omar Abdillahi Ibrahim connaît par cœur la palourde. « J’y suis bien souvent au lever du soleil ou parfois beaucoup plus tard. » Le jeune Omar ratisse le sable. Il utilise un bout de bâton tout simple, un outil indispensable qui fera sortir le coquillage lisse du minuscule trou. « J’aime les plages de Douda. Mon métier de pêcheur à pied me permet de prendre ma vie en main. Je gagne entre 80 000 et 120 000 Fds par mois. Je remets intégralement les revenus tirés du ramassage à mes parents qui ne travaillent pas : nous sommes huit enfants. Heureusement, un de mes frères vient d’être recruté par le camp Lemonnier. Ainsi, à deux nous soutenons la famille. » Il nous raconte qu’il vend sa récolte à des intermédiaires, faute de disposer d’un moyen de transport pour aller vendre lui même directement ses produits à Djibouti-ville. La palourde serait essentiellement consommée par des étrangers.
« Je n’ai pas fait d’études, j’ai passé mon temps à faire l’école buissonnière. Au moment où mes amis eux allaient à l’école, moi je barbotais à la plage… Sans formation, sans diplôme mon avenir professionnel aurait pu être sombre. Mais c’était sans compter sur mère nature, elle sait reconnaitre les siens, les amoureux de la mer ; je ne me rappelle plus vraiment comment la transition s’est faite, tout doucement sans doute presque naturellement, je me suis retrouvé à en vivre du jour au lendemain : c’est la mer qui subvient à mes besoins. »
Omar nous dit qu’il ne comprend pas ses compatriotes à la recherche d’un emploi, il pense qu’ils devraient se saisir de ces opportunités offertes par les métiers de la mer qui représentent des gisements d’emplois et de revenus importants. « Personnellement la pêche à la palourde me procure une joie indescriptible, même si les conditions sont rudes, j’adore. À ceux qui hésiteraient à faire ces métiers, je leur dis que la difficulté est amplement compensée par la liberté, l’indépendance qu’on y trouve ainsi que par le silence et la beauté de notre mer. »
À l’entendre, il n’y a pas de plus extraordinaire métier dans la vie ! Cependant, même si cette activité demeure relativement simple, il est nécessaire d’être bien équipé et bien se renseigner sur la façon de la pratiquer. Avant de partir, il ne faudrait pas oublier de se munir d’un sac qui servira à entreposer les palourdes ramassées. Il est également nécessaire de se munir d’un outil, comme une sorte de râteau, afin de gratter le sable pour extraire la palourde. Elle est très facile à ramasser lorsque la marée recule et vient découvrir son habitat naturel. Aussi lorsque vous allez vous rendre sur un bout du littoral, il vous sera nécesaire de connaître les heures des marées. Attention tout de même à ne pas être surpris par la marée montante !
 
Enfin, après avoir écouté le récit d’Omar Abdillahi Ibrahim, on ne peut se quitter sans s’interroger sur les raisons qui peuvent expliquer l’absence sur l’ensemble du territoire de ne serait-ce qu’une seule école professionnelle portant sur les métiers de la mer, alors que notre pays dispose d’une façade maritime de plus 370 kilomètres ?

Mahdi A.

 
Commentaires
Omar Abdillahi Ibrahim, amoureux de la mer et chasseur de palourdes
Le 7 septembre 2015, par un nomade .

Interessant article qui m’a beaucoup plu et beaucoup emu. Mon odorat navigue sur les parfums de nos mers si proches et si accessibles et tant snobees par les Djiboutiens. Malheur !
Humble merci a son auteur(Mahdi).

Mon espoir est que le frere dont parle l’article trouvera un jour des disciples auxquels transmettre son savoir. Un savoir perdu n’est pas qu’un appauvrissement mais un deuil aussi.

 
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