Human Village - information autrement
 
L’effet fripes fait tache d’huile...
par Mahdi A., mars 2011 (Human Village 15).
 

Le phénomène de la friperie n’est pas qu’une mode passagère à Djibouti. Plus grand monde n’a honte de porter des vêtements d’occasion provenant d’Europe et d’Amérique. Par les temps qui courent, elle a fini par briser un tabou et les préjugés qui l’entouraient. Au grand dam des importateurs de textiles chinois et des tailleurs du pays. La cherté de la vie, les différentes charges domestiques, la scolarisation des enfants et les imprévus ont vite fait de siphonner le budget des ménages alors que dans le même temps, l’argent réservé au budget habillement rétréci comme peau de chagrin. C’est ainsi que la friperie qui était réservée aux plus démunis s’est quelque peu décomplexée, d’autant plus que le neuf a vu ses prix s’envoler.

17h30, l’animation est à son comble dans la rue des Mouches. Les bus venus des différents quartiers de la capitale déversent leurs flots de passagers. Traverser la rue est périlleux. La rue des Mouches donne sur l’un de ses versants sur l’avenue 13 et sur l’autre sur la place Rimbaud. Sur tout le long de cette rue agitée à toute heure, du jour comme de la nuit, on trouve des étalages de vêtements, adossés aux immeubles : les acheteurs se les disputent. Parmi eux, on peut voir des mères de famille qui y négocient âprement des pièces, triées dans des ballots ouverts et jetés pèle-mêle sur sur des tables/ Ici, le pantalon ou la chemise sont cédés entre 300 et 500 fdj. Les plus belles pièces sont suspendues le long des façades d’immeubles pour attirer, le regard des passants. La diversité des stocks est étonnante : jupes, pantalons, robes fleuries, T-shirts multicolores, sacs, ceintures et jeans à la mode. Même les chaussures sont maintenant vendues : entre 200 et 400 fdj.

Mais ce sont les habits pour les plus petits qui sont les plus recherché. Neufs, leur prix a été multiplié par quatre, voire plus dans le centre ville ! D’où l’engouement pour les fripes, qui gagne même les familles de la classe moyenne. « Depuis la crise du début des années ’90, on assiste à un changement de mentalité chez les Djiboutiens qui n’ont plus honte de s’habiller à la friperie », commente avec ironie Ibrahim Omar, qui travaille dans ce secteur depuis presque vingt ans. Achetés à 80 fdj le kilo aux grossistes, ses T-shirts et pantalons sont offerts à 250-300 fdj avec possibilité de crédit jusqu’à la fin du mois pour ses habitués.
L’effet fripes a fait tâche d’huile, il s’est répandu dans tout le pays.

La concurrence est rude dans ce commerce de niche, elle est même incroyable. « Aujourd’hui, on ne maîtrise plus la filière. N’importe qui peut rentrer n’importe quoi », ajoute Ibrahim Omar. Ce qui explique selon lui la différence de qualité d’un point de vente à l’autre.
Chose certaine, la friperie reste tout de même un secteur florissant qui gêne considérablement les petits tailleurs.« C’est difficile à évaluer ce que nous, tailleurs, avons perdu avec l’entrée massive de la friperie dans le pays. Je propose un pantalon sur mesure entre 3000 et 4000 fdj. Le fripier en fourni pour 500 fdj. Je peux donc difficilement le concurrencer. Il faut reconnaître que certains articles sont invraisemblables. Ils ont l’air tellement neufs que l’on voit mal comment on pourrait lutter contre cela. Il ne paient pas les mêmes charges que nous : nous sommes obligés de déclarer nos employés, on doit s’acquitter d’une patente, d ’un loyer, des charges d’électricité et d’eau. Eux non ! » nous explique la sympathique Sagal Abdi Miganeh, propriétaire de Sagal-Couture, un atelier de vêtements sur mesure.
Ce qui est certains, c’est que son surprenant développement ces dernières années, ne fait pas que des heureux. Tout en permettant aux poches les plus démunies de notre communauté d’avoir accès à des prix cassés, à une gamme variée d’habillement, il constitue une menace pour les derniers tailleurs de la capitale - qui sont en voie de disparition - et les magasins de prêt-à-porter.
A Djibouti-ville, il n’est pas surprenant de croiser dans la rue une jeune fille dans des tenues griffées, avec une paire de chaussures en cuir cousues main, le tout provenant de la rue des Mouches ou de l’avenue 13. Il importe juste de bien laver les articles de seconde main, avec du savon et de l’eau chaude de préférence, et de bien les exposer au soleil, puisque ses rayons tuent les microbes paraît-il !
Cette activité prend de plus en plus d’ampleur, à tel point que certaines rues sont entièrement envahies par la friperie… Il n’y a qu’à regarder pour se rendre compte que la population prend plaisir à aller marauder, chiner dans cette véritable caverne d’Ali Baba et marchander les articles qui s’y trouvent. C’est presque une véritable chasse au trésor. On y trouve des vêtement de tous genres, pour adultes comme pour enfants. En somme, tout ce qui constitue une garde-robe complète…
Cette friperie mania s’explique, selon Mohamed Hassan, informaticien dans un établissement secondaire de la capitale, par le fait que « le consommateur moyen y trouve toujours ce qu’il désire et à des prix réduits ». Ce père de quatre enfants qui se défini comme un adepte de la friperie, précise que son salaire d’enseignant ne lui permet pas d’acheter les vêtements pour ses enfants dans les magasins prêt-à-porter du centre ville, faisant observer avec réalisme que « la nécessité brise les barrières psychologiques ».
Dans les friperies situées le long de l’avenue 13, une dame à la quarantaine souriante parle sans complexe de la friperie. « Moi, j’aimerais bien acheter des vêtements neufs, pour mes enfants ou pour moi-même d’ailleurs, mais je n’ai pas assez d’argent pour m’offrir ces articles. C’est du luxe pour moi. Ici, je peux choisi à ma guise, le choix est énorme, les vêtements uniques, et en plus je peux marchander et repartir avec des articles parfois extrêmement jolis ».
« La marchandise vient dans des conteneurs pour des gros importateurs et tous les semi-grossistes de ce commerce vont s’y approvisionner et de là, ils arrosent l’ensemble du territoire national », explique un autre jeune vendeur, Mohamed Hussein, qui lui pratique ce commerce depuis dix-huit années.
« Les balles les plus chères, ajoute-t-il, sont celles des vêtements pour enfants, parce que les moins nombreuses. Nous achetons nos balles, qui pèsent entre 45 et 50 kilos, entre 18 000 et 25 000 fdj. Chaque ballot contient, selon le type de vêtements, de 220 à 250 pièces.Dans mes débuts dans la profession, j’ai commencé par acheter cinq ou six articles, puis avec le temps, j’ai eu suffisamment d’argent pour pouvoir mayer mon propre ballot et m’installer un petit stand. Avant de vendre ma marchandise, je fais plusieurs tris pour en ressortir les meilleures pièces. C’est un commerce qui requiert de la prudence ! Il faut connaître le fonctionnement et les goûts de ses clients, sinon tu ne t’en sors pas. Les ballots ne contiennent pas toujours des articles en bon état. Aussi je fixe mes prix en tenant compte de ces aspects. Les premiers choix, je les vends plus cher dans le but de faire une bonne marge. C’est important car il faut prévoir de rattraper les pertes au niveau des marchandises irrécupérables ou invendables. Crâce à ce job, je m’occupe de ma femme, de mes trois enfants et de la scolarité de mon plus jeune frère », ajoute-t-il fièrement.
C’est un marché, contrairement à ce que l’on pourrait croire, très structuré. La vente de friperie se fait à plusieurs niveaux en fonction du capital de départ. Les commerçants les plus fortunés sont les importateurs-grossistes. Il constituent la première strate. Ils achètent des conteneurs de friperie d’Europe ou d’ailleurs. Une fois la marchandise dédouanée à Djibouti, ils écoulent leurs conteneurs à des semi-grossistes. Ils ’agit de ceux qui achètent un lot très important de ballots. Le prix du ballot varie selon le produit contenu, les plus chers sont ceux des vestes, manteaux… et les vêtements d’enfants.
Les petits détaillant qui se fournissent chez les semi-grossistent ouvrent leur ballot neuf directement sur leur stand tous les jeudis et vendent à leur tour une partie de leur stock à des vendeurs ambulants. Vous l’aurez compris, il y a des ambulants et ceux ont des boutiques dans la rue. Chaque stratégie a ses avantages et ses inconvénients.
« Lorsqu’on est ambulant, on peut faire plus de recettes car on va vers les clients. Mais lorsqu’on a un comptoir bien défini, un peu comme le mien, le client est plus confiant je crois, car il prend le temps de faire ses emplettes tranquillement et peut se laisser tenter par les coups de cœur. Heureusement, il n’y a pas trop de taxes dans notre métier : on paie juste la taxe de la voirie pour l’occupation de la chassée. Elle se monte à 2 000 fdj par mois… », ajoute notre sympathique Mohamed Hassan. Il nous confie qu’il a choisi cette option faute de mieux. Il se dit néanmoins satisfait de ses revenus.
Pourtant cette activité est inconstante, très fluctuante. Cette situation ne permet pas à tous les vendeurs de faire de grandes réalisations, parce que le peu qui est gagné est investi pour d’autres achats. Ils affirment néanmoins pouvoir subvenir globalement aux besoins de leur famille avec leur revenu, et ce d’autant plus qu’avec le temps, les habitudes vestimentaires des Djiboutiens changent et se tournent plus naturellement vers cette niche auparavant réservée aux plus démunis. La filière de la friperie a sans nul doute permis à nombre d’entre nous d’avoir pu s’en sortir.

Mahdi A.

 
Commenter cet article
Les commentaires sont validés par le modérateur du site avant d'être publiés.
Les adresses courriel ne sont pas affichées.
 
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 
Marsa Maroc investit à Damerjog
 
75e anniversaire du franc Djibouti
 
Fin de la visite du FMI à Djibouti : « maintenir la stabilité des réserves, du taux de change et de l’inflation »
 
Le plus vieux moulin de Djibouti
 
Laurent Taylor, traiteur-boulanger-pâtissier
 
Déconstruire des pratiques mafieuses pour réinventer la manutention portuaire
 
| Flux RSS | Contacts | Crédits |