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Le Grand Oral du Premier ministre
par Mahdi A., octobre 2016 .
 

Le Premier ministre, Abdoulkader Kamil Mohamed, a passé, samedi 1er octobre, son grand oral devant la représentation nationale. Ce discours qui aurait du essentiellement porter sur la politique budgétaire, compte tenu du contexte, au lendemain de la présidentielle et à la veille des régionales, a pris de forts accents pré-électoraux. Il contenait une floraison de dispositifs divers censés soutenir les plus démunis, la forte croissance, mais également le logement… La déclaration politique a été jugée convaincante par les parlementaires de la majorité, et fortement applaudie.

Réaffirmation des promesses électorales du président
Il s’agit de préciser comment seront mises en œuvre les promesses faîtes pendant la campagne. Il affirme ainsi que le renouvellement en profondeur du gouvernement va permettre de mieux relever les défis. Il indique qu’il prend très à cœur la feuille de route que lui a confiée le chef de l’État et que le gouvernement travaillera d’arrache pied pour « faciliter la vie de chaque habitant, des plus actifs aux plus démunis ». Pour ce faire, il propose d’apporter une attention particulière aux poches vides de nos compatriotes, s’engageant à la mise en place rapide de mesures d’assistance « à l’instar de ce qui est déjà fait pour certaines d’entres elles, enfants abandonnés, orphelins, handicapés de toute nature, femmes seules et isolées ».
Concernant la question du logement, il rappelle que c’est une question prioritaire ; confirmant, sans en faire explicitement mention, l’ambitieux programme sur cinq années de construction de 30 000 logements, annoncé le mois dernier par le chef de l’État. Ce vaste programme est une bonne nouvelle pour la population, puisqu’il entend apporter une réponse forte aux difficultés que rencontrent les Djiboutiens pour se loger ou pour construire là où ils voudraient. Cela s’apparente à un véritable parcours du combattant ! C’est d’autant plus une aubaine que ce secteur représente un important gisement d’emplois tant directs qu’indirects. Le gouvernement semble avoir pris enfin la mesure de la situation, et souhaite mettre fin à la crise du logement, en impulsant des investissements pour faire sortir de terre des « logements dignes dans tous les quartiers de la capitale et dans les villes de l’intérieur ». Sans vouloir décourager le gouvernement on peut s’interroger à partir de l’expérience tirée des dernières réalisations de lotissements à Hodan 1 ou Hodan 2, sur la faisabilité d’un projet d’une telle dimension, en termes de respect des délais, et la capacité du gouvernement à pouvoir mobiliser autant de ressources en un laps de temps aussi court. Le risque, lorsque l’on prend des engagements chiffrés intenables, est de décevoir. On peut considérer que 5 000 logements construits sur les cinq prochaines années tiendrait déjà de la très belle affaire ! N’empêche, on serait heureux de se tromper.

Tout mettre en œuvre pour soutenir l’emploi
Fort de l’appui de la Chine, le gouvernement veut faire la guerre au chômage, c’est l’une de ses principales priorités. Pour ce faire Abdoulkader Kamil Mohamed annonce qu’il va poursuivre la politique de grands travaux et renforcer autant que faire ce peu, l’interpénétration économique avec l’Éthiopie. Pour soutenir la création d’emplois, le gouvernement veut agir sur deux fronts : d’abord en appuyant mieux les PME, l’auto-emploi et les petites activités, à travers son bras armé, le Fonds de développement économique (FDED), ce qui implique au préalable une profonde réforme de son fonctionnement. L’objectif est que le FDED puisse davantage accompagner les PME afin qu’elles se greffent, s’emboitent plus aisément sur les grands projets, et qu’elles participent ainsi à la création de richesses et d’emplois. Le second volet de cette politique de soutien s’articule autour de la volonté politique d’industrialiser notre pays, puisque ce secteur est créateur d’emplois. Le gouvernement veut surfer sur les importantes délocalisations d’usines chinoises sur le continent. Il entend appuyer pour ce faire le développement du parc industriel de la Free Trade Zone qui va s’étendre sur une surface de 48 km2, et dont la première phase de 4 km2 est en cours de réalisation. Plusieurs milliards de dollars seront engagés dans ces projets avec l’appui de China Merchant Holding, ils permettront de créer des milliers d’emplois.

Afin de rassurer les différents bailleurs internationaux quant au niveau record d’endettement du pays, le Premier ministre déclare que l’État va réduire sa voilure, « son train de vie » de manière drastique, notamment avec « les diminutions des missions à l’étranger, ou les achats groupés ». Il indique que les mêmes efforts seront attendus du secteur parapublic, puisque « les règles de transparence, de rationalisation et d’efficacité seront appliquées aux établissements publics et sociétés d’État. Il en résultera une plus grande justice sociale et un meilleur potentiel financier ». Le Premier ministre attend que ces sociétés se conforme à la nouvelle législation et qu’elles engagent les correctifs attendus, suite à la publication du code de la bonne gouvernance des entreprises publiques. Sur quarante deux entreprises publiques, les dix plus importantes représentent 66% du PIB ! Imaginons maintenant que le gouvernement améliore la gouvernance uniquement de ces dernières, l’impact serait considérable, avec des effets domino positifs à la chaîne. Une compétitivité renforcée ne serait pas un luxe au moment où notre pays s’apprête à moyen terme à affronter une compétition régionale nettement plus ardue. Que faut-il faire pour aller vite ? Il est urgent que les conseils d’administration des entreprises publiques soient entièrement remodelés, en proscrivant à l’avenir les détenteurs de multiples casquettes de présidents de conseil d’administration qui, il faut le reconnaître, ne sont pas très sains, et que ces derniers soient pleinement investis de leur rôle de contrôle effectif. « Il est temps que nous apprécions ce que nous avons entre les mains, ces entreprises sont les véritables bijoux de la république. Il faudra engager une profonde refonte de leur fonctionnement, et mettre en place des contrats de performances », déclarait le ministre des finances lors de sa plaidoirie pour l’adoption de cette loi.

Carotte ou bâton ?
Abdoulkader Kamil Mohamed appelle l’opposition à choisir entre le dialogue constructif… ou le bâton, en substance. « Compte tenu de la volonté présidentielle d’écouter toute la population, le gouvernement sera également à votre écoute pour construire de la façon la plus harmonieuse possible l’avenir de notre pays. Ceci bien évidemment devra se faire dans le calme et avec un esprit constructif ». Et d’ajouter sous forme d’avertissement que « cela n’effacera nullement notre volonté de faire respecter la loi de la façon la plus rigoureuse pour défendre la stabilité et l’ordre, qui sont les premières garanties exigées par le développement économique et par la confiance que les investisseurs accordent à notre pays ». Le Premier ministre a dans son viseur les élections régionales de janvier 2017. Il indique que le gouvernement ne tolèrera pas les mêmes troubles que lors des élections de février 2013 après la publication des résultats. Il appelle d’une certaine manière à la raison l’opposition afin qu’elle cesse de souffler sur les braises, en les invitant à mener le combat politique par les voies démocratiques. Il va plus loin lorsqu’il lie l’instabilité politique, la violence, à la possible destruction du schéma de développement accroché à la locomotive éthiopienne et au partenariat économique avec la Chine. C’est ainsi qu’il invite les leaders et parlementaires de l’opposition à dénoncer les crimes commis dans les régions du Nord, dont le dernier en date cet été a encore fait couler le sang. Il déclare ne pas comprendre que l’on puisse s’attaquer « à des objectifs civils, ou à des biens appartenant à la population, cela démontre parfaitement la nature terroriste de cette organisation. Devant l’indignation populaire, le chef de ces mercenaires essaie de se disculper et de se désolidariser de ces crimes perpétrés sur notre territoire ». Qui vise le Premier ministre lorsqu’il parle du chef de ces « mercenaires » ? Sans aucun doute Mohamed Kadamy, président du Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie, qui représenterait la branche armée du FRUD. Il vit en exil en France.
Le Premier ministre accuse l’opposition de complicité dans ces actes « sanglants », sans toutefois apporter véritablement la preuve de cette connivence, se contentant d’indiquer son sentiment, « désorienté devant le silence des responsables de l’opposition, qui pourrait correspondre à une complicité tacite ». Par contre, on ne peut pas nier que ces actes criminels peuvent contribuer à détruire la confiance des investisseurs, porter un coup de frein au développement des infrastructures et fragiliser l’unité de la nation. Ceci dit, une condamnation forte de l’opposition à l’encontre de ceux qui ciblent la vie d’innocentes personnes, ou les équipements publics dans le Nord du pays, démontrerait une maturité politique ainsi que l’importance qu’ils attachent à la non violence pour défendre leurs idéaux politique. La majorité, de son côté pourrait donner le change, en renouant avec enthousiasme les fils du dialogue politique rompus afin de faire revivre les promesses des beaux discours prononcés le 7 avril 2015, du haut du perchoir du Parlement. La mise en place d’un cadre formel de rencontres périodiques de concertation entre le pouvoir et l’opposition permettrait de régler en amont bien des divergences en laissant derrière nous les crises récurrentes du passé…

Fin de la Françafrique et des ingérences extérieures sur les questions nationales…
Le Premier ministre s’inscrit dans le prolongement des propos tenus par le chef de l’État lors de son dernier discours d’investiture au palais du Peuple. Abdoulkader Kamil Mohamed menace « ceux qui, Djiboutiens ou étrangers, pensent que les règles désuètes qui ont suivi les indépendances des États africains peuvent encore être applicables. La politique gouvernementale se décide uniquement à Djibouti, dans les organes de décision du gouvernement djiboutien ». Il indique par ailleurs « que l’esprit de dialogue et d’amitié avec tous les pays, la nécessité d’avoir des objectifs communs pour lutter contre le terrorisme international, la volonté de coopérer sur le plan économique avec toutes les nations qui œuvrent pour le développement, ne doivent pas nous faire oublier notre volonté de défendre notre indépendance politique ». Bref, il indique pêle-mêle que la situation a changé, que les belles années de la Françafrique sont derrière nous. Il va plus loin, puisqu’il sous-entend implicitement qu’il ne faut pas « trop pousser le bouchon », en confondant hospitalité offerte gracieusement et une invitation à s’immiscer dans les affaires intérieures de la nation. La menace n’est nullement déguisée, elle vise directement l’opération européenne Atalanta, qui pourrait perdre ses facilitées portuaires et militaires dans ce bras de fer. Cette réaction d’exaspération à pour origine le vote par le Parlement européen d’une résolution dénonçant les violences à la suite des événements malheureux du 21 décembre 2015, à Buldhuquo.
La France et les États-Unis d’Amérique n’ont pas été oubliés dans les griefs. C’est ainsi que le Premier ministre dénonce avec véhémence les manigances de certains auprès des chancelleries installées en République de Djibouti pour faire modifier la loi électorale et le fonctionnement du CENI, ceux « qui pensent que pour accéder au pouvoir, il est nécessaire de prendre l’attache des autorités étrangères et de suivre leurs orientations se trompent aussi ». Et d’ajouter, « le temps où il fallait se faire adopter à l’étranger comme étant une “personnalité d’avenir” est révolu ». C’est le peuple djiboutien qui décide et décidera de son avenir. Il fait clairementit allusion à deux membres de l’opposition aux ambitions présidentielles affichées, Abdourhaman Boreh, richissime homme d’affaires, et Daher Ahmed Farah (DAF), président du Mouvement pour le renouveau démocratique (MRD). Il semble penser que cette stratégie n’aura pas de prise, qu’elle est vouée à l’échec, puisque « c’est le peuple djiboutien qui choisit ses dirigeants ». Ils seraient, selon le Premier ministre, des personnalités aux services d’intérêts étrangers.
Enfin, considérant comme intolérable les critiques sur l’ouverture du pays à la Chine, il rappelle en filigrane que ce qui prime, avant tout, c’est l’intérêt de la nation, de notre demeure commune, et que « bien que notre pays soit petit, cette volonté est forte ». Il rappelle ainsi que les choix de la République de Djibouti sont souverains. Il dénonce d’une certaine manière l’hypocrisie des grands pays, puisqu’il n’y a pas un pays au monde aujourd’hui qui n’est pas intéressé par commercer ou nouer des relations économiques avec la Chine. Et de laisser entendre que ce rapprochement de Djibouti avec ce grand pays, sur le plan économique, commercial, logistique et militaire, est un motif de satisfaction très fort pour le gouvernement. Ce partenariat ne sera donc pas remis en cause ! C’est en « homme libre » que le Premier ministre s’est exprimé, avec une indépendance de ton qui n’était pas feinte … à l’ombre du parapluie chinois ?

Mahdi A., photos Hani Khiyari

 
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