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Le comité Nobel devrait démissionner suite aux atrocités commises au Tigré
par Kjetil Tronvoll, juin 2021 (Human Village 42).
 

La guerre au Tigré, en Éthiopie, dure depuis des mois. Des milliers de personnes ont été tuées et blessées, des femmes ont été violées par les militaires, et plus de deux millions de citoyens ont été chassés de chez eux. Le Premier ministre éthiopien et lauréat du prix Nobel de la paix, Abiy Ahmed, a déclaré qu’une nation sur la voie de la « prospérité » pouvait connaître quelques « zones de turbulences » qui créaient des « accidents ». C’est ainsi qu’il a expliqué ce qui est considéré comme un génocide.
Les membres du comité Nobel ont une responsabilité individuelle dans l’attribution du prix de la paix 2019 à Abiy Ahmed, qui mène la guerre au Tigré. Ces membres devraient donc collectivement démissionner du comité Nobel en signe de protestation et de défiance.
Le comité avait justifié l’attribution du prix Nobel au Premier ministre éthiopien par ses « efforts en faveur de la paix et de la coopération internationale, et en particulier son initiative pour résoudre le conflit frontalier avec l’Érythrée voisine ». Aujourd’hui, les forces érythréennes, les forces fédérales éthiopiennes et celles de l’État régional Amhara, sont accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans ce qu’Abiy qualifie d’« opération de maintien de l’ordre » au Tigré.
De nombreux massacres de civils ont été dénoncés, ainsi que des viols systématiques de femmes et de jeunes filles.

La guerre a commencé en novembre dernier, lorsque des soldats fédéraux sont entrés au Tigré aux côtés des forces érythréennes, affirmant que leur objectif était d’arrêter pour rébellion le gouvernement régional élu et les dirigeants du parti du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Les dirigeants du Tigré ont quitté la capitale régionale, Mekelle, et se sont réfugiés dans les montagnes avec des milliers de combattants. Dès le départ la guerre était inévitable, car les Tigréens ne pouvaient pas se soumettre à la politique centralisatrice d’Abiy qui, selon eux, sape leur autonomie consacrée par la Constitution.
La campagne est devenue de plus en plus répugnante. Les États-Unis ont critiqué Abiy pour le nettoyage ethnique. De nombreux massacres de civils ont été révélés, et des viols de femmes et de jeunes filles ont été systématiquement perpétrés pour « nettoyer la ligne de sang », comme l’auraient dit des soldats, et briser les esprits. Les infrastructures civiles, comme les hôpitaux, les installations d’eau, les écoles et les universités, ont été les cibles directes des bombardements et des pillages, dans le but de détruire la capacité de gouverner.

Les conséquences humanitaires sont encore pires. Aujourd’hui, 5,2 millions de Tigréens, soit environ 85 % des habitants de la région, ont besoin d’une aide pour survivre, qui ne leur parvient pas. En effet, l’arrivée de l’aide alimentaire d’urgence de l’ONU et des organisations internationales est entravée par la bureaucratie fédérale et les soldats éthiopiens et érythréens. Des centaines de milliers de personnes risquent de mourir de faim cet été. Nous pourrions bientôt revoir des images de morts au Tigré, semblables à celles de la famine qui a eu lieu pendant la guerre civile éthiopienne et qui a inspiré le concert Live Aid en 1985.
Les experts en droits de l’homme estiment qu’il y a lieu de constater un génocide au Tigré, au vu des intentions politiques qui se cachent derrière les massacres systématiques de civils, les violences sexuelles et autres. Le patriarche de l’Église orthodoxe éthiopienne a déclaré que le gouvernement menait un génocide. La conclusion juridique finale doit cependant être réservée à un futur tribunal pénal international.

Abiy Ahmed et une partie du comité Nobel

Quelle est la responsabilité du comité Nobel pour avoir nommé quelqu’un qui utilise ce prix pour légitimer une guerre génocidaire contre son propre peuple ? A-t-il procédé à une évaluation suffisante de la situation avant de décerner le prix à un Premier ministre en exercice qui n’avait pas été élu démocratiquement dans un pays qui a toujours été un État autoritaire ? Ou est-ce, a posteriori, quelque chose que le comité ne pouvait pas prévoir ?
L’année dernière, le comité Nobel a pris la défense du lauréat, réaffirmant sa position sur le prix. Or, début 2019, le processus de paix avec l’Érythrée était ralenti et le pays faisait marche arrière sur les réformes politiques.

Certains observateurs avaient prévenus que le prix de la paix pourrait déstabiliser la région plutôt que la consolider. Après le début de la guerre, j’ai reçu un appel d’un haut fonctionnaire éthiopien : « Je tiendrai toujours le comité Nobel pour responsable de la destruction de notre pays », m’a-t-il déclaré. « Quand Abiy a reçu le prix de la paix, il a considéré cela comme une reconnaissance de sa politique et n’a plus voulu écouter les objections ou les dangers d’un pouvoir recentralisé en Éthiopie. »
L’absence de position du comité sur d’éventuels crimes contre l’humanité commis par des forces militaires sous le commandement d’un lauréat du prix Nobel fait l’objet de critiques internationales. Mais le comité est resté silencieux, perpétuant son refus habituel de discuter du processus de sélection. L’année dernière, en réaction à la décision d’Abiy de reporter indéfiniment les élections de 2020, le comité Nobel avait pris la défense du lauréat, réaffirmant son choix. Aujourd’hui, même après le déclanchement de la guerre, les membres du comité restent peu enclins à discuter leur évaluation initiale.

Les initiatives des organisations de la diaspora éthiopienne visant à tenir le comité Nobel pour légalement responsable des conséquences du prix ont encore porté atteinte à la réputation du prix Nobel.
L’un des articles du règlement du prix Nobel précise qu’une fois le prix attribué, il ne peut être retiré. Dès lors, comment le comité pourrait-il exprimer sa condamnation de la guerre et de la politique d’Abiy s’il le souhaitait ? Tous ses membres ont une responsabilité individuelle – on ne sait pas officiellement si certains ont voté contre. Ils devraient donc le reconnaître, démissionner collectivement et laisser le parlement norvégien désigner une nouvelle commission.
Cette action collective marquerait une reconnaissance de responsabilité pour l’erreur commise, et une protestation contre la guerre.

Dans le même temps, l’Institut Nobel devrait améliorer son expertise, entreprendre des évaluations complètes des risques et analyser les conflits et contextes sur lesquels les prix sont basés. Il semble évident que les procédures ont échoué dans l’attribution du prix à Abiy.
En désignant un nouveau comité, les partis politiques norvégiens devraient renoncer à l’habitude de nommer des politiciens à la retraite. Cela permettrait d’assurer l’indépendance nécessaire entre le prix et l’élite politique norvégienne. Il convient de faire appel à des membres internationaux, experts dans les domaines concernés par le prix : guerre et paix, droit international, droits de l’homme. Le nom Nobel est une référence internationale qui devrait être protégé par un comité de classe mondiale.

Kjetil Tronvoll, professeur au Collège universitaire Bjørknes d’Oslo, Norvège

Traduction par Human Village avec l’aide de deepl d’un article publié dans le Gurdian le 7 juin 2021.

 
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