Isaias Afeworki était attendu ce matin à Addis Abeba. Le Premier ministre éthiopien a personnellement accueilli, sous un soleil rayonnant, son hôte à sa descente d’avion dans une mise en scène bien orchestrée pour une visite officielle de trois jours. Après les hymnes nationaux des deux pays, la revue des détachements militaires réunis sur le tarmac de l’aéroport pour le salut militaire, c’est un ballet de chants et de danses traditionnelles qui a pris le relai pour marquer cet instant historique. Étaient également présents pour l’accueillir, les hauts responsables des corps constitués, les membres du gouvernement, les membres du parlement, les responsables d’institutions publiques et les responsables religieux. Mais la cohue était telle que la sécurité a décidé de mettre le holà à la cérémonie d’accueil avant la fin des présentations des officielles, pour mettre à l’abri au salon d’honneur de l’aéroport les deux responsables. Pour l’occasion une impressionnante logistique a été déployée et des mesures spéciales de sécurité ont été prises, notamment une voiture leurre laquelle était supposée transporter les deux responsables politiques. Ils ont été placés dans une voiture semblable à trois autres qui devançaient le véhicule leurre. Ces mesures de sécurité renforcées visaient à se prémunir d’une éventuelle attaque des opposants à cette réconciliation (ils la voient comme une abdication alors que tant de vies ont été sacrifiées pour reconquérir Badme). Cependant, la population s’était déplacée en masse pour apercevoir en chair et en os les deux leaders. De nombreux cavaliers ont aussi suivi le cortège durant tout le parcours. La cérémonie était intégralement retransmise en direct à la télévision.
Des centaines de milliers de personnes le long du parcours pour acclamer les héros du jour
Des scènes inimaginables il y a encore trois mois. Des portraits Isaias Afeworki envahissent les rues, t-shirts à l’effigie des deux leaders, des autocollants, des fanions aux couleurs de l’Érythrée et de l’Éthiopie sont agités par l’immense foule saluant le long convoi présidentiel qui se fraie un chemin à travers les habitants venus accueillir celui qui il y a encore quelques mois était considéré comme le meilleur ennemi de l’Éthiopie.
Abiy Ahmed, a proposé à l’Érythrée de régler leur différend territorial en concédant la ville de Badme, conformément à la décision rendue le 13 avril 2002 par la Cour internationale d’arbitrage. Cette évolution a réussi à dégeler une situation crispée qui aurait pu déboucher à un conflit armé à tout moment. L’Éthiopie avait refusé de reconnaître la décision et continué d’occuper le terrain illégalement, contrevenant à l’accord signé trois mois après le cessez le feu du 18 septembre 2000 entre les deux armées le 12 décembre 2000 à Alger, entre le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi et le président érythréen, Isaias Afeworki. Il prévoyait que les deux parties se soumettraient à une décision de La Haye pour arbitrer le litige frontalier entre les deux pays. L’affrontement de presque deux ans, entre mai 1998 et le 18 septembre 2000, causa la mort de pas loin de cent mille personnes et provoqua plus d’un million de déplacés. Ce que propose Abiy Ahmed Ali est de revenir à la primauté du droit, si cela peut ramener la paix et la prospérité dans les deux pays.
Les foules qui se sont déplacées montrent que la population éthiopienne cautionne ce choix politique et est enthousiaste de renouer les liens avec les membres de leur ancienne patrie. Surprenant celui qui était honnie par la population éthiopienne se faire acclamer et son prénom scander par cette dernière amassée le long du corridor de sécurité sur tout le parcours du boulevard de Bolé dont les deux voies ont été interdites à la circulation pour des raisons de sécurité. Ils étaient a espéré une vitre qui s’entrouve, un salut de la main… Il n’en fut rien. Les dernières voitures du convoi furent envahies par la population que les forces de sécurité n’ont pas réussi à repousser et qui se sont collées aux voitures en queue de peloton du convoi officiel.
Que retenir ?
La popularité dont Abiy Ahmed Ali jouit auprès des siens est unique, comme le montrent celles et ceux qui sont venus ce matin l’acclamer et témoigner ainsi de leur adhésion à ses réformes. C’est un puissant signe. Indéniablement il incarne l’espérance de toute une nation mais également l’Éthiopie dans toute sa diversité qui ne manque pas de célébrer dans ses interventions. Cette nouvelle démonstration de force montre l’immense soutien dont il bénéficie de son peuple.
L’histoire est en marche. La toupie Abiy vient de « tuer » une seconde fois le charismatique leader, Meles Zenawi, en honorant Afeworki triomphalement, avec tous les honneurs de la république. Il aura en moins de cent jours d’exercice du pouvoir totalement détricoté l’héritage de celui qui était considéré jusqu’à présent comme le père de l’Éthiopie moderne. En réalité ce qu’il avait légué c’était un système sclérosé, liberticide, corrompu et dont le fonctionnement hérité du communisme n’était plus adapté à l’évolution du monde. C’est Abiy Ahmed qui est devenu synonyme de l’Éthiopie nouvelle, un pays où les réformes s’enchaînent à un rythme vertigineux. Sans nul doute, il va devenir la nouvelle coqueluche de la communauté internationale après cette réconciliation sous les caméras du monde entier, au détriment de Kagamé qui apparaitra enfin au grand jour, l’un des derniers vestiges des régimes totalitaires dignes de celui du Kampuchera démocratique. Le risque est grand de le voir de moins en moins fréquentable dans la foulée de la fin de son mandat à la présidence de l’Union africaine.
Des milliers de personnes ont applaudi le leader érythréen. Hier paria, marginalisé, le voici aujourd’hui acclamé par une population conquise et heureuse de ses retrouvailles dans la plus grande artère d’Addis Abeba…
Il ne faudra pas être surpris, qu’Isaias Afeworki gagné par la ferveur populaire et après avoir écarté les risques de déstabilisation avec la fin de la guerre avec l’Éthiopie, multiplie à son tour les réformes spectaculaires, libère les centaines de prisonniers politiques, mette fin à l’état d’urgence et à la conscription dans les forces militaires, libère les médias et ouvre - par petites touches - le jeu politique. Durant ces trois prochains jours, les affaires seront au cœur des échanges entre les deux exécutifs. Les projets sont nombreux et divers, il sera question d’interconnexions électriques, rails, aériens, routiers, portuaires, financiers, diplomatiques… Les affaires démarrent sur les chapeaux de roue d’ailleurs. Dès le lendemain de la visite d’Abiy Ahmed Ali, à Asmara, le lundi 9 juillet, Ethiopian Shipping Lines a reçu instruction de réorganiser dans les meilleurs délais le dispatching d’une partie du fret éthiopien et donc de dérouter des navires vers les ports érythréens. Une partie des engins de manutentions et véhicules de transports positionnés à Djibouti vont être déplacés rapidement en Érythrée.
Enfin il faut souligner qu’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies a rencontré lundi dernier à Addis Abeba l’un des faiseurs de paix, la « toupie » Abiy Ahmed, lequel a demandé que les Nations unies reconsidèrent les sanctions qui pèsent sur l’Éryhree à l’aune des dernières évolutions de la situation et du règlement définitif du différend frontalier entre les deux pays.
Abiy Ahmed Ali prix Nobel de la paix 2019… Why not ? Cela serait un choix judicieux qui ne manque pas d’attraits, au delà du fait que cela serait un signe d’espérance pour tout un continent.
Mahdi A.