Dans la société traditionnelle afar, non seulement l’éducation mais aussi la personnalité des tout-petits est du ressort exclusif des anciens. Ils les soumettent dès la naissance jusqu’à l’adolescence à des pratiques qui doivent forger leur être. Nous allons essayer d’expliquer les différents rites pratiqués de la naissance à l’adolescence et leurs significations sociales.
A la naissance
À la naissance, le choix de la personne dont l’enfant portera le nom est très important car, selon la tradition afar, il puisera les qualités de la personne dont il porte le nom. Cette personne s’appelle muggaq et elle a un impact sur sa personnalité. C’est que nous dit cet adage populaire : Awki muggaaqak caakale edde tan xaban beya.
L’enfant puise une bonne partie de ses qualités de la personne dont il porte le nom, son muggaq. Un autre adage populaire illustre l’importance du choix d’un muggaq : Akkalah baxa col ahan (Pour tes qualités on honore ton nom).
Le muggaq donne à l’enfant qui porte son nom, une chamelle, une vache, une chèvre ou une brebis. Cette bête se nomme muggaqta.
Une fois un nom est donné à l’enfant,un homme pour un garçon et une femme pour une fi lle, réputé(e) pour des qualités prisées dans la société afar (courage, savoir, bonté, modestie), lui donne avant la première tétée, à l’aide d’une coquille de mollusques cibixxó, une gorgée d’un breuvage qui peut être du beurre clarifié, du miel ou autre. Ce breuvage s’appelle onqor. Selon la tradition, l’enfant puisera également les qualités de la personne qui lui a fait ingurgiter le premier breuvage, c’est pourquoi le choix de la personne est si important pour l’enfant.
Ensuite au bout de trois mois, le bébé est soumis à un autre rite appelé farankaaqo l’écartement des jambes. Ce rite consiste à mettre l’enfant sur les épaules d’un jeune homme s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille dans le cas d’une fille. La personne qui porte le bébé court et saute un obstacle pour lui transmettre, selon la tradition, ses dons : sagesse, vitesse, courage, endurance, etc.
La circoncision
A partir d’un certain âge, le garçon sera circoncis. Je n’évoquerai pas ici l’excision pratiquée chez les filles, car d’une part les filles ne sont pas soumises aux rites au moment de l’excision, d’autre part, de nombreuses études ont été menée à Djibouti et ailleurs. Dans les zones rurales la circoncision est effectuée entre 10 et 15 ans par des « circonciseurs » que certains traditionalistes nomment « tradipraticiens ». En afar salot-abé, désigne celui qui fait la circoncision.
Le chef de la famille arrête la date de la circoncision en concertation avec un astrologue. Rappelons que les Afars ont d’habitude consulter un astrologue avant toute entreprise importante comme le mariage, la transhumance, etc. Il informe alors le circonciseur, et invite les voisins et les amis. La cérémonie de la circoncision s’appelle waynabo.
Le jour de la circoncision, le circonciseur et ses assistants conduisent l’adolescent hors du campement. Ils le font asseoir sur une grosse pierre. Le circonciseur coupe le prépuce puis frotte la plaie avec du sel et du piment pour qu’elle guérisse vite. Pour se donner du courage le circoncis (salot-awka), doit évoquer le nom de sa tribu.
Cette évocation se nomme itro. Parfois il évoque une vache ou une chamelle de son oncle maternel ou paternel. Ainsi, la bête qu’il désigne devient sa propriété. Il peut indiquer également le nom de son absuma, terme qui signifi e la fi lle de la soeur du père, et, par extension, toutes les fi lles dont les mères appartiennent à la tribu du père. La fille qu’il cite devient sa promise. Rappelons qu’il existe chez les Afars un système de mariage appelé absuma rihim. Ce type de mariage est très répandu dans la société afar.
Quand le prépuce coupé, l’adolescent est soumis à deux rites.
L’un s’appelle kaalib-gacsa (kaalib un point cardinal ; gacsa fait de rendre) ou la réorientation de direction. La direction vers laquelle le circoncis est orienté pendant ce rituel est le Sud, en afar gabbi qari, qui signifie la maison de gabbi. Le terme gabbi n’a pu être élucidé. En tout cas gabbi, selon la tradition, fait référence à une cosmologie antérieure à l’islam. Il permet de d’orienter le circoncis du monde de l’adolescence vers le monde adulte. L’autre se nomme rifó. Ces pratiques, toujours selon la tradition, consistent à rendre le circoncis courageux et résistant à la souffrance. Ce rite a été décrit par Chailly dans ses notes sur les Afars de Tadjourah dans les années trente.
Enfi n, dès que le garçon atteint l’âge de la puberté, il est soumis à un rite appelé derré kaltà le rasage de la nuque. L’initiation est pratiquée par l’oncle maternel car, d’après les Anciens, l’initiation est mieux réussie par ce dernier. Rappelons que le pouvoir occulte d’un oncle maternel est évoqué par de nombreux traditionalistes en Afrique comme Hamadou Hampaté Bâ dans la société peul, et Léopold Sédar Senghor l’évoque également dans de nombreux récits. En effet l’oncle maternel lave l’initié avec du caxa faaró, c’est-à-dire de l’eau dans laquelle on mélange des feuilles ou des écorces d’un arbre médicinal pour les rites de purification. Ensuite, il procède au rasage de la nuque. Les cheveux sont enterrés dans le tronc d’un acacia tortilis (en afar eqebto), un arbre qui symbolise l’endurance.Cette pratique permet à l’initié d’abandonner le monde de son enfance pour intégrer définitivement celui des adultes. Une fois soumis à ce rite, l’adolescent est alors autorisé à porter le poignard et à tresser ses cheveux. Souvent après le rite du rasage de la nuque, l’adolescent reçoit en cadeau de son père ou de son oncle un poignard orné (unxulli). Ainsi, il devient adulte.
A partir de ce moment, s’il commet une faute il est jugé comme un homme. Il peut participer à une cure de viande (xaasiga),qui consiste à consommer un dromadaire durant plusieurs jours ; ce rite a été décrit par plusieurs auteurs : Chailly, Didier Morin, Ali Coubba, etc. L’enfant mineur, c’est-à-dire celui qui n’a pas subi le rasage de la nuque, ne peut y participer.
Tels sont les différents rites auxquels l’enfant est soumis dès la naissance jusqu’à l’adolescence.
Les rites d’aspersion (rifo) et d’orientation de direction (kaalib gacsa) ont été abandonnés en ville dès des années trente selon Chailly. Aujourd’hui, avec la sédentarisation et la scolarisation, ces deux rites tendent également à disparaitre en milieu rural mais ils subsistent encore dans certaines régions. C’est le cas de Gibdooso, région située à l’ouest de Gawwaani dans le piedmont éthiopien.
D’autres rites comme farankaaqó, onqor perdurent encore aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain.
Mohamed Hassan Kamil , CERD