Le président de la République s’est exprimé hier soir sur la crise liée au coronavirus dans une déclaration d’à peu près huit minutes, durant laquelle il a fait un point sur la situation du pays depuis l’apparition de la maladie. Que peut-on en retenir ?
Ismail Omar Guelleh considère qu’après quinze jours de confinement le bilan sanitaire est satisfaisant. Le naufrage que l’on craignait n’est pas arrivé. L’endiguement de la maladie, qui a évité la saturation des services hospitaliers, tient principalement à trois éléments : « la vigilance dont nos concitoyens ont fait montre dans leur grande majorité », l’abnégation, le patriotisme, ainsi que l’engagement du personnel de santé et des forces de sécurité pour veiller au strict respect des contraintes générées par l’urgence sanitaire et, enfin, - comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même -, l’anticipation et la justesse des décisions prises sous son autorité par le gouvernement, qui ont empêché le pays de connaitre une hécatombe.
« C’est ce choix judicieux qui est à l’origine de la situation sous contrôle dans lequel nous contenons jusqu’alors cette pathologie redoutable qui a fait des dizaines de milliers de morts de par le monde. [Ce qui explique l’évaluation à] deux décès le nombre de victimes du covid-19 chez nous ». Cette allocution en somali [1] ne laissait guère de doutes sur la levée du confinement, elle n’interviendra qu’après « une prolongation nouvelle de 7 à 10 jours ». Pourquoi le choix de cette date pour la reprise de l’activité dans l’ensemble du pays ? Tout simplement parce qu’elle correspond au premier jour du mois de ramadan, le 23 avril…
Une majorité de la population s’oppose aux mesures imposées pour combattre la dissémination de la maladie. Les travailleurs des secteurs formel et informel considèrent le remède comme plus dangereux que la maladie : hormis la logistique, le khat et l’alimentaire, de nombreuses entreprises du pays sont au bord de la faillite, faute de trésorerie suffisante pour traverser la tempête. Les travailleurs sont déboussolés par les conséquences de cette politique, peinent à pourvoir aux repas et autres besoins des foyers. Sans compter la ferveur religieuse de la population, qui vit très mal la fermeture des lieux de prières. On comprendra que la fin du confinement est attendue avec impatience. Il parait avisé à première vue qu’il n’empiète pas sur le mois sacré de l’islam. Mais hormis cet aspect symbolique, sur quels critères s’est basé le chef de l’État pour prendre sa décision ? Il se réjouit dans son intervention « que la stratégie retenue par notre pays et reposant sur le principe d’éviter les regroupements de personnes ait débouché sur des résultats fort louables ».
Que sait-on de ces résultats tant vantés ? Entre mardi et mercredi, c’est-à-dire au lendemain de la déclaration du chef de l’État, 72 nouveaux cas de personnes contaminées étaient détectés, le deuxième décompte quotidien le plus important depuis le début de l’épidémie. A l’instar des autres pays africains, notre pays « ces quatre derniers jours, […] a vu les chiffres doubler » entre le 10 et le 13 avril selon une analyse de l’OMS [2]. Si l’on continue à affirmer que notre pays s’en sort mieux, avec un taux de mortalité faible par rapport au reste du monde, on voudrait inviter à la prudence. Ce seul critère ne suffit pas pour crier victoire et se féliciter d’avoir contenu la déferlante du covid-19. Le choix de traitements à base de chloroquine est peut-être bénéfique, comme le dit une vidéo qui circule opportunément depuis hier, mardi 14, montrant des patients hospitalisés en traitement à Arta qui enchainent des pas de danse langoureux sur une jolie mélodie [3]. Pour autant, sans vouloir être un oiseau de mauvais augure, on se doit de rappeler la mise en garde de l’OMS qui estime que « certains pays pourraient très bientôt connaître un pic important », et que « l’épidémie a gagné l’Afrique quelques semaines après l’Europe, permettant à ses dirigeants d’adopter des mesures de prévention plus tôt. La plupart des gouvernements ont fermé leurs frontières et sévèrement restreint les déplacements et les contacts publics sur leur territoire. Couvre-feu, état d’urgence, confinement… toute la gamme a été utilisée. Ces mesures ont néanmoins souffert de nombreux accrocs dans les quartiers les plus densément peuplés et les plus pauvres, où la distanciation sociale relève de l’illusion et où rester chez soi équivaut à mourir de faim. Ces décisions ont-elles toutefois ralenti l’épidémie ? “Il est trop tôt pour le dire”, estime Matshidiso Moeti, de l’OMS » [4].
Il est trop tôt pour sabrer le champagne à Djibouti, et ce d’autant plus que nos données restent inquiétantes, puisque le nombre de personnes infectées par rapport à la population est 1,85 fois la moyenne mondiale… Des statistiques qui devraient normalement tempérer les ardeurs et inciter à l’humilité. On se demande pourquoi les mesures prises pour limiter les cas de covid pourraient prendre fin avant le 23 avril ? Qu’est-ce qui pourrait justifier cette décision ? Certainement pas le bon sens ! Qui mettra en garde le chef de l’État contre une décision funeste ? La population veut le déconfinement, mais le gouvernement doit baser ses décisions non sur les seuls souhaits de ses administrés, ou par rapport à un agenda religieux, mais en fonction de l’avis d’experts sanitaire avisés et légitimes. La décision ne peut pas être prise de manière irraisonnée pour contenter la population, à un an jour pour jour de l’élection présidentielle. La couleuvre du confinement serait mieux acceptée par la population s’il était accompagné d’aides directes et indirectes aux ménages à faibles revenus et d’un plan d’urgence pour soutenir les entreprises à bout de souffle. Les quelques mesures mis en place par le gouvernement sont considérées par nombre de citoyens comme une goutte d’eau dans l’océan alors que les pertes du tissu économique sont estimées à 28 milliards de FD par quinzaine par le ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Ali Youssouf. Le chef de l’État a suffisamment de leviers en main pour enclencher un vaste plan de soutien à la hauteur de l’enjeu et soulager les plus démunis de nos concitoyens – un peu dans le même esprit solidaire que ce qui a été réalisé de manière volontaire par notre gouvernement pour soutenir l’Éthiopie plongé dans une grave crise de devises. Les électeurs se souviendraient sans doute de cette posture de président protecteur et bienveillant vis-à-vis de sa population lorsqu‘il faudra mettre un bulletin dans l’urne en avril 2021…Cela serait une belle manière de s’illustrer auprès des siens en faisant montre d’empathie.
Pour conclure, il nous semble pertinent de reprendre la citation du gouverneur de New York répondant à Dan Patrick, vice-gouverneur du Texas, qui appelait les personnes âgées à prendre le risque de se sacrifier si cela pouvait remettre l’Amérique au travail et éviter le plongeon de la première économie mondiale.
« Ma mère n’est pas sacrifiable. Pas plus que votre mère n’est sacrifiable, que nos frères et sœurs sont sacrifiables. Nous n’allons pas accepter le principe selon lequel la vie est jetable. Nous n’allons pas mettre un prix sur des vies humaines », a répondu Andrew Cuomo. « S’il faut choisir entre la santé du public et l’économie, le seul choix est la santé du public. La priorité numéro un est de sauver des vies. Point final » [5].
Mahdi A.
Karma
Quand un oiseau est vivant, il mange des fourmis. Quand l’oiseau est mort, les fourmis le mangent.
Le temps et les circonstances peuvent changer à tout moment, ne pas sous-estimer ou blesser quelqu’un dans la vie.
Vous pouvez maintenant être puissant, mais n’oubliez pas que le temps est plus puissant que vous. Il suffit d’un arbre pour faire un million d’allumettes, et seulement une allumette pour brûler un million d’arbres.
Sois bon et fais le bien.
Dalaï Lama
[2] « L’Afrique face au coronavirus : « Ces quatre derniers jours, on a vu les chiffres doubler », Le Monde, 13 avril 2020.
[4] « L’Afrique face au coronavirus… ».
[5] Maxime Bourdeau, « Sauver l’économie, priorité numéro 1 de Trump face au coronavirus », Huffingtonpost, 26 mars 2020.