Une épaisse fumée blanche s’est échappée dimanche dernier de la cheminée du siège du Rassemblement populaire pour le progrès (RPP) mitoyen de la Cité ministérielle… La messe a été dite, le Parlement connaît son nouveau président !
Demain, jeudi 15 mars, se déroulera la première séance de la nouvelle législature dans l’hémicycle, pour élire cette fois-ci officiellement le président de l’Assemblée nationale. Selon les termes de la loi, c’est le président de la République qui convoque la première séance de la législature. L’ordre du jour comprend l’admission des députés, le discours du doyen d’âge et les élections du Bureau de l’Assemblée et des membres de la Haute Cour de Justice.
Mohamed Ali Houmed is back once again
L’ensemble des députés de la majorité avait été convoqué dimanche 11 mars, en conclave, par les instances de l’UMP pour entendre l’homélie du Premier ministre, Abdoulkader Kamil Mohamed. Elle fut brève et ne contenait qu’un seul psaume. Il s’agissait de transmettre la consigne de vote aux parlementaires fraîchement élus : Mohamed Ali Houmed ayant reçu l’ordination « épiscopale », il leur a été demandé de glisser comme un seul homme dans l’urne, le bulletin portant le nom de l’heureux récipiendaire au perchoir du Parlement. Ce renouvellement récompense - au delà de la fidélité au chef de l’État -, l’habileté avec laquelle, il a su diriger l’Assemblée nationale. Il faut comprendre que le gouvernement attend de sa majorité qu’une seule chose, que les projets de lois soient votés en heure et en temps et, si possible, sans trop de questionnements… Mohamed Ali Houmed n’a pas à rougir sur ce point il s’est acquitté correctement de sa tâche. Cerise sur le gâteau, il s’est révélé, à l’image de son sponsor, fin manœuvrier pour contenir les ardeurs d’une opposition politique qui effectuait ses premiers pas à l’Assemblée. L’exercice de cohabitation était inédit.
Ce mandat sera bien le sien. Il avait hérité de la fonction en sa qualité de premier vice-président à la suite du décès de l’honorable Idriss Arnaoud Ali, le 12 février 2015. Il compte marquer de son empreinte cette mandature. Il va revisiter les lieux. Il tient sous le coude un nouvel organigramme pour dépoussiérer l’institution et lui redonner sang neuf. Il prétend revigorer les lieux et mettre les députés au travail. Il souhaite tirer au maximum sur la corde – dans le respect des textes - pour renforcer le contrôle de l’exécutif en s’inspirant des expériences tirées de ses nombreuses pérégrinations autour du globe ces trois dernières années. Sur le chapitre de la diplomatie parlementaire, on lui reconnaîtra qu’à l’instar du globe-trotter national, Mahmoud Ali Youssouf, il a su faire porter très haut et très loin la voix de Djibouti.
Une séance inaugurale réglée comme du papier à musique
Une semaine après la proclamation officielle des résultats définitifs des législatives par le Conseil constitutionnel [1], les élus nationaux se réuniront demain, jeudi 15 mars, pour la séance inaugurale de la 8e législature de l’Assemblée nationale.
Le rituel observé pour cette première séance du parlement est codifié au millimètre près. La séance inaugurale est présidée par un éléphant du RPP, Elmi Obsieh Waïs [né en1942] qui entame son cinquième mandat d’élu national. C’est lui en effet qui en sa qualité de doyen d’âge de l’Assemblée nationale présidera cette première séance, il sera assisté des deux plus jeunes députées [nées en 1991], à savoir Ilaya Ismael Guedi, et Housseina Abdoulkader Ali. L’article 1 du chapitre 1 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale précise ainsi dans son alinéa 1, 2 et 3, que : « Le doyen d’âge de l’Assemblée préside cette séance jusqu’à la proclamation de l’élection du président. Il est assisté des deux plus jeunes députés présents qui remplissent les fonctions de secrétaires jusqu’à l’élection du Bureau. Le doyen d’âge donne à l’Assemblée lecture des noms des députés élus qui lui ont été communiqués par le gouvernement. Il en ordonne l’affichage immédiat et la publication à la suite du procès-verbal de la séance. Le doyen d’âge invite l’Assemblée à procéder à l’élection de son président. Il recueille les candidatures, les porte à la connaissance des députés et fait procéder au vote ».
Après la lecture de son discours d’ouverture et avoir souhaité la bienvenue aux 64 autres députés, Elmi Obsieh Waïs, aura surtout la charge de mener à bien l’élection de celui ou de celle qui exercera la présidence de l’Assemblée ces cinq prochaines années. Il ne devrait y avoir qu’un seul candidat en la personne de Mohamed Ali Houmed pour occuper la fonction. Le vote se déroulera à bulletins secrets. Une fois les résultats dépouillés, le doyen d’âge pourra proclamer officiellement le nom de l’heureux élu au perchoir du Parlement pour cinq ans. Le vainqueur sera invité à prendre place sans délai. Préalablement établie, la répartition savamment dosée des postes des 64 autres députés entre les huit commissions parlementaires sera communiquée par Mohamed Ali Houmed aux élus nationaux. Puis, les vice-présidents, le trésorier, le secrétaire et les huit présidents des commissions parlementaires [2] seront élus dans la foulée. Là aussi, point de surprise, pour l’essentiel les hautes fonctions du parlement auront été réparties dans les coulisses en amont de la séance entre les partis de la majorité. Les votes confirmeront les décisions des états major des partis politiques.
Il faudra également constituer les groupes parlementaires. Seuls le RPP et le FRUD pourront se constituer en groupes, puisque comme le stipule l’article 19, du règlement intérieur, « Pour se constituer valablement un groupe parlementaire doit être composé d’au moins dix députés. Un député ne peut faire partie que d’un seul groupe ». Exit les élus de l’opposition ‘’modérée’’ – selon la dénomination utilisée par la présidente de l’UDJ, Ilaya Ismael Guedi – qui ne comptent que huit élus, un nombre insuffisant pour se constituer en entité politique au sein de l’institution. Cependant, cette opposition désireuse de soutenir une partie des mesures de l’exécutif, pourrait se voir récompensée de cette solidarité par la présidence d’une des huit commissions parlementaires ; par un geste de bonne volonté de la majorité…
La nouveauté : les femmes…
Avec ces législatives du 23 février, c’est une nouvelle page qui s’ouvre pour cette importante institution de la république. 60% des députés sont des nouveaux entrants. En application de l’article premier de la loi 219/AN/18/7ème législature instituant le système de quota dans les fonctions électives et dans l’administration de l’État, les femmes font une rentrée en force. Passant de 10 à 25%, elles seront dorénavant seize dans l’hémicycle. Cette nouvelle donne ouvre des perspectives pour l’amélioration de la condition de la femme dans notre pays.
Interrogée dans nos colonnes à la veille de ce vote historique pour la cause de la femme, Aïcha Mohamed Robleh, une grande dame de la culture, engagée dans la cause des femmes de longue date, écrivaine, dramaturge, ancienne ministre de la promotion de la femme, ancienne députée, nous avait fait part de son sentiment : « Pour moi la définition de la patrie, c’est comme une maman. Elle a mis au monde des filles et des garçons, et en règle général, une maman elle aime tous ses enfants de la même manière. En 1999, notre pays n’avait qu’une jambe, il claudiquait, il boitait… Ismaïl Omar Guelleh est arrivé au pouvoir à cette période, conscient de cette situation il a décidé de l’équiper d’une seconde jambe. C’était comme un corps qui était inerte et ne fonctionnait qu’à 50 pour-cent. Il faut convenir qu’avec une jambe on ne va jamais loin. Avec deux jambes vous pouvez courir, vous pouvez vous projeter avec l’avenir et avancer à grand pas. Il faut comprendre que 52% de la population djiboutienne est composée de femmes : comment est-il concevable de penser qu’une composante aussi importante de la nation ne puisse pas se mêler de la destinée du pays ? [… ] Il est grand temps que tous les enfants du pays œuvrent ensemble pour le développement de notre patrie. Ce combat des femmes contre les hommes, je crois que c’est pour amuser la galerie. Selon moi, la politique est asexuée, c’est le cerveau qui compte, le reste ce n’est que futilité » [3].
Au tour du gouvernement de rendre son tablier…
Le Premier ministre devrait présenter la démission du gouvernement entre la séance inaugurale du Parlement jeudi 15 et le dimanche 18 mars 2018 [4]. Après les députés de la précédente législature, c’est aux membres du gouvernement de passer au grill… Ils se demandent à quelle sauce ils seront mangés. Ils vont devoir faire un peu de place aux femmes, qui passeront de trois à probablement cinq ou six. Abdoulkader Kamil Mohamed sera très certainement reconduit dans ses fonctions sans sourciller et ce bien qu’il soit très décrié au sein de la majorité. Cependant, il a été un paratonnerre à toute épreuve. Le chef de l’État considère que son image n’est pas entièrement abimée, et qu’il peut encore servir de fusible devant les mécontentements de la population ainsi que les rancœurs de la majorité.
Une réunion extraordinaire du RPP est annoncée samedi 17 mars. Elle est annonciatrice d’une recomposition du comité exécutif du parti, sorte de Collège cardinalice. Les observateurs seront attentifs à la légère brise qui soufflera sur le paysage politique à cette occasion, lors de la redistribution des cartes, cherchant à y déceler dans les limbes de la pensée, les intentions secrètes du Prince de Machiavel quant à la désignation tant attendu de son dauphin…
Ismaïl Omar Guelleh ne manquera pas de dérouler « une partie » de la pelote de laine concernant le contentieux sur le Doraleh Conteneur terminal (DCT) et les raisons de sa nationalisation. Il en profitera pour clarifier la situation de la participation chinoise dans les infrastructures portuaires, pour dégonfler la baudruche des levées de boucliers des puissances occidentales qui voient dans l’éviction des Émiratis du terminal à conteneurs l’influence de la Chine [5]. Aiguë, la crise actuelle fait peser sur les épaules du président Guelleh une énorme pression. Le gouvernement est contraint de faire feu de tout bois dans une vaste campagne de communication qui, malgré, tous les efforts de sensibilisation, peine à convaincre... Ces inquiétudes auront été au cœur de la visite du secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, à Djibouti, le 9 mars 2018 [6]. L’annonce de son remplacement hier, mardi 13 mars, par celui qui était jusqu’à lors, le patron de la CIA, Mike Pompeo, considéré comme un faucon, n’est pas forcément une nouvelle plaisante pour l’exécutif djiboutien. Ismaïl Omar Guelleh joue là, sans doute, la partie d’échecs la plus délicate de sa carrière politique…
Mahdi A.
NB : Ci-dessous les membres du Bureau de l’Assemblée nationale de la 8e législature, tous élus à l’unanimité, jeudi 15 mars 2018 :
– Président, Mohamed Ali Houmed
– Premier vice président, Elmi Obsieh Waiss
– Deuxième vice président, Safia Elmi Djibril
– Questeur, Ibrahim Abdo Ahmed
– Secrétaire, Seleban Daher Bileh
[1] « Proclamation des résultats définitifs des législatives », Human Village, mars 2018.
[2] Commission des affaires étrangères, commission des finances, de l’économie et du plan ; commission de la défense nationale ; commission pour le développement social et la protection de l’environnement, commission de la législation et de l’administration générale, commission chargé des immunités parlementaires, commission d’apurement des comptes, commission de la production et des échanges.
[3] « Le projet de loi sur le système de quota examiné en urgence », Human Village, janvier 2018.
[4] Le décès intervenu à Paris, samedi 17 mars 2018, de l’ancien Premier ministre, Barkad Gourad Hamadou, figure politique, a reporté la démission attendu du gouvernement. Une cérémonie d’obsèques nationales est prévue jeudi 22 mars dans la foulée du transfert du corps de la personnalité politique à Djibouti.
[5] « ’Significant’ Consequences if China Takes Key Port in Djibouti : U.S. General », New York Times, 6 mars 2018.
[6] « Press Availability With Djiboutian Foreign Minister Mahamoud Ali Youssouf », US Department of State, 9 mars 2018.