Raconte-nous la Femme, ils ont dit. Raconte-nous toi.
Mes pensées affolées se sont envolées vers mille horizons
Et se sont brisées en milliers d’éclats.
Et tous ces fragments de verre flottant dans l’air
Forment une cathédrale empreinte de mystères.
Qui s’étend à perte de vue, loin, à l’infini.
Prenez donc ma main, allons explorer, chers amis.
Tant de fenêtres ouvertes sur d’innombrables scènes.
Tous ces yeux aux regards remplis tantôt de joie, tantôt de peine.
Là, un regard insondable, profond, entouré de sillons.
Capture l’attention et m’attire comme un aimant.
Qui es-tu ? Je demande.
Elle me regarde longuement avant de me répondre.
Je suis la porteuse de bois.
Il y a 50 ans déjà, je transportais mon fardeau.
Sous le soleil et contre le vent, par tous temps,
J’avançais les fagots serrés contre mon dos,
Mon enfant serré contre mon sein,
Suivant les traces de mes ancêtres sur le chemin.
Nous avancions au rythme des troupeaux et des éléments,
Partout où la vie colorait la terre, nous nous arrêtions,
Mais depuis quelques temps, les chemins de nos aïeuls ont disparu,
La route pour chercher le bois est devenue longue et ardue.
Et les pas que j’ai tracés dans le khamsin se sont perdus.
Aujourd’hui mes enfants sont grands, ils m’ont quittée.
Certains sont près, d’autres sont loin dans les cités.
D’ailleurs de jeunes gens de la ville viennent parfois me voir.
Ils me disent de ne plus couper le bois, qu’il faut les croire,
Que sauvegarder la nature est mon devoir.
Mais je ne connais pas d’autre mode de vie.
Partir à la cité ne me fait pas envie.
Ils sont tous entassés les uns contre les autres.
Ils pensent faire de la terre de Dieu la nôtre.
Moi, j’ai peut-être le dos courbé, mais ma fierté est droite.
Je ne me laisserai pas enfermer dans une petite boîte.
Chaque jour, j’adresse ardemment au Ciel mes prières.
En vérité, ma foi est mon dernier sanctuaire.
Je te laisse maintenant. Je vais chercher le bois.
Bonne route, grand-mère.
Venez, chers amis, continuons de marcher.
Vois là-bas cette femme au regard affligé ?
Elle a pourtant un air si décidé.
Qui es-tu ? Je demande en m’approchant.
Elle me répond d’une étrange voix d’enfant.
Je suis la fillette de 7 ans que l’on a mutilée.
Un jour comme celui-ci, elles vinrent me chercher.
On m’a fêtée, applaudie, chantée, acclamée,
Et moi, le cœur rempli de joie, pleine de fierté,
J’ai pris la main tendue, je les ai accompagnées.
Puis des mains m’ont étendue, immobilisée,
Tandis que d’autres mains mes cuisses écartaient.
Mon cœur a battu la chamade quand j’ai vu le rasoir.
Je devinais l’horreur mais ne pouvais encore y croire.
Quand la lame a commencé à labourer ma chair,
J’ai hurlé la souffrance infligée par nos mères.
Je me suis tant débattue que mon bras s’est cassé.
L’espace d’un instant la raison m’a quittée.
Je me souviens vaguement des cris de joies,
Lorsque qu’elles ont exhibé fièrement en l’air,
Ce morceau qu’elles ont arraché à ma chair.
Mais ne pleure pas, mon amie, ma sœur.
Sais-tu que d’autres souffrent de plus grandes douleurs ?
A mon amie on a cousu les lèvres du vagin,
Elle en est tombée si malade, j’ai cru mourir de chagrin.
Aujourd’hui, je suis enseignante.
Une épouse et une mère aimante.
Mon mari d’ailleurs n’était pas ravi
De toutes les précautions qu’en son nom on a prises.
A mes côtés il s’est battu pour protéger nos filles.
Et avec tant d’autres, nous perpétuons la lutte.
Il n’est de noirceur que ne peut éclairer la raison brute.
Nous élevons la voix pour combattre l’ignorance.
Ne laissons plus la barbarie tuer l’innocence.
J’ai bon espoir que nous parviendrons à changer.
Et ensemble un nouveau chemin tracer.
Qu’en penses-tu ma sœur, te joindras-tu à moi ?
Je suis déjà de ton côté, je lui promets.
Et tant qu’il me restera un souffle, ton écho je serai.
Allons, chers amis, continuons d’avancer.
Mais j’ai le cœur en peine, et le corps accablé.
Arrêtons-nous donc un instant près de ce miroir
D’où émane tant de gaieté.
Voyez toutes ces femmes danser et boire.
En vérité, quel beau portrait.
L’une d’elle s’approche avec un grand sourire.
Qui es-tu ? Je demande.
J’aimerais bien me joindre à vos rires.
Je suis celle qui aujourd’hui se marie.
Je jure que c’est le plus beau jour de ma vie !
Je suis si chanceuse d’avoir trouvé l’amour.
Tu sais, toutes ces femmes m’aiment et m’envient.
Car être une mariée, c’est tellement glamour.
Mais j’ai longtemps cherché, crois-moi.
Avant d’avoir cette bague au doigt.
Toutes ces années passées à étudier,
J’ai affronté seule l’inconnu à l’étranger.
Puis de retour au pays, fraichement diplômée,
J’ai travaillé dur pour gravir les échelons,
Forcer toutes ces barrières réservées aux pantalons.
J’ai arraché tout ce que j’ai pu pour forger ma carrière,
J’ai sacrifié beaucoup pour mon statut et ce salaire.
Amis, argent, beauté, j’avais tout en abondance,
Ainsi que le sentiment de perte d’indépendance.
Tandis que les projets du travail s’élargissaient,
Ces barres dorées autour de moi se resserraient,
Plus je me débattais, plus les regards étaient réprobateurs,
Patience, jeune fille, me disait-on, chaque chose en son heure.
Il ne faut pas sacrifier à la modernité la précieuse pudeur.
Si tu es insatisfaite, c’est sans doute que tu es incomplète.
Il est de ces signes sûrs que la famille et la foi interprètent.
Ton chez-toi ne peut être qu’un foyer familial.
Marie-toi pour couper le cordon ombilical.
Ces gens qui m’aiment m’ont un moment convaincue.
Qu’il est vain de tenter de nager contre la crue.
Au final, j’ai décidé d’être seule maitresse de ma vie,
De me fier à mes principes, à mon instinct, à mon avis,
Et à défaut de trouver une porte de sortie,
J’ai trouvé mon compagnon, mon amant, mon ami.
Allons, je devine tes pensées sur ton visage.
Crois moi, ma joie en ce jour n’est pas un mirage.
Non, ne me juge pas, mais mon bonheur partage.
Tu vois mon amie là ? Elle a trouvé son âme sœur à son tour,
Mais elle ne peut jamais vivre sa passion au grand jour
Sous peine d’être condamnée et par tous bannie.
Alors je suis chanceuse d’avoir trouvé l’amour.
Tu comprends maintenant pourquoi je te l’ai dit
Que toutes ces femmes m’aiment et m’envient.
Je suis celle qui aujourd’hui se marie.
Je jure que c’est le plus beau jour de ma vie !
Je la regarde partir et je souris.
En vérité, je la plains, je l’aime et je l’envie.
Je m’éloigne des bruits de fêtes qui résonnent dans le vent.
Et je me dirige vers un miroir qui reflète un mur blanc.
Que vois-je ? Une petite fille aux joues rondes.
Bonjour toi ! Qui es-tu ? Je demande.
Je suis Hawa. J’ai 5 ans.
Je commence l’école et tout le monde est content.
J’ai hâte de partir tout à l’heure à la maison.
J’aime quand papa me soulève dans ses bras en rentrant.
J’aime les histoires de grand-mère sur les temps d’avant.
J’aime quand maman nous chante des chansons.
Et j’aime quand elle m’embrasse, elle sent si bon.
Demain j’apprendrai une nouvelle leçon.
Et toi ? Qui es-tu ?
Moi ? Bonne question.
Je suis poète et je vis en rêvant
Déambulant dans les couloirs du temps.
Une feuille emportée par le vent.
J’ai beau essayer d’être responsable, adulte,
Mon imagination folle est en constant tumulte.
Et mon âme reste celle d’une enfant.
Regardes, tu vois toutes ces dames ?
Elles sont toutes moi, au fond.
Et nous sommes toutes toi, au lever et au couchant.
Quel que soit l’obstacle, nous le surmonterons.
Et les cadeaux de la vie, nous les chérissons.
Je te laisse à tes jeux. Rendez vous dans un an.
Venez mes amis il est temps de partir.
J’espère vous voir très bientôt à l’avenir.
S’il n’y a qu’une chose de cette promenade à retenir.
C’est bien la fierté d’être Femme.
Tarwa
Tres belle oeuvre d’un authentique conteur. Pas lieu d’insister. Ou de dire que le combat de la Djiboutienne est aussi le sien.
Allez l’Ami envoie nous d’autres car ta besace en regorge. Allez sois sympa.... Sois gentil...!!