L’eau est une ressource vitale pour la survie humaine. En Afrique de l’Est, la question de la sécurité de l’eau se pose avec acuité . Elle mobilise les États, des organisations de la société civile, les agences des Nations unies et les partenaires du développement. Global Water Partnership (GWP « Partenariat mondial de l’eau ») est un réseau international créé par des organismes internationaux afin de favoriser une approche intégrée et une gestion plus sécurisée de la gestion des ressources en eau. La plateforme, du moins sa branche est-africaine, a invité des organes de presse de la région pour un atelier sur le rôle des médias dans la promotion de la sécurité de l’eau, la résilience face au changement climatique et la gestion des risques liés à la sécheresse. L’objectif de cette rencontre est de mobiliser les médias et de créer une nouvelle dynamique parmi les professionnels de la presse sur ces thématiques cruciales. Ce grand raout médiatique, le premier en son genre, s’est déroulé du 21 au 23 octobre 2015 sur les rivages du lac Victoria, dans la ville balnéaire d’Entebbe, en Ouganda. Votre journal Human Village était convié à cette rencontre inédite. Compte rendu…
Global Water Partnership (GWP [1]), c’est d’abord la vision d’un monde avec des ressources en eau plus sûres et mieux sécurisées. Sa mission est de soutenir le développement durable de la gestion des ressources hydriques. GWP a été fondé en 1996 par la Banque mondiale, le Programme de développement des Nations-unies (PNUD) et l’Agence suédoise de coopération internationale au développement (SIDA) pour participer à la mise en œuvre de la stratégie dite « gestion intégrée des ressources en eau » (GIRE). La GIRE est un processus qui favorise le développement et la gestion coordonnée de l’eau, des terres et des ressources connexes afin de maximiser le bien-être économique et social sans compromettre la durabilité des écosystèmes et de l’environnement.
Le réseau est ouvert à toutes les organisations impliquées dans la gestion des ressources en eau. À commencer par les pays développés et ceux en développement, les institutions gouvernementales, les agences des Nations-unies, les banques de développement bilatérales et multilatérales, les associations professionnelles, les institutions de recherche, les organisations non-gouvernementales, et le secteur privé.
Lors de la création du GWP, l’ensemble des pays faisant face à des contraintes hydriques graves ont rejoint le réseau. L’objectif était de limiter les effets pervers de la déforestation et des mauvaises pratiques agricoles qui génèrent des périodes de rétention réduite, mais aussi des écoulements de surface et des pertes consécutives de couverture du sol. Par ailleurs, il a été constaté que les maladies d’origine hydrique étaient la principale cause de morbidité dans tous les pays d’Afrique de l’Est. De mauvaises conditions d’hygiène provoquant souvent des problèmes de santé dans les milieux urbains aussi bien que ruraux. En outre, les conflits sur l’eau augmentent en même temps que la population. D’autres part, l’utilisation de différentes technologies dans la production agricole, modifie et affecte dangereusement les flux d’eau dans les ruisseaux et les rivières.
Pour faire face à la menace que constitue la combinaison de l’ensemble de ces facteurs de risques, le GWP défend et promeut un modèle de développement et de gestion intégrée de l’eau, des terres et des ressources connexes qui soutienne l’efficacité économique, l’équité sociale et la durabilité environnementale - les trois piliers du développement durable. Depuis sa fondation en 1996, le réseau du GWP a mis en place plus de treize « partenariats régionaux de l’eau » et quatre-vingt-quatre « partenariats nationaux », impliquant plus de trois mille organisations partenaires dans cont-soixante-douze pays. A ce jour, GWP est en pointe dans l’assistance aux pays qui se préparent à prendre le plein contrôle de leur plan pour l’intégration des ressources et des services de l’eau afin de parvenir à la sécurité hydrique. Conformément aux principes directeurs et universels, l’eau douce – ressource limitée et vulnérable, indispensable à la vie, au développement et à l’environnement – doit être gérée dans une approche participative impliquant usagers, planificateurs et décideurs à tous les niveaux. C’est ce que soutient GWP-EA dans son action et ses plaidoyers au quotidien.
Répondre en urgence à une lourde menace
La sécurité de l’eau n’est pas un mythe. Loin s’en faut. La réalité si frappante d’une pollution endémique soulève le cœur. Entebbe, la magnifique ville balnéaire qui a abrité la rencontre, est une victime du fléau. Son joyau, le merveilleux lac Victoria, bassin de vie millénaire, se retrouve aujourd’hui pris entre pollution et maladie. Ses eaux douces sont affreusement dégradées par une pollution importante. Pour soutenir les alertes lancées régulièrement par les organisations de défense de l’environnement et la presse locale, le GWP-EA a tenu à faire visiter aux journalistes deux sites emblématiques de cette pollution.
Situés sur les rivages du lac, Kigongo est une plage de pêcheur. Les eaux y sont totalement souillées et infectes. La communauté de pêcheur qui y vit, évolue dans des conditions d’hygiène épouvantables. La crasse est partout et cette insalubrité envahissante affecte les foyers dont les latrines peu profondes déversent leurs égouts directement dans les eaux du lac. Paradoxalement, les femmes vont puiser dans ces eaux polluées pour le lessive, la cuisine et la vaisselle. Et le drame devient inéluctable : les épidémies sont légion : des centaines de cas de dysenterie, de choléra ou de malaria sont traités dans les dispensaires pauvres et mal équipés de la commune. Pis encore, l’absence d’organisations sanitaires internationales et l’abandon des autorités publiques aggrave encore plus la menace de contamination généralisée des eaux du lac et une infection qui touche l’ensemble de la communauté de pêcheurs. Le responsable santé de la municipalité regrette l’immobilisme des autorités sanitaires et prend à témoins les pêcheurs qui partagent douloureusement le constat d’un abandon de l’autorité publique. La situation est urgente. Les membres de la presse décident de se mobiliser pour donner plus d’écho à cette situation dans leurs organes respectifs.
A quelques dizaines de minutes de voiture de là, le second site est une ferme de production de fleurs naturelles. Wagagai, c’est son nom, est une exploitation agricole de plusieurs dizaines de milliers d’hectares. Les cultures sous serres produisent des millions de tonnes de fleurs exportées en Europe. Le propriétaire de l’usine, un certain Pim de Witte, citoyen néerlandais, a investi dans cette usine voilà plus de quinze ans. La ferme, grande comme deux terrains de football, jouxte les rivages du lac Victoria d’où elle extrait de l’eau douce qui est ensuite transformée chimiquement. Les stocks d’engrais chimiques, l’unité de traitement de l’eau douce du lac, les installations industrielles lourdes, tout est édifié sur les berges du lac, avec tous les risques sanitaires et de pollution que cela comporte. Mais le propriétaire se défend de toute prise de risque. Il invoque les autorisations officielles qui lui permettent de faire fonctionner son usine. Encore plus agaçant, il se félicite d’employer plus de deux milles personnes sur son site. Comble de l’ironie, ces pauvres travailleurs sont payés un salaire de misère (150$ mensuels) alors que les recettes annuelles nettes de la ferme tournent autour de dix millions d’euros. Révoltant !
De l’autre côté de la frontière, sur la plage de Kisumu, au Kenya, la situation n’est guère plus rassurante. Chaque jour, on recense pas moins de cinq cent véhicules lavés dans le lac par trois cent jeunes hommes, pour un revenu quotidien d’environ trois cent shillings (3,5 euros), une bouchée de pain. Pourtant, un panneau indique clairement que cette activité est interdite. Bien sûr, les personnes qui font ce travail le savent bien : elles participent à la pollution du lac et à la détérioration de leur santé, mais comment faire pour subvenir à ses besoins primordiaux : manger ? « Chaque jour, des millions de litres d’égouts non traités sont déversés dans le lac depuis les centres urbains », relève un rapport du programme de l’ONU sur les Grands Lacs publié en 2006.
En conséquence, le lac Victoria, le plus grand lac d’eau douce d’Afrique et le deuxième au monde, voit malheureusement son écosystème se dégrader nettement avec la disparition de sa biodiversité, la concentration de nombreux polluants et de maladies qui affectent la vie des travailleurs côtiers et de leur famille. Le lac qui est un poumon économique est aujourd’hui une zone sinistrée. D’une superficie de 68 100 km2, il est la source du Nil Blanc, le plus grand affluent du Nil. Il fait vivre plus de trente millions de personnes qui vivent sur ses rives au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie. Il représente à ce titre un véritable poumon économique pour l’Afrique de l’Est.
Dans les années cinquante, la célèbre perche du Nil a été introduite dans le lac. Ce poisson, apprécié notamment par les Européens, a offert des débouchés commerciaux pour les habitants au détriment de l’économie locale. En effet, la perche du Nil est un prédateur qui a pratiquement épuisé la faune aquatique locale (qui comptait plus de deux cent espèces de poissons) tout en accroissant la dépendance des pêcheurs.
Un film récent, Le cauchemar de Darwin, a mis en perspective le commerce de la perche du Nil vers l’Europe et les conditions de vie effroyables des habitants, en faisant le lien avec le marché de l’armement qui alimente les conflits qui ravagent la région, même si la réalité est sans doute plus nuancée.
Le lac est surtout victime d’une importante pollution puisqu’il sert de déversoir pour les industries, les égouts et les entreprises de nettoyage tout en profitant aux habitants dans leurs tâches quotidiennes : consommation d’eau, vaisselles, lavage… En Ouganda, comme au Kenya d’ailleurs, sur de nombreuses plages de pêcheurs, les mêmes scènes quotidiennes se répètent : des femmes viennent puiser l’eau sur la berge polluée.
Eau, climat et programme de développement, la GWP-EA à pied d’œuvre
Engagée dans un combat titanesque, la GWP a élaboré un programme sur mesure destiné à faciliter la mise en œuvre et la promotion de son système de gestion intégrée des ressources en eau dans les pays de la région. Il s’agit du programme dit « Eau, climat et développement en Afrique de l’Est » qui repose sur quelques piliers et différentes composantes. Dès sa conception, il a été élaboré afin d’impacter et d’adapter les processus politiques et de développement de chaque pays concerné afin de les mettre en adéquation avec les impératif du GIRE. Des progrès notables ont été accomplis dans l’adaptation de plusieurs processus et stratégies nationales.
Grâce à ces interventions qui ont participé au remodelage de politiques publiques des États membres, les investissements ont été optimisés pour la sécurité de l’eau et la résilience face au changement climatique. À ce titre, il faut souligner la composante du programme dédiée au renforcement des moyens et des activités de résilience des communautés. Le programme accorde également un intérêt majeur aux questions de genre et de la jeunesse, ainsi qu’au développement des capacités à différents niveaux.
Par exemple, le GWP a réussi à mettre en place un système de gestion et de développement du bassin d’une rivière transfrontalière : la Kagera. Une évaluation de la vulnérabilité et une analyse des points chauds du bassin de la Kagera ont été menés à leurs termes. Le GWP a aussi participé à la conception d’un projet d’investissement et a signé un protocole d’entente avec la Lake Victoria Basin Commission (organisation scientifique et administrative chargée de la gestion de l’eau [2]).
Dans un autre cadre, le GWP a apporté sa pierre à l’élaboration de l’initiative de l’IGAD pour la résilience face à la sécheresse et pour le développement durable (IDDRSI, de son acronyme anglais [3]). Dans ce projet, le GWP a facilité l’évaluation des politiques et stratégies nationales de résilience face à la sécheresse dans les sept pays de l’IGAD. Cette étude a été publié à la suite à un protocole d’entente entre le GWP et l’IGAD. Le programme du GWP a participé également au développement des capacités des agents et services compétents en matière de sécurité de l’eau et de résilience au Burundi et au Rwanda. Pour ce faire, cinq ateliers de formation ciblant douze planificateurs et cinq décideurs du Burundi et du Rwanda ainsi que des activités de mentorat et de soutien ont été menés. Des partenariats ont été noués avec des universités et d’autres partenaires afin de faciliter l’apprentissage des études de cas. Grâce à ces programmes, une nette amélioration des niveaux d’appréciation sur l’importance de l’intégration des questions de sécurité de l’eau et de résilience face au changement climatique dans les processus de planification a été constatée. Néanmoins, il a été aussi relevé un manque énorme de capacités et la nécessité d’accroître l’action de terrain afin de renforcer l’efficacité dans la mise en œuvre du programme.
Mobiliser la presse, des ambitions et des moyens
Selon le GWP-EA, les médias sont des partenaires clés. Relais et moteurs sociaux de premier plan, ce sont des acteurs incontournables de la vie publique dont l’appui des est indispensable la transmission des messages à toutes les parties concernées. C’est pourquoi GWP-EA est engagé dans des relations suivies avec les médias. L’atelier organisé à Entebbe du 21 au 23 octobre visait justement à donner un impact plus fort et relayer le message et les efforts du GWP-EA. Les experts et techniciens de l’instance ont jugé utile de commencer par l’amélioration des connaissances et le renforcement des capacités des professionnels des médias. Dans le même temps, ils ont tenu à favoriser l’émergence d’une culture de partage des connaissances, des expériences et des meilleures pratiques sur la sensibilisation sur la gestion intégrée des ressources en eau et les questions liées au climat dans la région. L’occasion aussi de préciser les rôles et responsabilités de chacun en créant un cadre de collaboration durable, en mettant en réseau le GWP et les médias régionaux.
Durant ces trois journées, l’atelier a permis aux experts et techniciens du GWP-EA de sensibiliser les participants sur les fonctions des médias (par le biais d’une discussion) et surtout leur rôle dans la diffusion des messages et des programmes de gestion de l’eau et de la résilience face à la sécheresse et au changement climatique. Plus généralement, les experts et les intervenants du GWP ont mis l’accent sur l’impact et l’intérêt des messages diffusés à travers les médias. Au cours de sessions de discussions et d’échanges interactifs, les professionnels des médias et les experts et techniciens du GWP ont revu la façon dont les médias peuvent promouvoir la sécurité de l’eau, la résilience face au changement climatique et la gestion des risques liés à la sécheresse.
Grâce à des présentations et des interventions qui ont donné lieux à des échanges soutenus, les journalistes participants ont pu améliorer leurs connaissances de la GIRE et de son application. Faisant d’une pierre deux coups, les experts du GWP-EA ont réussi à accroitre et améliorer les compétences des journalistes sur la couverture médiatiques des sujets liés à l’eau et au changement climatique. Mieux encore, ils ont créé un réseau viable de journalistes dans la région et impulsé une dynamique plus forte et plus durable dans les relations et la collaboration entre GWP-EA et les professionnels des médias. Le staff du GWP-EA s’est attaché également à mener une sensibilisation accrue sur les changements liés aux défis climatiques et harmoniser les vues et les interprétations des rôles des journalistes et des médias en général.
Des recommandations fortes et un partenariat dynamique avec la presse
Au terme du séminaire, les professionnels de la presse et les experts du GWP-EA ont convenu d’une série de mesures fortes. Afin de donner à l’évènement toute sa dimension mobilisatrice, le GWP-EA avait tenu à solliciter la participation d’organes de presse à grande diffusion, des responsables de rédaction ainsi que des réalisateurs, journalistes et reporters chevronnés et influents. Ensemble, les participants et les experts et les techniciens du GWP-EA ont profité de ce tête rencontre pour enrichir leurs expériences respectives et leurs vécus au cours de débats et d’échanges interactifs et participatifs.
A l’issue d’un long round d’échanges et de discussions, journalistes et experts du GWP-EA ont convenu d’une série de recommandations pour ce qui est de la voie à suivre afin d’atteindre les objectifs fixés. Il a été décidé de créer un partenariat dynamique entre le GWP-EA et un forum de journalistes qui devrait voir le jour rapidement afin d’assurer une meilleure diffusion de l’information. La création de plates-formes virtuelles pour un partage des meilleures pratiques (listes de distribution de courriels de journalistes spécialisés dans le développement / page Facebook et d’autres médias sociaux pertinents) a été jugée indispensable. Dans le même esprit, la mise en place d’une task force de communication spécialisée dans les questions / programmes / projets spécifiques pour des documentaires télévisés et des articles de fond (travail avec les journalistes bien en avance sur les événements), la mise en place d’un réseau du GWP-EA avec des instituts de formation de journalistes a été décidée. Pour ce qui relève du renforcement des capacités et des formations, l’organisation régulière de séminaires pour les patrons de presse, les reporters et les journalistes pour développer les réseaux a été recommandée. Par ailleurs, les participants ont insisté sur un certain nombre de mesures importantes. Notamment la mise en place de formations par métiers, spécialités ou types de médias. Il a été jugé nécessaire que le GWP-EA tienne régulièrement ce genre d’assise, sur une base annuelle par exemple, tout en faisant tourner les lieux de rendez-vous de la conférence afin d’avoir une vue d’ensemble sur les problématiques liées à la sécurité de l’eau, la résilience face au changement climatique et surtout la gestion des risques liés à la sécheresse.
Mohamed Ahmed Saleh, envoyé spécial à Entebbe, Ouganda
[1] Voir le site de GWP, www.gwp.org.
[2] Voir le site de la LVBC www.lvbcom.org.
[3] Voir le site de l’IDDRSI, resilience.igad.int.