Djibouti est fortement touché par le changement climatique : hausse des températures, sécheresses fréquentes. Ces défis fragilisent l’économie rurale et pastorale et compliquent la vie quotidienne des populations. Cependant, Djibouti agit avec détermination pour s’adapter. Le pays investit dans les énergies renouvelables et œuvre à protéger ses écosystèmes. Djibouti fait donc face à ces vulnérabilités climatiques croissantes. Un décret adopté en mars 2023 marque un tournant majeur et la volonté de maîtriser les impacts environnementaux [1].
Ce texte positionne Djibouti, même dépourvu d’industries polluantes, comme un État souverain sur la gestion de son empreinte carbone, y compris face à des activités impulsées de l’extérieur comme les bases militaires ou le transit maritime et aérien. L’objectif est clair : aligner le pays sur les objectifs de réduction des gaz à effet de serre définis par les Accord de Paris de 2015 qui marquent un engagement mondial de lutte contre le changement climatique. Leur principal objectif est la limitation du réchauffement en dessous de 2 °C. Chaque pays doit présenter des plans nationaux, appelés « contributions déterminées au niveau national », pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Ces plans doivent être renforcés tous les cinq ans. Les accords prévoient un soutien financier, technologique au renforcement des capacités des pays en développement afin qu’ils puissent mieux s’adapter aux impacts du changement climatique et réduire leurs émissions.
Ce décret établit donc un cadre national de régulation carbone. Il concerne toute entité opérant sur le sol djiboutien. Djibouti héberge par exemple plusieurs installations militaires étrangères (France, États-Unis, Chine, Japon, Italie…) énergivores (climatisation, radars, logistique) qui produisent un volume significatif de GES. Le décret intègre ces installations dans un cadre contributif équitable, propose des outils de mesure et de compensation adaptés et surtout ouvre un dialogue technique pour mettre en place une cellule carbone militaire de coordination.
Par ailleurs, la position stratégique de Djibouti fait de son espace aérien et maritime un carrefour majeur. Ces flux de transit ou locaux, ont un impact local avec le carburant utilisé pendant les escales. Le décret prévoit une obligation de déclaration des émissions selon des standards OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) et OMI (Organisation maritime internationale) et de facturation carbone à partir de seuils définis (volume de carburant, nombre d’escales, type d’appareil/navire).
L’OACI fixe des normes internationales pour limiter les émissions de GES dans le secteur de l’aviation civile dont le CORSIA (acronyme de l’anglais Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation, ou en français Régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale) est le principal mécanisme. Il impose aux compagnies aériennes de compenser les émissions de CO₂ produites par les vols internationaux au-dessus de leur niveau de 2019, en achetant des « crédits carbone » .
Le mécanisme prévu par le décret djiboutien est une plateforme numérique de suivi et de transparence pour la facturation, la collecte des recettes provenant de la contribution carbone et la gestion des compensations par des achats de crédits carbone certifiés. Ces derniers serviront à financer des projets locaux, tels que la protection des mangroves ou la mise en place d’installations d’énergie solaire, de centres ruraux de collecte d’eau, etc.
Le décret, après son adoption et la création du cadre institutionnel, a déployé en 2024 des outils techniques pour assurer une mesure précise des émissions, une traçabilité des contributions et une transparence dans la gouvernance carbone. Il a aussi permis la formation des acteurs. Les obligations de contribution doivent entrer en vigueur en 2025.
Avec ce décret, Djibouti montre qu’un petit pays peut avoir une grande vision. En faisant du climat une question de souveraineté et de justice, le pays s’inscrit à l’avant-garde d’une l’Afrique résiliente et innovante. Parmi les États africains les plus exposés au changement climatique, Djibouti choisit de répondre avec fermeté et innovation. Le décret carbone de 2023, désormais pleinement entré en application, redessine en profondeur le rapport entre souveraineté, développement économique et responsabilité environnementale. Derrière son apparence technique se cache une affirmation sans équivoque : la souveraineté climatique de Djibouti n’est pas négociable.
Dans un contexte où les pays du Sud paient le prix fort d’un dérèglement qu’ils n’ont pas causé, Djibouti refuse désormais d’être un simple terrain d’observation ou de victimisation. Il agit. Le texte impose à tous les grands émetteurs présents sur son territoire – qu’ils soient civils, commerciaux ou militaires – de mesurer, déclarer et compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. C’est un signal fort : la présence stratégique ne peut plus se faire à l’abri des responsabilités climatiques.
Certains diront que ce décret est symbolique. Ils ont tort. Cette décision politique s’accompagne d’outils solides : registre national, plateforme de compensation, accompagnement technique et norme MRV (ensemble de procédures standardisées pour suivre régulièrement les émissions de gaz à effet de serre par les entités concernées). Les recettes attendues doivent financer des projets durables et sociaux, dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de la reforestation, et de la protection de la faune et de la flore. Les premières estimations de recettes sont de plusieurs millions de dollars par an. Certaines nations partenaires se montrent prêtes à cofinancer des projets de compensations locales. Ce décret ouvre la voie à un renforcement d’une économie verte locale, à de nouveaux métiers et à des partenariats internationaux responsables. Il positionne Djibouti comme un laboratoire africain de la diplomatie climatique, et non plus comme un simple hub logistique.
Ce texte ne règle pas tout. Il faudra de la vigilance, de la persévérance, de la transparence, et surtout une bonne gouvernance et une gestion rigoureuse sans compromis avec un personnel djiboutien compétent et surtout intègre.
En matière de climat, l’histoire jugera les actions, pas les intentions. Et Djibouti, aujourd’hui, agit.
Omar M. Elmi, économiste, ancien professeur au Lycée d’État de Djibouti
Omar M. Elmi a été promoteur en 2010 du projet de maitrise de l’énergie, en collaboration avec le ministère de l’Énergie aboutissant à la création de l’ADME ( Agence djiboutienne de la maitrise de l’Énergie) par la Loi n°167/AN/12/6ème L du 15 juillet 2012, et auteur du rapport d’assistance technique du projet Alliance mondiale contre le changement climatique et la mise en place du Plan d’action de l’amélioration de l’efficacité énergétique de Djibouti financé par l’Union européenne (mars 2016).
Voir aussi le site du Registre carbone souverain : asc-registry.org.
[1] Décret n°2023-074/PRE, du 13 mars 2023 instituant un mécanisme de contribution et de compensation carbone sur la base du principe pollueur-payeur et création de l’Agence souveraine carbone, placée sous l’autorité de la présidence, Journal officiel de Djibouti du 15 mars 2023, voir en ligne journalofficiel.dj.
Cette histoire est incroyable.
Au-delà de la trahison familiale, comment se fait-il qu’il y ait eu un procès en première instance sans la présence du défendeur, ou du moins de son avocat, surtout vu les fortes sommes en jeu ?
Merci,Mahdi, d’avoir publié mon article.
Omar