Les exportations éthiopiennes de khat sont en net recul depuis plus d’un an pour plusieurs raisons. D’abord la décision de la Somalie de lever l’interdiction d’acheminer par avion du khat depuis le Kenya entre mars 2020 et fin juillet 2022, prise dans un contexte de fortes tensions diplomatiques entre les deux pays. L’élection mi-mai 2022 en Somalie d’un nouveau président, Hassan Cheikh Mohamoud a permis de tourner la page et de rétablir les relations commerciales quelques mois plus tard notamment sur la variété de khat dite « Miraa », très appréciée à Mogadiscio [1]. Ce boycott du khat Kenya avait profité à l’Éthiopie qui avait pu accroitre considérablement ses exportations vers Mogadiscio et donc tirer près de 100 millions de dollars de revenus supplémentaires, amenant ses exportations de khat à 392 millions, « ce qui en fait le quatrième produit d’exportation après le café, l’or et les fleurs. » [2].
Ensuite, le conflit en cours en Éthiopie perturbe les activités agricoles, la pénurie de fertilisants réduit considérablement les rendements, la contrebande et la corruption des agents diminuent les recettes fiscales, et les multiples taxes, perçues de façon désordonnés par les États régionaux sans concertation avec l’État fédéral, renchérissent le produit par rapport au miraa kényan livré à Mogadiscio.
Les objectifs de la nouvelle réglementation
Le journal éthiopien The Capital rapportait en 2022 que le gouvernement d’Abiy Ahmed, en quête de devises et de rentrées fiscales, cherchait à augmenter les exportations et les rentrées qu’elle apportent. Après les fruits et légumes, il s’intéressait aux exportations de khat afin d’augmenter leur apport en devises. Il voulait, comme pour le café, restructurer totalement le marché du khat afin permettre à l’État fédéral de mieux contrôler les circuits de distribution et mieux lutter contre la contrebande qui « cause de graves dommages à l’économie du pays ».
Ce secteur représente près de 25% des exportations agricoles et 11 % des recettes totales d’exportations de l’Éthiopie en 2020 (402,5 millions sur 3,6 milliards de dollars). Si elle était menée à son terme, sa réforme pourrait permettre d’augmenter les recettes fiscales de près de 413 millions de dollars pour l’exportation de 44 000 tonnes. L’ambition est importante, mais pour l’heure seulement « c’est un peu plus de la moitié de cet objectif qui a été atteint au cours des dix premiers mois de l’année » [3], c’est-à-dire 280 millions de dollars (67%).
« Lors de son passage devant le Parlement pour présenter le bilan de ses huit mois d’activité, Gebremeskel Chala, ministre du commerce et de l’intégration régionale, a déclaré que le ministère, en collaboration avec les organismes gouvernementaux concernés, s’efforçait d’améliorer le commerce et les recettes d’exportation du khat. Il a expliqué que les changements introduits dans l’année budgétaire amélioraient les affaires du secteur.
Selon le ministre, la directive sur le commerce du khat est en vigueur depuis environ 41 ans sans aucun changement. Il a déclaré que cela entraîne que le commerce de feuilles stimulantes n’a pas atteint son maximum d’exportation, ce qui réduit par conséquent les recettes que le pays en obtient.
“Depuis lors, des experts se sont réunis afin d’identifier le problème à partir des études réalisées et des difficultés identifiées, et la nouvelle directive commerciale a été élaborée pour stimuler le commerce du khat”, a-t-il déclaré. » [4].
Pour Gebremeskel Chala, cette réforme du marché du khat vise plusieurs objectifs : accroître les ressources fiscales en augmentant les prix à l’exportation, mieux contrôler la production, lutter plus efficacement contre la contrebande et optimiser les recettes en devises. Enfin cette réforme aurait un caractère social, puisqu’elle vise à mieux redistribuer les ressources apportées par l’exportation au profit des agriculteurs, en réduisant le réseau de distribution à quatre lieux de regroupement. Les feuilles seront conditionnées, pesées, emballées et tarifées selon leur qualité, leur poids et le pays de destination. Concrètement, c’est un coup d’arrêt aux milliers d’intermédiaires qui gravitent autour de cette activité en Éthiopie et font vivre leur famille en convoyant ou en négociant le khat. Les importateurs disposent en Éthiopie de représentants et d’agents qui se chargent de superviser le conditionnement et veillent à la qualité du produit.
« Selon M. Gebremeskel, comme d’autres produits d’exportation, le khat est touché par la contrebande : “En raison de l’insuffisance de l’offre et de l’augmentation de la contrebande, le gouvernement, en collaboration avec les parties prenantes, s’efforce de contrôler l’activité illégale et d’améliorer les bénéfices du commerce extérieur du secteur.”
De même, la région d’Oromia a également lancé une initiative visant à favoriser les cultivateurs de khat plutôt que les intermédiaires. Récemment, Shimelis Abdisa, président de la région d’Oromia, a déclaré à Capital que la région mettait en place quatre centres de commerce de khat afin de moderniser le commerce de la plante stimulante. Il a déclaré que la région, qui est la principale source d’exportation de khat, travaille également de manière agressive pour changer le marché et la productivité de la plante stimulante, “Nous accordons la même attention au khat qu’au secteur du café”, a précisé Shimelis. “Nous nous efforçons d’améliorer le marché du khat qui a été pris en main par les intermédiaires, ce qui leur permet de faire des profits au détriment des producteurs réels de la feuille” explique-t-il, ajoutant : “Nous nous efforçons de repousser les acteurs illégaux au profit des agriculteurs.”
Pour améliorer le marché, des centres commerciaux sont installés à Awoday, le seul centre établi de longue date pour l’exportation du khat. Les installations de Bedessa, Addis Abeba et Dire Dawa sont plus récentes. Ces centres disposent d’une zone de stockage, d’une zone d’emballage et d’autres outils afin de maintenir la qualité des exportations. La productivité est également le moyen de développer la production et l’exportation. Selon M. Shimelis, le pays génère d’énormes quantités de devises fortes grâce au khat. » [5].
La récente réforme vise à améliorer le niveau des impôts et taxes prélevés sur une activité à forte valeur ajoutée, et donc à reprendre en main l’ensemble de la chaine de valeur afin d’en améliorer la compétitivité et le contrôle par l’administration fiscale. Le gouvernement éthiopien s’inspire du succès de la réforme de l’exportation du café et, plus récemment, « dans le commerce des graines oléagineuses, des légumineuses et du bétail. » [6]
Pour atteindre ces objectifs, le gouvernement veut centraliser les expéditions au niveau d’un guichet unique dans trois ou quatre centres d’exportation homologués. Cela doit permettre d’augmenter les recettes de l’État, en particulier par l’interconnexion des systèmes d’information comme les producteurs de khat, les licences octroyées par ministère du commerce et les services de la douane et des impôts pour un meilleur suivi des opérations des exportateurs [7] et l’ensemble de ces mesures prises seraient accompagnés d’actions vigoureuses de lutte contre la fraude et la corruption au niveau frontalier.
« Le gouvernement fédéral est sur le point de mettre en œuvre une stratégie nationale de développement des exportations visant à rationaliser les processus d’exportation, à consolider les informations sur les prix et à renforcer la compétitivité des exportations, les responsables espérant que cela suffira à revigorer le commerce d’exportation. » [8].
La distribution du khat éthiopien dans les pays de l’IGAD risque d’être perturbée dans les prochains jours avec la mise en application de cette nouvelle règlementation.
Mahdi A.
[1] Competition from Kenya causes sluggish Khat exports, Reporter Ethiopia, August 6, 2022.
[2] « End ‘chaotic’ khat tax, fed tells regions », Reporter Ethiopia, 8 juillet 2023.
[3] « Somalia khat exports see threshold price doubled to $10 a kilo », Addis Fortune, 9 avril 2022.
[4] « Khat gets a stimulating change in directive », Capital Ethiopia, 11 avril 2022.
[5] Idem.
[6] « Fed to reinstate duties on khat exporters as state revenues continue to slump », Reporter Ethiopia, 6 avril 2024
[7] « Ethiopia issues Directive regulating foreign investors’ participation in restricted export, import, wholesale and retail trade », Tax New, 2 mai 2024
[8] « Fed to reinstate duties on khat exporters as state revenues continue to slump », Reporter Ethiopia, 6 avril 2024.