Je souhaite depuis longtemps publier un texte sur la prison de Gabode et les conditions d’hébergement des détenus. Visiter les lieux et échanger librement avec des détenus et des gardiens aurait été l’approche la plus pertinente pour décrire cet environnement carcéral de la manière la plus objective. Une demande dans ce sens auprès de la commission nationale des droits de l’homme a semblé recevoir un accueil bienveillant. Des raisons personnelles n’ont pas encore permis de faire aboutir ce projet de visite du centre pénitentiaire de Gabode. Ce n’est que partie remise.
En attendant, Human Village a recueilli le témoignage d’un djiboutien incarcéré cinq mois à Gabode qui a, sans hésitation, accepté de décrire les conditions de vie de la cellule dite « deux ». Il espère que ce récit entraînera une meilleure prise en compte des conditions de vie de la population incarcérée. Il le voit comme une démarche citoyenne afin de sensibiliser la population mais aussi, et surtout, les autorités politiques afin de les amener à agir pour créer des conditions d’enfermement plus respectueuses. Les informations contenues dans ce texte ont été vérifiées, corroborées auprès de magistrats, d’avocats et d’anciens personnels pénitentiaires de Gabode. Ils ont tous acceptés de s’exprimer sous le sceau du secret. Ils ont salué la démarche entreprise par Human Village de présenter la situation carcérale au sein du principal centre de détention du pays.
Toutes les personnes rencontrées se sont dites heureuses d’apporter des éclaircissements, des explications, parfois des recommandations, pour faire en sorte que les personnes détenues puissent reprendre le cours de leur existence à leur sortie de prison. Elles ont toutes aussi rappelé que les personnes détenues le sont pour de bonnes raisons pour la plupart, et ont souvent commis de graves infractions. Mais ils reconnaissent que les conditions actuelles d’incarcération, qui s’ajoutent à la privation de liberté, sont inacceptables.
« J’ai été détenu au centre pénitencier de Gabode dans le cadre d’une instruction judiciaire ouverte par le parquet. Après cinq mois de détention- durant la saison fraiche -, les charges ont été levées et ma libération a été ordonnée par le juge d’instruction, mon cas a été dissocié de celui de personnes appréhendées dans le cadre d’une enquête judiciaire. Qu’est-ce que je retiens de cette période d’enfermement entre quatre murs ? Le plus marquant sans doute, c’est le bruit incessant de la cellule. L’autre chose qui m’a le plus gêné, c’est la surpopulation carcérale et manque d’hygiène.
J’ai été amené de nuit du tribunal à la prison de Gabode. Il était tard, aux alentours de 22h30. Nous étions plusieurs à être conduits à la prison de Gabode cette nuit-là. Il n’est jamais évident de prendre conscience que le juge a ordonné l’enfermement provisoire à son encontre, mais le choc est démultiplié lorsque l’on pénètre dans cet environnement carcéral la nuit tombée. Je ne connaissais de Gabode que sa façade extérieure, en passant en voiture comme beaucoup. Là, c’est l’envers du décor. À cette heure tardive, l’établissement est silencieux, la grande cour est vide, toutes les cellules – que l’on distingue après avoir franchi deux sas pour atteindre la grande cour qui baigne dans une lumière faible – sont dans l’obscurité, ce qui s’explique par l’extinction des lumières à 22h. Le hasard a voulu que lors du dispatching des nouveaux entrants, je sois assigné pour le temps de ma détention à la cellule dite « 2 ». Le garde pénitentiaire qui a ouvert la porte de cette grande cellule, où l’on distingue un amas de corps allongés à même le sol, s’adressa directement à l’un des détenus qui gisait de tout son long devant la porte – j’apprendrai plus tard que c’est le chef de la cellule – en lui demandant de bien vouloir me trouver une place au sein de la cellule, avant de me commander d’y entrer et de refermer la porte métallique derrière moi. Le chef de cellule a pris la parole et demandé aux codétenus si quelqu’un voulait bien me laisser sa place puisque toute la surface de la pièce semblait occupée par une sorte de corps emmêlé.
Les cinq premières minutes, le choc est total. Imaginez-vous une grande pièce dans la pénombre. On n’y voit rien. Mes yeux n’ont pas eu encore le temps de s’habituer à la noirceur de la pièce, et j’ai donc du mal à distinguer le nombre de personnes avachies par terre, à même le béton, et que je dois enjamber, les uns après les autres, pour me rendre à la « couche » qui m’a été désignée vers le fond de la pièce. En effet un détenu a proposé aimablement de me céder son bout de sol pour y passer la nuit, en se sacrifiant d’une certaine manière, puisqu’il a passé la nuit dans le seul espace encore libre, le moins apprécié, qui jouxte le rideau du box sanitaire, pas très loin de la porte de la cellule. Sur le moment, je ne me rends pas vraiment compte de l’environnement de ma cellule, j’ai très mal à la tête, je me sens extrêmement fatigué, je n’arrive à penser à rien, et c’est plutôt tant mieux. Je viens de passer la journée au tribunal, mentalement je n’ai pas encore compris ce qui m’arrive, et je n’arrive toujours pas à intégrer dans mon esprit ma conduite en cellule après mon passage chez le juge d’instruction. Je n’ai pas cherché midi à quatorze-heure, je me suis vautré dans la place libérée. Je dors la tête au niveau du mur, collé entre deux détenus, le corps reposant sur le béton du sol. Je dors avec les vêtements que je portais sur moi. J’ai été conduit en prison dans la foulée de la décision d’incarcération. Je n’avais rien mangé de la journée, j’avais vraiment faim…. Mon briquet/torche et mon paquet de cigarette dans ma poche sont les seuls effets personnels en ma possession à ce moment-là. Allongé ainsi la nuit, il n’est pas possible de se contorsionner, de bouger durant son sommeil, tellement les détenus sont collés épaules contre épaules. Mais, en dépit des conditions invraisemblables de ma literie carcérale, cette première nuit, il ne m’a pas fallu plus de cinq minutes pour sombrer dans un sommeil profond… Je pense que mentalement et physiquement, mon corps ne répondait plus, ne voulait plus réfléchir, il me restait uniquement le désir de poser ma tête et récupérer des forces.
J’ai ouvert les yeux à l’aube, un peu avant six heures du matin, à cause du remue-ménage dans la cellule. Les uns après les autres mes codétenus se réveillaient. On m’apprend que ma cellule est appelée « la deux ». Elle donne directement sur la grande cour. Ce matin-là, elle comptait, y compris ma personne, 80 détenus. Je dois dire que j’ai été bien accueilli par mes compagnons de cellule. Je me suis rapidement lié d’amitié avec trois ou quatre personnes, les plus âgées, qui ont été très avenantes et m’ont expliqué le fonctionnement de la prison dans ses grandes lignes. Durant les cinq mois de ma détention, je n’ai connu qu’un minimum de 74 personnes dans la cellule que j’occupais, et un maximum 80. Je peux vous assurer que six personnes en moins, ne serait-ce que pour deux ou trois nuits, c’est une sacrée différence en terme de confort. Malheureusement, cela ne dure jamais assez longtemps pour que l’on puisse en profiter, puisque, presque aussitôt, d’autres personnes sont écrouées et l’effectif revient rapidement à saturation.
Les détenus sont comptés deux fois par jour. À six heures du matin, et, un peu avant l’heure de la prière de maghreb, c’est-à-dire, pendant qu’il fait encore jour en fin de journée. Lors de ces deux moments, les cellules sont toutes ouvertes par les gardes. Les détenus doivent se positionner devant et s’accroupir, en rangées de dix détenus pour faciliter le comptage. Toutes les cellules ne sont pas de la même taille, et elles ne donnent pas toutes sur la grande cour. Il y a plusieurs zones de détention à Gabode : sommairement, une partie est réservée aux hommes adultes, une autre aux femmes (composée de deux grandes cellules), et une autre zone d’une seule grande cellule pour les mineurs de plus de 13 ans, prévenus comme condamnés.
La détention est divisée en plusieurs unités. Chacune est découpée en unités d’enfermement, souvent collectives. Cinq sont disposés dans la grande cour, une autre grande dénommée dépôt et quatre désignées de tantinet comportant une grande pièce et trois plus petites. Quatre unités sont situées dans le périmètre immédiat de l’infirmerie (une grande cellule et trois plus petites). Deux grandes sont réservées aux femmes et une autre grande pour les mineurs. Rares sont les celulles individuelles. Elles sont au nombre de douze. Ces derniers mois, des aménagements ont été opérés dans l’urgence, principalement au niveau du bloc administratif situé dans une partie réservée du complexe de la prison, afin d’assurer l’hébergement depuis janvier dernier de prévenus ou détenus dits sensibles. Le risque pour leur sécurité, du fait de fonctions exercées antérieurement, a nécessité qu’ils soient séparés des autres détenus.
La cour centrale dispose d’une mosquée – qui du fait des heures d’enfermement ne permet pas aux détenus de s’y recueillir, ni d’y prier et c’est vraiment dommage - et d’un terrain de football rudimentaire. La sortie dans la cour permet de se détendre, de prendre un bol d’air. On peut échanger avec les détenus des autres cellules, faire de la marche. Certains détenus profitent de cette sortie pour étendre au soleil le linge qu’ils ont lavé pour essayer de le faire sécher, mais souvent malheureusement, ils doivent le décrocher pour le rentrer avant qu’il ne soit totalement sec. Une ou deux heures au soleil, c’est bien souvent insuffisant pour permettre à du linge de sécher sur les barreaux extérieurs de la cellule. La durée de sortie hors de la cellule des détenus est extrêmement réduite. Elle est, par alternance, d’une heure un jour, et deux heures le jour suivant. Ce qui revient à être enfermé entre 22 et 23 heures par jour dans cette surpopulation carcérale… Parfois, il y a des altercations dans la cellule entre les détenus, mais le calme est rapidement ramené par le chef de la cellule qui s’interpose. Il faut bien comprendre qu’il est le véritable taulier de la cellule. Sa voix prime, un mot de sa part au gardien et c’est le mitard pour plusieurs jours. Apparemment, c’est un lieu encore beaucoup plus difficile où les conditions d’incarcération sont encore plus pénibles, bien que cela semble difficile de croire que cela existe.
Ce n’est pas évident d’occuper son temps dans une grande pièce d’environ quarante mètres carrés, où le vacarme incessant est la norme, du lever du soleil, au couvre-feu, c’est-à-dire 22 heures.
L’aménagement des cellules est des plus rustique. Aucun mobilier. Rien n’est prévu pour le couchage des prisonniers. Pas de matelas, on dort à même le sol. Le rituel de la nuit est invariable. Comme l’espace est rare et pour éviter des conflits entre les détenus, le chef de cellule prend l’écart de ses deux mains posées l’une contre l’autre pour mesurer au sol l’espace dévolu à chacun pour la nuit. On est carrément collé les uns aux autres, épaule contre épaule. L’expression « serrés comme des sardines » prend tout son sens.
La cellule dite « deux » comporte un box sanitaire comprenant en tout et pour tout deux toilettes à la turque. L’un des deux a été bouché durant toute la durée de ma détention. Ce sanitaire consiste en un trou dans le sol, entouré d’une dalle en faïence, qui sert à la fois pour la douche et les toilettes. Ce petit box sanitaire est séparé du reste de la cellule par un simple rideau. Pour le respect de l’intimité, il ne faut pas y compter. Ma cellule ne comporte pas de lavabo. Un robinet, à dix ou quinze centimètres du sol, permet de remplir une petite bassine. Il nous sert de point d’eau pour nous laver, l’utilisation des WC et laver le linge. Concernant la propreté de l’eau, le gobelet pour puiser l’eau de cette bassine pour les différents usages, pourrait rebuter si l’on y regardait de trop près, surtout pour un nouvel arrivant… Pourtant, à la longue on n’y prête plus attention. On apprend à revoir ses critères de salubrité et d’hygiène corporels, et, ce, bien qu’une sévère épidémie de la gale sévisse dans l’enceinte des murs de la prison.
Lorsque vous êtes 80 personnes à partager un seul box sanitaire, ne disposant d’aucun support pour les affaires de toilette ou les vêtements le temps de la douche, et que vous ne devez compter que sur un petit rideau qui vous sépare des autres détenus qui trépignent d’impatience pour s’y rendre à leur tour, on ne dispose pas de plus de deux ou trois minutes à chaque passage. Bien évidemment, pas de papier toilette.
De crainte que cela puisse servir d’arme, aucune vaisselle n’est fournie pour les repas. Ils sont distribués dans une grosse bassine pour chacune des cellules. Par exemple, pour boire du thé, les détenus confectionnent à partir de bouteille d’eau coupée en deux, des sortes de verres qui servent au petit déjeuner le matin, mais aussi le reste de la journée. Le thé est livré dans un gros seau pour la cellule entière. C’est le chef de cellule qui se charge de sa distribution ainsi que de celle des différents repas. A défaut d’assiettes, on verse le repas dans des sacs en plastique individuelles qui sont réutilisés plusieurs jours d’affilé pour tous les repas. Plus rarement, certains en l’absence de contenant n’hésitent pas à verser leur repas à même le sol. Pour les couverts, on se sert de nos doigts. Tous les détenus prennent leur repas dans la cellule. Je pense que si l’on filmait le repas des détenus de Gabode, ceux qui verraient ces images concluraient qu’ils n’ont pas à faire à des êtres humains mais à des animaux. Ce sont des conditions humainement dégradantes. J’en garde un mauvais souvenir. Personnellement je ne pourrais jamais souhaiter, même à mon pire ennemi, de connaître la prison de Gabode.
Le petit-déjeuner est composé d’une baguette et deux carrés de fromage « Vache qui rit » par détenu, et un verre de thé. Pour le déjeuner, pâtes un jour, riz le jour suivant, accompagné trois fois par semaine d’un bout de viande ou de poisson. Le dîner, c’est une baguette par détenu avec un plat de féculent. En fonction des jours de la semaine c’est haricot, lentilles, foul. Après le repas, je vous laisse imaginer l’état de la cellule… Tous les restes de repas et les autres déchets sont réunis près de la porte de la cellule et des box des toilettes (pas de sac poubelle). Ces déchets sont ramassés sommairement en même temps que le ramassage des bassines dans lesquelles les repas ont été livrés par des détenus en charge de la livraison de repas qui passent de cellule en cellule. On les reconnait car ils portent des gilets jaunes sur les épaules,
Un kit sommaire de toilettes est délivré à chaque détenu tous les quinze jours, il comprend deux petits sachets de savon en poudre et la moitié d’un gros savon. La distribution est là aussi assurée par le chef de chaque cellule. On peut recevoir de ses proches des produits alimentaires ou des objets d’utilité quotidienne, mais ce n’est pas à la portée de toutes les familles de détenus. Ceux qui sont soutenus par leurs proches font plutôt figure d’exception. Dans la cellule, ceux qui reçoivent des effets personnels - comme des biscuits, des fruits, du khat, etc. - le partagent avec les autres codétenus. C’est un peu le système de la collectivité qui fonctionne en cellule.
Un grave accident s’est produit quelques temps avant mon incarcération, dans une petite cellule occupée par seulement cinq personnes. Elle disposait exceptionnellement d’une plaque chauffante électrique. Un détenu, après avoir fait chauffer de l’huile de cuisson l’a versé de manière intentionnelle sur le visage et le corps d’un de ses codétenus de nationalité portugaise qui était en plein sommeil. Depuis ce grave accident, ce genre de privilège est proscrit.
Le haut des murs de la cellule est entièrement couvert de barreaux, ce qui permet à la cellule de s’aérer un peu. Ce n’est pas un luxe puisque les WC sont situés dans la cellule ou vivent enfermées 80 personnes, vingt-deux voire vingt-trois heures par jour. Pour ne pas être exposés, les produits ramenés de l’extérieur par les proches sont sécurisés dans des sacs en plastiques accrochés à ces mêmes barreaux au-dessus de nos têtes. En général, chacun retrouve grosso modo chaque nuit son coin de bout de sol pour passer la nuit. C’est tellement encombré de vêtements au niveau des barreaux, qu’en cas d’incendie dans les cellules surchargées je ne sais pas comme cela se passerait pour les détenus. Le feu pourrait se propager très rapidement. Est-ce que le risque d’incendie a été pris en compte ? Je ne crois pas malheureusement.
La cellule on s’y lave, on y mange, on y passe la nuit. Pour se distraire ce n’est pas évident. Aucun jeux de société, pas de bibliothèque... Le khat est vendu à Gabode, cela permet d’adoucir la cohabitation entre le détenu et le garde carcéral. Cela permet à ceux qui reçoivent un peu d’argent de proches de mieux supporter l’enfermement. Il s’agit de tromper l’ennui et de remplir le temps. Pour m’évader l’esprit, je me suis réfugié dans la religion. J’ai demandé à mon épouse de me ramener un Coran que je lisais toute la journée - et des boules « Quies » pour les oreilles. Comme le bruit est infernal, il aurait été impossible sinon de me concentrer pour la lecture du saint livre. Je dois dire que, dans les premiers jours de ma détention, nous n’étions que trois ou quatre personnes à faire la prière de fajr (4h50 du matin). Mais jour après jour, le nombre de personnes à se joindre à nous pour cette prière a gonflé, au point qu’au moment de ma libération on était autour de cinquante personnes à se lever dans la nuit pour prier. Certains de mes codétenus voulaient que je leur enseigne le Coran, mais l’idéal aurait été d’avoir un tableau noir et une craie, ou d’avoir accès à la mosquée de la prison. J’ai demandé le minimum, l’autorisation d’avoir un cahier et un stylo... j’ai dû me justifier deux ou trois fois auprès de plusieurs responsables pénitentiaires, qui voulaient savoir ce que je voulais faire de ce papier et de ce stylo. Finalement, au bout de quinze jours on m’a remis quatre feuilles numérotées et un stylo en m’expliquant que je n’étais pas autorisé à déchirer les feuilles après utilisation. D’ailleurs les quatre feuilles ont été récupérées… Je n’en ai plus demandées tellement c’est règlementé. Ils ont une peur bleue que l’on fasse sortir un message à l’extérieur. Que craignent-ils ?
Mon épouse venait me voir une fois par semaine, le samedi matin, avec un thermos de café et des croissants que nous partagions sous un arbre à l’ombre dans la cour du bloc administratif. Pour se rendre d’un bloc à l’autre, on est fouillé au moins trois fois, à l’aller comme au retour. L’un des gardiens, toujours le même, a la mauvaise habitude de nous palper les parties intimes alors que nous étions déshabillés devant lui après notre retour du bloc administratif. Au bout de deux ou trois mois, excédés par ce comportement abusif, avec d’autres détenus nous avons demandé à rencontrer le directeur du centre de détention pour nous plaindre de ce vigile. Cela a été efficace, depuis cette pratique a cessé.
La surveillance est permanente durant les visites… Les quarante-cinq minutes passées avec mon épouse tous les samedis étaient épiées. Un gardien est à portée d’oreilles. Je n’ai pas compris ce qu’il pouvait craindre. J’avais été fouillé minutieusement, il en avait été de même pour mon épouse, et pourtant on était en permanence sous l’observation d’un gardien. Quand je me rendais auprès d’elle, j’essayais de la rejoindre en étant gonflé à bloc, avec un énorme sourire et plein d’entrain. Je voulais l’apaiser, ne pas l’inquiéter sur ma situation. Je voulais lui donner de la force et du courage pour tenir jusqu’au samedi prochain. En fait elle était abattue, alors je faisais de mon mieux pour lui faire passer un moment de gaieté.
Dans ma cellule on disposait d’une toute petite télévision en noir et blanc qui appartenait à un détenu, et ne pouvait servir à visionner que des films en turc contenus dans une clé USB. On échangeait parfois avec d’autres cellules les clés USB… Bref, toujours les mêmes films tournaient en boucle tout au long de la journée sur le poste. Personne dans la cellule ne comprenait un mot de turc mais cela n’a jamais empêché mes codétenus de mettre le son de la télévision plutôt trop fort à mon goût. »
« L’objectif des peines d’emprisonnement et des mesures similaires qui privent l’individu de sa liberté est principalement de protéger la société contre le crime et les récidives. Ces objectifs ne sauraient être atteints que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure possible, la réinsertion de ces individus dans la société après leur libération, afin qu’ils puissent vivre dans le respect de la loi et subvenir à leurs besoins. »
Nelson Mandela
Est-il sain de faire cohabiter dans la même cellule des criminels aux mains entachées de sang et des personnes dont la santé mentale semble incompatible avec la détention, avec des prévenus en attente de jugement et des condamnés à de courtes peines pour des motifs de petite délinquance ? Le 20 juin 2022, 784 personnes étaient détenues à la prison de Gabode. La grâce présidentielle du 27 juin a permis de libérer 285 d’entre elles. Une bouffée d’oxygène provisoire et insuffisante, puisque la capacité maximale théorique de la prison est d’à peine une centaine de détenus.
Des efforts pourraient être réalisés pour l’amélioration de l’alimentation des détenus. Comment peut-on considérer qu’une dotation mensuelle de trois millions de nos francs est suffisante pour payer les trois repas de près de 800 détenus ? D’ailleurs, le budget pour nourrir la centaine de gardes est quatre millions de francs. Ils bénéficient de quatre cuisinières – aidées pour la vaisselle par trois détenues - qui se relaient pour assurer les différents services. Dans les cuisines pour les détenus masculins, ce sont exclusivement des prisonniers qui sont à la tâche, sans rémunération. Ils doivent se contenter de contrepartie en nature et avantage. De plus, quel sens y a-t-il à ce que la caisse de Gabode, dotée d’un million de francs par mois pour couvrir les dépenses urgentes et les petits entretien, reverse depuis 2020 sur ce maigre montant 300 000 FDJ au cabinet du ministre ?
Pour commencer à améliorer le quotidien et rendre l’environnement plus humain, des petites choses pourraient être faites, notamment, aider les femmes avec des kit d’hygiène comprenant des serviettes. Laisser plus de temps à l’air libre aux détenus serait un minimum. Il ne faut pas oublier que ce sont des êtres humains dont la seule sanction est la privation de liberté. Il faudrait aussi revoir les conditions sanitaire, l’hygiène, la qualité des repas, et même les mesures de sécurité pour éviter un drame en cas d’incendie.
Le meilleur outils contre la récidive est la réinsertion sociale des condamnés. Malheureusement sur ce point, c’est le vide abyssal. Qu’en est-il de l’enseignement obligatoire pour les détenus mineurs alors que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans ? Comment lutter contre les journées interminables et la routine répétitive que subit la population carcérale ? Le ministre des Affaires pénitentiaires, chargé des droits de l’homme, Ali Hassan Bahdon, a-t-il pris la peine de visiter les cellules et échanger avec des détenus sur leurs problèmes, comme la santé mentale, l’absence de politique de réinsertion, etc. ? Pourquoi n’existe-t-il pas de débat national sur l’introduction dans notre code pénal de peines alternatives au tout carcéral, comme les travaux d’intérêt général, le bracelet électronique ? Enfin, pourquoi le centre pénitentiaire n’ouvre-t-il pas ses portes aux associations, aux psychiatres, aux assistants sociaux indispensables pour aider les détenus, mieux les orienter et préparer leur sortie. Il faudrait inciter des entreprises à s’engager dans un accompagnement des sortants, dans leur formation, en s’appuyant sur des œuvres caritatives et les partenaires du développement. Nous pourrions être surpris par un élan de mobilisation de la population pour relever ce défi et lutter contre la récidive en ne laissant personne seul, en dehors du chemin.
Le gouvernement se réunit demain - pour deux jours, les 5 et 6 octobre 2022 - dans la belle localité de Tadjourah. Il serait bien inspiré de se saisir de ce dossier de manière urgente et d’examiner des solutions rapides pour rendre cette institution carcérale plus vivable, plus digne pour les personnes qui y sont enfermées.
Mahdi A.