Human Village - information autrement
 
Pour Ismaïl Omar Guelleh, « notre pays va bien » !
par Mahdi A., août 2018 (Human Village 33).
 

Mardi 21 août, le président de la République a prononcé son traditionnel discours de l’Aïd El Adha, dans lequel, il a balayé de nombreux thèmes liés à l’actualité aussi bien nationale que régionale.

« Notre pays que nous chérissons et que nous aimons tous »
Le ton de cette allocution, essentiellement consacrée à convaincre que le « pays va bien » sous sa gestion de bon père de famille, se voulait confiant. Le président a surtout cherché à envoyer un message rassurant à la population, suite aux peurs suscitées par les bouleversements régionaux, et répondu aux critiques sur sa ligne de conduite. Il considère qu’au niveau régional le pays peut s’enorgueillir de ses performances en termes économiques, politiques, démocratiques, et de bonne gouvernance.
« Notre pays va bien. Il nous donne beaucoup de raisons pour nous montrer optimiste quant à son avenir. Les réformes que nous avons engagées commencent à porter leurs fruits.
Le vaste chantier de nos réformes structurelles mais aussi le financement permanent dans les infrastructures, comme en témoigne la récente inauguration de la première phase du complexe de la plus grande zone franche de l’Afrique, visent à accélérer la croissance, à réduire le chômage, à mieux intégrer notre pays à l’économie mondiale et à rendre le développement durable, social et solidaire » [1], a d’abord diagnostiqué le chef de l’État.

En parlant de « financement permanent », il salue la qualité du partenariat noué avec la République populaire de Chine, et rejette les critiques sur le niveau d’endettement du pays, puisque les réalisations sont concrètes, citant « [l]’inauguration de la première phase du complexe de la plus grande zone franche de l’Afrique », comme la dernière pierre apportée à l’édifice de cette émergence recherchée.
Selon les données de la Banque mondiale, « pour rattraper son retard en matière d’infrastructures l’Afrique subsaharienne aura besoin de plus de 93 milliards de dollars chaque année. Or, seule la moitié de ce montant est couvert » [2]. Djibouti n’a pas ce gap… Le pays a trouvé en son partenaire chinois, un accélérateur de croissance aux moyens illimités à même d’assurer le financement des ambitions multiples déclinées dans la stratégie gouvernementale « Vision 2035 ». La ligne directrice est la diversification de l’économie nationale, en promouvant notamment son industrialisation et en confortant sa position dominante de plateforme logistique régionale. Pourquoi privilégier l’option de l’industrialisation ? Ce secteur est créateur de richesses et d’emplois. Le gouvernement veut surfer sur les importantes délocalisations d’usines chinoises sur le continent africain. Il entend s’appuyer, pour capter ces emplois délocalisés, sur le lancement du parc industriel de la Free Trade Zone qui va s’étendre sur une surface de 48 km2 à terme, c’est dire l’envergure des intentions du partenariat noué avec trois sociétés chinoises : Dalian Port Autority, China Merchant Holding et IZP Technologies... Les 4 km2, inaugurés en grande pompe en juillet dernier, n’en sont que la première phase. Plusieurs milliards de dollars seront engagés ; ils permettront de créer à terme des centaines de milliers d’emplois, une croissance diversifiée, inclusive et durable avec une incidence sur la pauvreté. Vaste chantier que cette politique d’industrialisation, a l’objectif pas si « fou », puisque selon, les estimations du vice-président de la Banque mondiale et économiste en chef, Justin Lin : « La Chine compte actuellement 85 millions de travailleurs dans des emplois peu qualifiés dans la fabrication qui devront être délocalisés ailleurs en raison de la hausse des salaires et des niveaux de productivité contre 9,7 millions d’emplois japonais dans les années 60 et 2,3 millions d’emplois coréens dans les années 80 » [3]. Djibouti peut raisonnablement espérer tirer son épingle du jeu en développant le secteur de l’industrie légère de transformation destinée à l’exportation pour peu qu’elle parvienne à se faire violence et lève les hypothèques qui brident son élan : la piètre qualité de la formation professionnelle, le coût de l’énergie, de la main d’œuvre, des communications, de la logistique, de la corruption endémique… Cela sera une autre paire de manche, en attendant comme dit le dicton, « l’espoir fait vivre » !

« Nous sommes persuadés que nous sommes dans le droit chemin »
Et d’affirmer dans son intervention de la Aïd El Adha, que « Notre pays est plus que jamais outillé pour servir de pivot à l’intégration économique régionale. Tous les grands investissements structurants que nous avons réalisés ces dernières années convergent vers cette ambition de devenir une plateforme pour servir le développement économique de l’ensemble de la région. Les premiers résultats nous encouragent à persévérer sur cette voie.
Grâce à ces infrastructures, dans les domaines des ports, des zones franches ou encore des télécommunications, notre pays s’est frayé une place dans les échanges du commerce mondial. Grâce à nos efforts, nous sommes devenus un maillon essentiel de la mondialisation économique et de l’intégration régionale » [4].

Le ministre de l’Économie et des finances, chargé notamment de « la mise en musique » de la politique d’industrialisation, Ilyas Moussa Dawaleh, expliquait dans nos colonnes les tenants et aboutissements de cette nouvelle stratégie économique : « Nous souhaitons accélérer la diversification de l’économie nationale afin de ne plus compter seulement sur le port et les services car ils sont consommateurs de ressources financières très importantes et ne créent pas suffisamment d’emplois. Les réformes structurelles que nous menons visent à développer l’industrie légère et nous devons maximiser nos atouts, nos potentialités et notamment notre localisation géostratégique, mais également d’autres secteurs aux potentiels reconnus mais encore en friche comme par exemple le tourisme » [5]. Il était temps de s’atteler à la diversification de l’économie.

Des choix souverains
Ismaïl Omar Guelleh a rappelé que les choix de la République de Djibouti sont souverains, que le pays est libre d’accueillir qui bon lui semble, sur son sol. Laissant entendre que ce rapprochement avec ce grand pays millénaire, sur le plan économique, commercial, logistique et militaire, est un motif de satisfaction très fort pour le gouvernement. Il l’avait encore plus clairement martelé lors de son discours du 27 juin dernier :
« C’est à nous Djiboutiennes et Djiboutiens qu’il appartient de cultiver le champ de notre souveraineté. C’est à nous Djiboutiens de décider et d’agir pour le bien de notre peuple et de notre nation. Personne ne le fera à notre place. Personne ne le peut le faire et, ne doit le faire à notre place. Pourquoi ?
Lorsque notre pays contracte des accords militaires ou économiques avec d’autres pays, c’est en toute souveraineté, avec comme objectif le développement et bien être de notre peuple. Aucun arrangement, aucune clause, aucun compromis, ne peuvent barrer le chantier de notre souveraineté, c’est à dire, notre droit à défendre les intérêts suprême de notre nation. […]
Notre économie avec une croissance annuelle de 7% se trouve dans une situation confortable, c’est la preuve que la politique que nous avons mis en place pour attirer les investissements étrangers était la plus efficace. Nous allons poursuivre dans cette voie avec des réformes audacieuses pour moderniser notre économie et la rendre plus compétitive à l’échelle de notre région. Nous allons renforcer nos avantages comparatifs que nous offre notre monnaie, ou encore notre position géostratégique, avec plus de flexibilité et plus de souplesse. Cette adaptation est nécessaire et indispensable si nous voulons tirer profit des opportunités qu’offrent la mondialisation économique ». Le partenariat avec la Chine ne sera donc pas remis en cause, contrairement, à celui avec Dubaï !

Ismaïl Omar Guelleh est conscient que cette situation inédite, faire cohabiter différentes puissances majeures sur 23 000 km2, n’est pas au goût de tous les « amis » de Djibouti, et que l’hospitalité offerte aux troupes chinoises peut susciter quelques crispations, et des grincements de dents... Craignant un possible dérapage entre forces armées étrangères stationnées sur le territoire, comme peuvent le faire penser les accusations répétées d’espionnage de la base chinoise par les troupes américaines, ou bien encore la dénonciation de l’utilisation de puissants lasers aériens, perturbant l’orientation des pilotes américains à proximité de l’infrastructure militaire de « l’Empire du Milieu », Djibouti n’a pas hésité, pour une désescalade des tensions, à faire appel à des intervenants extérieurs, notamment le Centre Carter, l’Institut chinois des Relations internationales contemporaines (CICIR), ainsi que la Fondation One Earth Future. Il s’agissait d’organiser un cadre de discussions « sur les moyens de renforcer la collaboration » entre plus particulièrement les forces armées chinoises et américaines. « Ce forum de deux jours a également regroupé une pléiade d’experts américains et chinois dans la salle de conférence du Sheraton. Les intervenants ont discuté des questions en rapport avec les relations internationales, la géopolitique, l’économie et le développement »[« [Relations entre les Etats Unis, la Chine et l’Afrique Djibouti comme un modèle de coopération tripartite], La Nation, 6 août 2018.].
Il avait notamment insisté, s’exprimant en somali et de manière improvisée, sur ce qui est au fondement des relations entre États. Pour le président, elles reposent principalement sur le respect mutuel, l’amitié, la coopération, tout en veillant à la défense des intérêts nationaux. Lesquels ne peuvent être mégotés, et où, « nous devons rester ferme, c’est la seule manière pour construire notre pays », a t-il notamment déclaré. Concernant la question de Doumeira, le président exclu la moindre concession. Il rappelle que Djibouti a été et continuera d’être à l’avant garde pour promouvoir la paix dans la région. Il ne semble pas tant impressionner par la recomposition régionale en cours ou « la fabrique » de nouvelles alliances, louant plutôt les atouts de notre jeu de cartes : l’indexation de notre monnaie au dolllar américain et sa libre convertibilité, la stabilité nationale, la petitesse du pays, la richesse d’une nation pacifiste, de moins d’un million d’habitants, où, les ressorts de la solidarité sont vivaces, allant jusqu’à ériger la cohésion nationale en totem, gage de prospérité. Ismaïl Omar Guelleh est un fervent défenseur de l’idée que nous ne pouvons pas obtenir une croissance soutenue et vaincre les défis nationaux sans la paix et la sécurité. C’est son mantra !
Il ne paraît pas croire aux miracles, ni à l’effacement par un simple coup de bâton magique, d’antagonismes de plusieurs décennies entre voisins de la Corne, ni aux amitiés « naissantes » circonstancielles, voire opportunistes. Il pense probablement qu’elles ne feront pas long feu. A contrario, face à ces chamboulements régionaux, il se réjouit du chemin emprunté par notre pays : une stratégie posée, réfléchie, construite sur la durée avec un partenaire de choix.

Cette ligne politique a suscité maintes critiques de la part d’une frange importante de la population, qui estime que le logiciel appliqué est dépassé, opaque, complètement corrompu et aspire à l’instar de l’Éthiopie voisine, à un vent de renouveau. Le chef de l’État veut les rassurer, il leur dit que Djibouti n’est ni dans le désarroi, ni dans l’expectative, mais qu’elle n’entend pas enterrer la hache de guerre avec l’Érythrée, à n’importe quel prix : les frontières nationales sont délimitées « de Loyada, à Doumeira », ni plus ni moins !
« Notre unité, notre sécurité et notre stabilité nous ont incontestablement permis d’engranger des acquis et des réalisations qui concourent à l’essor et au développement de notre cher pays.
L’embellie actuelle de notre économie, classée parmi les dix meilleurs taux de croissance en Afrique, nous rend optimiste pour notre avenir.
Une économie compétitive, une économie inclusive et une économie diversifiée, tel sera le triptyque sur lequel nous allons baser les réformes à venir pour que les performances économiques de notre pays se pérennisent et se répercutent encore davantage sur le développement social » [6].

Cette embellie illustre pour le chef de l’État, à quel point les investissements chinois ont été bénéfiques pour le développement du pays. Dans la même veine, il n’a pas manqué de rendre un hommage à plusieurs reprises au peuple djiboutien, pour sa clairvoyance, sa cohésion, et surtout son unité, notamment pour avoir su transcender ses origines ethniques, pour au final n’en faire plus qu’un, une nation unie. Rejetant au tréfonds de l’histoire les « identités meurtrières » pour ne retenir que l’essentiel, la destinée commune d’un peuple soudé par une cohésion sociale, une fibre citoyenne, une solidarité sans failles, le sentiment d’équité et de justice de chacun devant la loi, l’ardent désir de vivre en paix avec ses voisins, ces valeurs communes constitueraient le socle de la « nation djiboutienne », dans laquelle le clanisme et le tribalisme n’auraient plus droit de « cité ».
Mais qu’en est-il de la contribution d’Ismaïl Omar Guelleh, à cette mutation sociétale, puisque, subrepticement, c’est la principale raison de l’élan rhétorique ? Pour en avoir la réponse il faut se remémorer le discours de politique générale du 23 avril au Parlement, du Premier ministre Abdoulkader Kamil Mohamed, s’époumonant sur les qualités exceptionnelles de celui qui « est devenu le ciment de notre Nation », la vigie de la « bonne gouvernance » ainsi que le garant de la liberté de « chaque citoyen [à s’impliquer] dans la vie publique », le visionnaire « qui a su, par la confiance et la conviction qu’il inspirait » convaincre les investisseurs en l’essor de Djibouti, le père de famille attaché à préserver l’îlot de stabilité dans l’environnement régionale tourmenté, tout en assurant une croissance économique « sans secousse » et grogne sociale. On devine que, la contribution du " frère numéro un ", est considérable : Abdoulkader Kamil Mohamed, élève quasiment le chef de l’État, au rang de grand Timonier !

« [L]a plus grande réalisation du président Ismaïl Omar Guelleh. Il s’agit pas d’un grand monument, ni d’un grand ouvrage facilement visible, mais c’est plus important que tout, plus important même que notre unité réalisée à notre indépendance. Il s’agit de l’ancrage dans la population d’un profond sentiment National.
Aujourd’hui qu’on soit né dans un village à proximité de la frontière la plus éloignée ou dans un quartier de la capitale, on se sent avant tout Djiboutien. Aujourd’hui, que les coutumes ou les paysages soient semblables des deux côtés de notre frontière, on se sent, sur tout le territoire national, avant tout Djiboutien. Le centre d’intérêt de chacun est la nation », plaidait le Premier ministre depuis le perchoir de l’hémicycle.
N’excluant pas de possibles manigances de « mains invisibles » pour déstabiliser le pays, en réactions notamment, au rapprochement de ces dernières années avec la République fédérale de Chine, Abdoulkader Kamil Mohamed lance une ferme mise en garde à l’encontre de ceux qui projetteraient d’atteindre à la souveraineté du pays : « Tous les djiboutiens et les Djiboutiennes veulent défendre la Nation contre toutes les attaques, qu’elles soient internes, fomentées par des extrémistes, ou qu’elles viennent de l’extérieur. Ils veulent préserver ce qui a été fait pour eux et leurs enfants. Ils veulent protéger la Nation. Ceci est définitivement enraciné en nous, grâce au président de la République. Il est devenu le ciment de notre Nation ».

On notera que malgré cette assurance affichée par le gouvernement, une certaine fébrilité est perceptible, sans doute la raison de la convocation le 14 et 15 septembre de « rencontres citoyennes », pour dégonfler la baudruche d’inquiétudes sur la politique menée, et probablement, tenter de reprendre la main…

Mahdi A.


[1« Allocution du président de la République », Human Village, août 2018.

[2Marie de Vergès, « Le G20 se fixe comme priorité de stimuler l’investissement privé en Afrique », Le Monde, 18 mars 2017.

[3Julie Chaudier, « Ces usines chinoises qui se déplacent vers l’Afrique », Le Point, 1/12/2015.

[4« Allocution du président de la République », Human Village, août 2018.

[5« En aparté avec… Ilyas Moussa Dawaleh », Human Village, juin 2016.

[6« Allocution du président de la République », Human Village, août 2018.

 
Commenter cet article
Les commentaires sont validés par le modérateur du site avant d'être publiés.
Les adresses courriel ne sont pas affichées.
 
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 
Ismail Omar Guelleh à Paris
 
Slim Feriani et le droit à la présomption d’innocence
 
Le Serval à l’épreuve du territoire djiboutien
 
| Flux RSS | Contacts | Crédits |