De nombreux Djiboutiens verraient rejeter leurs demandes de visas Schengen déposées auprès du consulat de France à Djibouti. C’est devenu un sujet dont tout le monde parle avec étonnement, amertume, mais aussi parfois colère. Nous avons voulu savoir réellement ce qu’il en était, mieux comprendre la mécanique des visas, en nous interrogeant notamment sur l’existence d’un quota de visas au-delà duquel il n’en serait plus délivrés, ainsi que d’évaluer si des interactions « objectives » entrent en compte dans l’attribution des visas et, si oui, lesquelles en mettant des chiffres en perspective, mais également essayer de comparer la situation de Djibouti avec celle d’autres pays du continent dont les données sont connues. Devant la complexité de la question, et pour éviter de porter le flanc aux critiques trop faciles, nous avons voulu nous en tenir aux chiffres, plus explicites que les commentaires. Aussi, nous avons cherché à obtenir les données sur les délivrances de visas (dont la part d’étudiants), le nombre de demandeurs, le taux de refus… Pour obtenir ces informations, pas de miracle. Human Village a contacté dans un premier temps le service communication de l’ambassade France, puis dans un second temps le consulat. Sans doute un peu surpris par la demande peu commune, probablement un peu perplexes quant aux interprétations que nous pourrions tirer de ces statistiques, nos interlocuteurs nous ont expliqué ne pouvoir communiquer « ces données sans instructions de l’ambassadeur, ce dernier étant absent du territoire », qu’ils « prendraient attache avec nous à son retour ».
Des chiffres
Craignant que les services consulaires français aient pu être piqués par une sorte de mouche tsé-tsé locale et présupposant – à tort – que les éléments demandés ne nous seraient pas transmis, nous avons poursuivi nos recherches de notre côté… Grand bien nous en a pris, puisque nous sommes tombés sur la caverne d’Ali Baba : les statistiques publiques en ligne du gouvernement français [1]. Elles contiennent un foisonnement d’informations sur les visas délivrés, pays par pays. Pour Djibouti, on y apprend par exemple qu’en dix ans parmi les visas délivrés par la France à des Djiboutiens, 262 l’ont été à des enfants adoptés, 215 pour des soins médicaux ou bilan post-opératoire en France, 26 pour des diplomates résidents dans nos chancelleries en Europe, 2711 pour des études longues (dont 105 boursiers), 754 pour de courtes études (dont 108 boursiers), 23 pour des mineurs scolarisés, ou bien encore 557 pour l’établissement en France pour des raisons familiales. En revanche, ces données ne contiennent pas le nombre de visas demandés, et donc le taux de refus.
Les données publiées par le ministère français des Affaires étrangères [2] nous apprennent qu’entre janvier 2006 et le 22 septembre 2016, 29 745 visas ont été délivrés par le consulat de France en République de Djibouti - tous pays [3] et toutes destinations confondues.
Ce fichier nous renseigne précisément sur le nombre de visas délivrés depuis Djibouti, le motif du visa, la date de délivrance, ainsi que l’âge, la nationalité, et le sexe du demandeur… c’est une mine d’informations pour qui veut se donner le temps de croiser les nombres ! Ne cherchez pas à cependant y dénicher ni les taux de refus ni ceux du nombre de demandeurs par pays, vous ne les y trouverez pas. Nos amis gaulois ne sont pas si fous ! Ils ne partagent que les bonnes nouvelles [4]. Aussi, comment être pertinent sans pouvoir effectuer un recoupement entre le nombre de demandeurs et le nombre de visas délivrés ?
Cartes sur table
La chancellerie a joué le jeu de la transparence ! Elle nous a transmis fort aimablement les éléments demandés pour 2015 et 2016. On n’observe pas d’évolution majeure durant ces deux années dans la délivrance de visas… Ne dit-on pas cependant que le diable se cache dans les détails ? Pour nous l’intérêt est ailleurs, ces chiffres nous éclairent de manière inédite sur le nombre de demandes de visa déposées auprès du consulat à Djibouti, et donc nous permettent de déterminer le taux de refus.
En 2015, 3732 demandes de visas ont été déposées, 2987 visas délivrés, dont 291 à des étudiants. L’année suivante, on notera qu’il y a eu 3827 demandeurs, 2938 délivrés, dont 289 étudiants.
Il n’est pas difficile d’estimer à partir de là que le niveau de refus se situe légèrement au dessus de 20% pour ces années observées. Dit autrement, un dossier sur cinq est jeté à la corbeille.
Est-ce que ce chiffre correspond à une tendance générale, à une moyenne globale ? Selon les statistiques de la place Beauvau sur la délivrance des visas aux étrangers, les taux moyens de refus pour l’ensemble des nationalités pour les années 2015 et 2016 sont respectivement de 9 et 11%. Soit un refus sur dix ! Pourquoi un tel écart ? Nous avons voulu savoir quelles sont les raisons qui motivent ces décisions.
Sujet politiquement sensible
Il paraît que les visas refusés ne concerneraient que les dossiers qui ne répondent pas aux exigences minimales pour la délivrance du fameux sésame. La fonction du demandeur, sa situation financière, maritale, le fait d’avoir des attaches au pays, sont les éléments déterminants permettant ou non de bénéficier plus facilement d’un visa d’entrée dans l’espace Schengen. Pour obtenir un visa court séjour, type touristique, il faut remplir un formulaire, verser l’équivalent de 60 euros pour les frais de visa, fournir des justificatifs professionnels (attestation de travail, bulletins de salaire des trois derniers mois, et décision de congé ou registre du commerce ou patente ou titre de pension), mais aussi des justificatifs relatifs aux moyens de subsistance en Europe à raison de 70 euros minimum par jour pour la durée du séjour, une réservation dans un hôtel ou une lettre d’hébergement, une photo d’identité, une assurance voyage-rapatriement souscrite à Djibouti ou en France, et fournir une photocopie de la réservation du billet d’avion (aller-retour avec dates précises)… L’accès à autant d’informations peut donner l’impression que les services de renseignement français, mais aussi bien d’intelligence économique, y trouvent leur fromage.
Mais apparemment pas qu’à eux, puisqu’un rapport d’information du Sénat [5], nous révèle que la délivrance de visas a aussi un petit côté boutique du coin, qui rapporte son obole à la France sans grand effort, il n’y a qu’à attendre le chaland. Pour avoir une petite idée de ce que cela représente, on a considéré uniquement les 76% de visa court séjour délivrés en 2016 sur la base des demandeurs, et donc en intégrant dans le compte les visas refusés et non remboursés, un petit calcul nous apprend que le consulat de Djibouti a engrangé dans l’opération 174 480 euros. Finalement ce n’est pas si inintéressant comme commerce à bien y penser ! « L’instruction des demandes de visas de court séjour par les services consulaires est une activité productive et rentable de notre administration à l’étranger. Son produit, qui est de 160 millions d’euros en 2014, peut être estimé à 250 millions d’euros en 2018 si la tendance de progression du nombre d’arrivées internationales se poursuit. En outre, au delà de la rentabilité directe et immédiate tirée des droits de visa, de l’efficacité de la procédure de visa dépendent, plus largement, l’attractivité touristique de la France et l’activité économique et les recettes fiscales qui en découlent ».
Autrement dit les acheteurs compulsifs, ceux qui ont la frénésie du shopping, ceux aux portefeuilles garnis sont les bienvenus au pays de Coco Chanel et d’Yves Saint-Laurent. La cible prioritaire est évidemment la Chine, premier émetteur de touristes au monde, ils ont été plus de cent millions à voyager à l’extérieur, dont 715 893 en France en 2016. Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), ce chiffre va être multiplié par cinq dans les quinze ans, à l’horizon 2030. Ils seront alors cinq cent millions de Chinois à partir en vacances à l’étranger. En outre, les vacanciers chinois figurent parmi les plus dépensiers au monde ; en 2014 ils ont dépensé cent quarante milliards USD.
La quantité de documents sollicités à Djibouti, outre décourager bon nombre de citoyens, permet de séparer le bon grain de l’ivraie. L’effet dissuasif a fait ses preuves ! A tel point que les Djiboutiens qui ont de l’argent ne vont plus en Europe et s’envolent vers des cieux plus cléments. Des efforts pour améliorer l’accueil et le traitement des dossiers auraient été réalisés nous a-t-on dit, puisque les rendez-vous se prennent sur internet depuis peu. C’en serait fini de l’ancienne méthode humiliante de prise de rendez-vous, « les dix premiers arrivés, les dix premiers servis »… Il ne serait apparemment plus nécessaire de se réveiller aux aurores et faire le pied de grue au consulat pour aller visiter les Champs-Elysées ou de la famille !
A ce propos, il faut signaler une enquête très instructive publiée en 2010 par la Cimade [6] sur la politique de délivrance des visas. Elle a permis l’introduction d’une clarification des refus puisque, depuis le 5 mars 2011, les refus des pays de l’espace Schengen de délivrer un visa de court séjour doivent être motivés en vertu d’une obligation introduite par le code communautaire. Cette nouvelle mesure ouvre la voie aux possibilités de recours notamment devant la commission de recours contre les refus de visas d’entrée – obligatoire avant tout recours devant le juge administratif – ou le cas échéant en dernier recours et ce dans un délai maximum de deux mois, devant le Tribunal administratif de Nantes [7].
Enfin à Djibouti, pour des raisons budgétaires, il n’y a plus de consul général. L’autorité compétente pour instruire les demandes et prendre la décision d’octroi ou de refus est l’ambassadeur. Il est donc également possible de lui adresser directement par courrier des réclamations, ou de solliciter son recours.
Comme dans un couple, la relation à ses hauts et ses bas… puis vient le temps de la réconciliation
« Nous manquerions aux règles élémentaires de reconnaissance si nous passions sous silence le rôle positif et constructif joué par les États-Unis d’Amérique durant les différentes phases de cette crise douloureuse qui perdure. A ce titre, le gouvernement et le peuple djiboutien lui en sont infiniment reconnaissants.
Pour mémoire, et eu égard au devoir d’information à l’endroit du peuple djiboutien et de l’opinion publique internationale, il nous importe d’affirmer avec force et conviction que la France a, dès le début de cette crise, joué un rôle extrêmement négatif portant préjudice aux intérêts vitaux de la République de Djibouti sur le Ras Doumeira et îles de Doumeira » [8].
Cette tirade à l’adresse de la France à tout l’air d’une sévère gifle ! Mahmoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, pourtant rompu à la langue de bois diplomatique, n’a semble-t-il alors pas hésité à mettre les pieds dans le plat en publiant ces propos dans un petit livret. Il faut voir dans cette déclaration ce qu’elle représente pour les autorités djiboutiennes : la dénonciation d’une violation des engagements de défense de la France à l’égard de Djibouti. Marquer au fer rouge ce que le gouvernement considère comme une attitude profondément inamicale de la France, malgré les liens centenaire. C’est une dénonciation d’actes de lâcheté, de désertion, pour avoir laissé les troupes djiboutiennes seuls face aux feux nourris de l’ennemi… Il faut remonter aux années de la guerre civile dans le Nord du pays sous feu Hassan Gouled Aptidon pour retrouver traces de déclarations enflammées similaires, révélant un tel niveau de tension entre les deux pays.
Il est d’ailleurs très possible que l’ambassadeur qui officiait à l’époque, Dominique Decherf, soit tombé de sa chaise à la lecture de ce petit livret portant le sceau du ministère des affaires étrangères. La politesse a du être moyennement apprécié, et encore moins la couronne de laurier tressée à l’endroit des Américains pour l’appui aérien inestimable - ayant permis de sauver de nombreuses vies d’hommes en uniforme pris en tenaille par l’ennemi sur deux flancs – pour avoir détruits les embarcations militaires érythréennes surmontées d’armements lourds qui pilonnaient les troupes nationales depuis la mer. Le blâme n’est pas uniquement militaire, mais également diplomatique, puisque le soutien attendu devant les instances internationales aurait fait défaut. L’adoption de la résolution 1907 du Conseil de sécurité des Nations-unis le 23 décembre 2009, infligeant à l’Érythrée « des sanctions coercitives appropriées », serait à mettre au compte de la puissante diplomatie américaine.
« Cette attitude incompréhensible de la France, allié historique et soutien supposé indéfectible de la république de Djibouti dans ce type de circonstance, a profondément déçu le gouvernement et le peuple djiboutien et risque d’affecter durablement les intérêts partagés entre les deux pays ».
Ceci considéré, il est possible que les difficultés à trouver un accord satisfaisant dans un temps raisonnable entre les deux parties lors de la renégociation des accords de défense, aient pour cause la farouche volonté de Djibouti de voir inscrit, noir sur blanc dans le traité, l’obligation de la France d’assurer la défense de l’intégrité territoriale de la République de Djibouti. Selon le rapport d’information des parlementaires français, Fromion et Rouillard, « Djibouti est le seul État avec lequel une clause de garantie automatique existe encore depuis que les accords militaires ont été revues » sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le traité indique clairement cette mention : « la République Française s’engage à contribuer à la défense de l’intégrité territoriale de la République de Djibouti ».
La diplomatie djiboutienne venait de gagner de manière éclatante un important bras de fer avec la France ; en contrepartie les énormes emprises militaires ont été préservées pour la plupart et bénéficient d’une ristourne, comme les rapporteurs le reconnaissent d’ailleurs dans leur document : « un récent accord américano-djiboutien pérennise la présence américaine pour vingt ans et permet l’extension des bases américaines, moyennant une redevance annuelle relevée de 38 millions à 68 millions de dollars – à comparer aux 30 millions d’euros versés par la France ». Questionné dans nos colonnes sur le traité de défense et les différends subsistant entre les deux parties, Mahmoud Ali Youssouf nous affirmait alors que « les difficultés que nous rencontrons ne sont pas dues à des divergences entre les deux parties mais à des agendas politiques des uns et des autres »…
L’art de dissimuler est l’art de la vengeance
Un des premiers signaux de fumée en diplomatie pour signifier un mécontentement de manière discrète et ferme à la fois, nécessite la maîtrise du langage des signes… Comme dit le dicton, « la vengeance est un plat qui se mange froid ».
Comment expliquer que 2010 a été la pire année dans la période étudiée de 2006-2016 dans la délivrance de visas Schengen à des Djiboutiens (-22% par rapport à 2008) ? Seulement 1866 Djiboutiens ont été autorisés à se rendre en Europe, contre 2181 en 2009, ou 2393 en 2008. Les chiffres parlent d’eux même. Quelle interprétation peut-on tirer de ce premier constat ? Est-il possible que cela puisse être la réponse du berger à la bergère suite à la publication du petit livret en décembre 2009 sur la question de Doumeira ? Il ne semble pas impossible d’estimer que la probabilité est très forte.
Il ne faut pas sous-estimer la marge d’appréciation laissée à un ambassadeur, elle est sans aucun doute très élevée. Elle lui permet de moduler les délivrances, de les faire évoluer selon le contexte, selon qu’il utilise « l’envers ou l’endroit » des formulaires de demande de visa, jouant ainsi sur les marges, dont le nombre de justificatifs de pièces demandées, ce qui au final lui permet d’imprimer la courbure souhaitée.
Dans la même veine, comment mettre en perspective l’augmentation du nombre de visas observés en 2011 (+7%) et 2012 (+11) par rapport à 2010 ? Quelle est la dynamique nouvelle qui a permis un retour d’un climat politique apaisé entre les deux pays ? Les événements récents avec nos amis Émiratis sont là pour nous le rappeler, si cela était encore nécessaire, que la délivrance ou non de visas peut devenir une puissante arme pour amener ses contradicteurs à des positions plus conciliantes, plus accommodantes. Il est important de rappeler le contexte qui prévalait alors, notamment que la République de Djibouti et la France négociaient une refonte de l’accord militaire qui datait de l’indépendance. Pour la réussite de cette nouvelle page, les deux parties ont pris des mesures de part et d’autre afin de faire baisser la tension, et une meilleure délivrance des visas par la France est une attention toujours très appréciée.
Ces chiffres permettent aussi de mieux appréhender la politique migratoire de la France
L’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, qui avait fait son cheval de bataille de la mise en place d’une rigoureuse politique de lutte contre l’immigration en cas d’élection, a coïncidé avec une réduction moyenne des délivrances aux djiboutiens de 8,5% sur la durée de son mandat si l’on prend comme année de référence 2006, où 2326 visas avaient été délivrés.
Fin démagogue, Nicolas Sarkozy avait très vite compris que la maitrise de la politique migratoire était une nécessité pour contrer la montée du Front national ; que pour capter les voix de ces électeurs frontistes, il fallait tenir un discours similaire à Marine Le Pen, voire encore plus à droite si possible. Nicolas Sarkozy ne tarda pas à voir dans chaque demandeur de visa un migrant potentiel, et cette peur instillée à la population française justifiera la mise en place de la biométrie dans les consulats français. Ces propositions visent à tout faire pour décourager les éventuels demandeurs. Il ne faut pas se fier aux données globales plutôt flatteurs, autour de 10%. Ce chiffre cache des réalités très disparates selon les contextes politiques des demandeurs. C’est un écran de fumée très astucieux.
« Enfin, bien qu’il ait beaucoup augmenté ces dernières années, le nombre de visas accordés par la France pourrait être plus élevé. Je pense notamment à l’Algérie, dont les liens avec notre pays sont si particuliers. Toutes nationalités confondues, nous refusons un visa sur trois, parce que, faute de moyens pour reconduire les étrangers en situation irrégulière, la suspicion pèse sur tous les autres.
Toutefois, nous ne pouvons ouvrir nos frontières à l’immigration légale que si nous prenons les moyens de lutter contre l’immigration irrégulière. Il faut cesser de faire croire que le contrôle de l’immigration est contraire aux droits de l’homme et cesser de traiter les étrangers qui n’ont pas de papier comme ceux qui en ont !
Le projet du gouvernement n’est ni hostile aux étrangers, ni contraire aux droits de l’homme.
Il est fondé sur une idée et un objectif simples : la France a le droit de choisir qui elle veut voir entrer et séjourner sur son territoire ; elle doit donc en avoir les moyens. Si quelqu’un est contre, qu’il le dise ouvertement aux Français. Il faut permettre à notre pays d’avoir de nouveau une politique migratoire ouverte, juste à la hauteur des idéaux qui la font rayonner à travers le monde. (…) Un fichier des empreintes digitales des demandeurs de visas sera créé afin de pouvoir retrouver l’identité et l’origine de ceux qui entrent en France grâce à un visa de court séjour et s’y maintiennent en détruisant leurs papiers ! M. Le Pen a tort d’incriminer la “porosité de nos frontières”, car on entre régulièrement en France, on s’y maintient clandestinement. Certaines personnes perdent leur visa ou le déchirent après trois mois puis oublient d’où elles viennent. Ce nouveau fichier constituera une aide particulièrement humaine pour ceux qui auront perdu la mémoire. Ils retrouveront leur chemin et, devant pareille preuve, les pays d’origine seront obligés d’accorder un visa consulaire de retour. Petite mesure mais qui permettra de combattre le détournement des visas de tourisme », affirmait Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, en commission sénatoriale [9].
Reste à expliquer la résurgence d’une forte fièvre en 2013 alors que pourtant l’horizon semblait dégagé ?
Il faudra attendre 2014 pour voir à nouveau le thermomètre annoncer des jours meilleurs. 2013 marque un net recul, avec 8% de visa en moins par rapport à l’année précédente. Quelles sont les circonstances pouvant expliquer cette nouvelle brimade faite à la population ? Cette année a été marquée par des violences post-électorales, avec la contestation véhémente dans la rue par l’opposition réunie sous la bannière USN aux élections législatives de février 2013, qui estimait avoir été dépouillée de sa victoire. Le taux de délivrance reprend des couleurs en 2014 et 2015, en coïncidant avec la reprise du dialogue politique entre l’opposition et la majorité - négociation de près vingt mois - pour aboutir à la signature d’un cadre le 30 décembre 2014 au palais de peuple. La France a joué un rôle de premier plan pour permettre aux deux parties de reprendre langue. C’est ainsi qu’il a été fait table rase de toutes les revendications qui empêchaient de régler le différend, les points d’achoppements ont été passés à la trappe. Les deux parties avaient décidé de remettre les compteurs à zéro et d’ouvrir une nouvelle page. C’est à la suite de ce dénouement que les élus de l’USN ont effectué leur rentrée politique en janvier 2015.
Questionné par Jeune Afrique, le président de la République, expliquait sa satisfaction d’avoir trouvé une solution politique aux différends avec l’opposition. « Il y a certes eu ensuite un nouveau blocage suivi d’une nouvelle attente, mais une dynamique était lancée, à laquelle a pris part l’ambassadeur de France, Serge Mucetti, qui a joué un rôle positif. Les députés ont, depuis, retrouvé le chemin de l’Assemblée » [10].
S’il y a un sujet qui fait l’unanimité parmi les Djiboutiens, c’est bien la difficulté d’obtenir un visa Schengen. On ne compte plus les témoignages de personnes confrontées à des démarches pénibles et longues, qui rendent impossible tout voyage en Europe à une grande partie de la population, c’est devenu une préoccupation majeure pour les étudiants djiboutiens et leurs parents.
C’est d’autant plus frustrant que l’on constate qu’entre 2006 et 2016, le nombre de visas délivrés aux ressortissants djiboutiens reste globalement stable, comme si un palier ne pouvait être franchi.
La France a accordé en 2016, 2 876 763 visas, dont 2938 depuis le consulat de Djibouti pour une population estimée alors à 940 000 habitants par la Dised [11]. Mais quelle signification donner à ce résultat ? Nous avons calculé le nombre de visas attribuée par la France par tête d’habitant, en Côte d’Ivoire et à Djibouti. Pourquoi une comparaison avec la Côte d’Ivoire, plutôt qu’un autre pays ? À cause de la densité du maillage économique et la forte présence d’entreprises françaises. Le rapport est du simple au double entre les deux pays… en notre faveur : il est délivré 3 visas pour mille habitants à Djibouti, pour 1,4 au pays de feu Houphouët Boigny.
Est-ce que l’on doit s’en gargariser ?
Mahdi A.
[2] Nous sommes partis des données de la base « InfocentreViSA » mise en ligne par le MAE français dans le cadre de l’Opendata. Ces 750Mo de données contiennent des informations anonymes sur les plus de 12 millions de visas délivrés par les autorités consulaires françaises dans le monde entier entre le 1er janvier 2006 et le 22 septembre 2016. Nous en avons extrait pour cette étude les visas délivrés par le consulat de France à Djibouti.
[3] Le consulat de France à Djibouti délivre aussi des visas au nom d’autres États (Belgique, Suisse, Italie, Burkina Faso…).
[4] Sauf pour les quinze nationalités qui visitent le plus la France, voir les données sur le site du ministère français de l’Intérieur.
[5] Éric Doligé et Richard Yung, « Faire de la délivrance des visas un outil d’attractivité pour la France », rapport d’information n° 127 de la commission des finances du Sénat, déposé le 29 octobre 2015, voir en ligne.
[6] Visas refusés, sur le site de La Cimade, une association française de défense des droits des personnes migrantes.
[7] Voir le cahier juridique du Gisti, Les visas en France.
[8] La souveraineté de Djibouti sur le Ras Doumeira et l’île de Doumeira, ministère des Affaires étrangères de la République de Djibouti, décembre 2009.
[9] Compte rendu analytique des débats, 9 octobre 2003, sur le site du Sénat français..
[10] « Ismaïl Omar Guelleh : “La France ne nous considère pas” », Jeune Afrique, 19 février 2015, voir en ligne.
[11] Direction de la statistique et des études économiques, www.dised.dj.