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Tensions entre la France et le Mali
par Mahdi A., octobre 2021 (Human Village 43).
 

M’Bouillé Cissé est un parlementaire malien de passage à Djibouti dans le cadre de la 43e conférence de l’Union parlementaire africaine (UPA) et la 76e session de son comité exécutif, qui se sont déroulées au Kempinski du 11 au 15 octobre 2021. Au cours de cet événement parlementaire continental de premier plan, de nombreuses questions ont été débattues sans langue de bois.
La dénonciation des ingérences des anciennes puissances coloniales sur les affaires africaines a été au coeur des débats. Elle a occupé l’essentiel du temps de parole imparti aux délégations.
Par ailleurs, l’honorable Mohamed Ali Houmed a été reconduit à la tête de l’UPA par un vote à l’unanimité de ses pairs, les présidents des Parlements nationaux. Chapeau bas donc, et beau succès à saluer de notre diplomatie parlementaire.

La polémique entre la France et le Mali s’amplifie à la suite de la déclaration à l’ONU du Premier ministre malien, Choguel Maiga, accusant la France d’« abandon en plein vol », après la décision de retirer les troupes française du Nord du Mali, et la volonté du gouvernement malien de se tourner vers la Russie dans sa recherche « de nouveaux partenaires » [1] :
« La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires. […] Le Mali regrette que le principe de consultation et de concertation, qui doit être la règle entre partenaires privilégiés, n’ait pas été observé en amont de la décision »

Comment expliquer la situation politique actuelle au Mali et la déclaration remarquée du Premier ministre Choguel Maiga aux Nations unies, qui comportait une virulente charge contre la France ?
M’Bouillé Cissé : Oui effectivement, mais je voudrais auparavant faire un bref rappel pour préciser le contexte. Le Mali est confronté à une crise multidimensionnelle depuis 2012, à la suite du coup d’État contre le président Amadou Toumani Touré, deux mois avant la fin de son mandat. Nous avons alors perdu plus de 70% du territoire malien à cause de nos parents séparatistes du Nord qui veulent établir une République de l’Azawad.

70% ! Comment est-ce possible alors que l’opération Serval devrait avoir permis de reconquérir le terrain ?
Si ma mémoire est bonne, l’opération Serval a débuté le 12 ou le 13 janvier 2013. Elle a été un succès militaire pour les armées française et malienne. Lorsqu’elles sont arrivées aux portes d’une ville qui se nomme Anéfis, située dans le Nord du pays, dans la région de Kidal, les militaires français ont demandé à nos soldats de rester à l’arrière. Seules les troupes françaises ont convergé vers cette localité, et plus largement dans la région du Kidal.
Je voudrais signaler que nous sommes tout de même un État souverain. Je voudrais rappeler que le Mali est indépendant depuis le 22 septembre 1960. La France est venue nous aider à la demande des autorités de transition. Il s’agissait déjà de transition à l’époque, avec Dioncounda Traoré à la tête du pays, du 12 avril 2012 au 4 septembre 2013. Pour nous, Maliens, il est totalement incompréhensible, alors que huit ans ont passé, que nous soyons toujours dans cette situation invraisemblable où nos propres forces sont empêchées de rétablir l’ordre constitutionnel sur une partie de notre territoire… Aujourd’hui, huit ans après, nous sommes toujours dans cette situation de guerre asymétrique contre une horde de séparatistes, d’indépendantistes, de djihadistes, de narco trafiquants. C’est devenu une nébuleuse où l’impunité règne, un haut lieu de tous les trafics illicites.
Malheureusement le blanc-seing accordé à ces criminels se répercute au-delà de nos frontières, puisque nos voisins du Burkina Faso et du Niger sont durement impactés par ces brigands de grand chemin dans la zone que l’on appelle communément les Trois frontières. Cette guerre de fait que subit le Mali dans le Nord de son territoire est directement liée à l’intervention de Nicolas Sarkozy en Libye. Nous, Maliens, nous sommes victimes, par ricochet, de l’imprudence, de l’ingérence de la France dans les affaires libyennes pour faire chuter le régime de Kadhafi. Nous avons été confrontés, depuis notre frontière avec la Libye, à des assauts d’ex-miliciens, d’ex-guerriers du régime libyen qui se sont retrouvés sans mercenariat ni subsides avec la chute du colonel Kadhafi. Comment contenir ces attaques lourdement armées lorsque le pays est immense, l’équivalant à la superficie de trois fois la France, avec un effectif militaire, alors, d’à peine 15 000 hommes sous équipés ?

De combien d’hommes l’armée malienne dispose-t-elle actuellement ?
Un peu plus de 20 000 hommes, et les recrutements se poursuivent. Les autorités de transitions collaborent étroitement avec les forces de défense nationale. C’est une avancée très salutaire, même si je dois dire que nous sommes encore abasourdis par le fait que notre pays soit sous embargo. Des armes commandées par notre gouvernement ont été bloquées aux ports de Dakar et de Conakry. Comment expliquer cette situation alors que dans le même temps les rebelles continuent à massacrer nos populations et nos soldats tous les jours ?

A quoi servent les forces du G5 ? Ne luttent-elles pas sur la zone des Trois frontières ?
Les forces du G5 sont sous les ordres de la France qui, comme on a pu le voir récemment, prend des décisions unilatérales sans concertation avec les pays de la région. Cela a été le cas avec l’opération Barkhane dont l’effectif sera considérablement réduit : ni le Mali, ni le Burkina Faso, et encore moins le Niger, n’ont été consultés. Comment peut-on parler dans ces conditions de partenariat, de solidarité ? Face à cette réalité et à ces défis sécuritaires à venir, le Mali a décidé de réactiver des amitiés anciennes, des partenariats qui remontent à l’indépendance, notamment avec la Russie. C’est une pratique tout à faire normale pour un État de nouer des liens privilégiés avec d’autres nations. Nous ne sommes pas corps et âme liés aux desiderata de la France.
Moi qui vous parle, je dois tout à la France. Je vis dans ce pays depuis l’âge de mes huit ans. Je représente la diaspora malienne à l’Assemblée nationale de la transition. Mais, à un moment donné, il faut que l’on se regarde dans les yeux, que l’on se respecte et que l’on se dise les choses. La France ne peut pas prendre seule une décision unilatérale aussi importante que la réduction d’effectifs de Barkhane. Le président Macron ne peut pas se scandaliser de la déclaration du Premier ministre, Choguel Maiga, à la tribune des Nations unies dénonçant un abandon sans préavis de la France, et affirmer que ces propos ont sali la mémoire des 52 soldats français morts. C’est maintenant 53, avec la mort, survenue hier, du maréchal des logis Adrien Quélin, dont je voudrais saluer la mémoire, paix à son âme. Je voudrais rappeler au président Macron que mes deux grands-pères, maternel et paternel, sont morts pour la France, dans les environs de Vichy. Que mon arrière-grand-père a fait l’Indochine et la Première Guerre mondiale pour la France. Donc, pour le côté émotif, Emmanuel Macron n’a pas de leçon à nous donner.

Lorsque l’on parle du Mali, on parle d’or : est-ce la raison de la présence militaire française sur votre territoire ?
Si vous le voulez bien, on ne va pas rentrer dans les rumeurs. Je peux vous dire qu’il n’y a pas de société française engagée dans l’exploitation de l’or au Mali. Ce sont plutôt des société canadiennes, australiennes, sud-africaine qui exploitent ces gisements. Je sais qu’il y a un élan populiste qui tend parfois à salir la France ou d’autres. Mais bien entendu chaque pays a des intérêts à défendre ou à promouvoir, c’est à la base des relations internationales et commerciales.

Quels sont les intérêts de la France au Mali ?
Ils sont probablement divers. Notre pays possède un sous-sol extrêmement riche : il recèle de l’or, du manganèse, de l’uranium, des terres rares, du gaz, du pétrole… qui n’attendent qu’a être exploités. Je veux être clair : chaque pays à ses intérêts. Cela ne me pose aucun problème que la France ait des intérêts au Mali. Nous pouvons collaborer avec la France, ou avec tout autre, mais dans le cadre de partenariats équitables, justes, et surtout respectueux. Il est juste temps que nous, Africains, sachions défendre nos propres intérêts, restions solidaires pour rejeter les ingérences et les diktats des ex puissances coloniales. C’est la seule manière pour relever les défis de notre jeunesse et développer nos pays.

La France de Macron est-elle paternaliste avec le Mali ?
Plus que paternaliste, elle nous voit comme une possession, une propriété française. À l’époque de Chirac, Mitterrand, de Gaulle, le côté paternaliste était de rigueur, un peu comme le petit garçon que l’on accompagne à l’école. Avec Macron, on est passé à une autre dimension, même si les prémices de cette nouvelle approche avaient été initiés avec le président Sarkozy, celle du hard power. On constate une immaturité politique de ces dirigeants français sur les questions d’envergure internationale, et plus particulièrement africaines.
La France n’est rien sans les pays africains. Lorsque le président Macron dit que le Mali serait tombé si la France n’était pas intervenue, je voudrais lui dire qu’il n’est pas Allah ! Et qu’il ne détient pas la prophétie, ni la vérité divine. Nous, Maliens, sommes des croyants. Le Mali n’a pas sombré grâce à la France. Le Mali est resté intact avec l’aide de Dieu. La France est engagée à nos côtes depuis 2013, nous l’en remercions. Passons à autre chose maintenant et disons-nous les vérités en toute fraternité, en toute amitié. Nous sommes liés à la France par 400 ans d’histoire de colonisation, d’esclavagisme, on ne défait ce type de liens du jour au lendemain. N’empêche et mieux vaut tard que jamais nous voulons que cette relation d’État à État soit plus équitable.
Pour revenir sur la Russie, c’est un partenaire historique du Mali. Bien que Modibo Keita, premier président du Mali, ait rejoint à l’indépendance le bloc des pays non alignés, n’adhérant ni au camp de l’Ouest ni à celui de l’Est, cela n’a pas empêché des pays comme l’ex-République de Tchécoslovaquie, l’Allemagne de l’Est, Cuba, la Chine ou ce que l’on nommait alors l’URSS, de développer une coopération très active avec le Mali indépendant. Cette coopération avec l’ex-URSS a été très appréciée, puisque l’indépendance de notre pays s’est déroulée dans la précipitation, l’inorganisation, bref mal préparée car la France embourbée en Algérie, voulait se débarrasser de ses autres colonies pour désamorcer le développement de mouvements insurrectionnels indépendantistes, et la pression de la communauté internationale notamment des Nations unies.
La Guinée est indépendante en 1958, le Mali en 1960, l’Algérie en 1962… Ce processus de décolonisation a été mal préparé. Soixante ans plus tard on se retrouve dans les mêmes difficultés. Prenez l’exemple des pays anglophones, aujourd’hui membres du Commonwealth. Les Anglais ont pris le temps de former une élite, de construire des infrastructures, de mettre en place un enseignement de qualité, bref de préparer la relève aux lendemains des indépendances. Les Britanniques, contrairement aux Français, n’ont pas de mainmise sur la destinée ou la marche à suivre de ces pays. C’est là, toute la différence. Indéniablement, ces pays s’en sortent mieux. Ces questionnements doivent nous faire réfléchir.
Le Commonwealth est une alliance commerciale et linguistique qui est, il faut le dire, un succès. La francophonie est au service du rayonnement et de l’influence de la France. Elle n’apporte rien aux pays du continent, si ce n’est plus d’ingérence via des moyens de propagande comme France24 – qui est la propriété du ministère français des affaires étrangères - ou RFI, qui sont des outils phénoménaux d’influence et de manipulation de nos populations.
Un pays comme le Gabon, pourtant francophone, a rejoint le Commonwealth. Djibouti veut aussi y adhérer. Si le Commonwealth attire, c’est probablement qu’il y a une raison. Je suis à Djibouti depuis une semaine, et toutes les personnes que je rencontre me parlent le plus souvent en anglais ou en arabe. Le Rwanda en vingt-sept ans est devenu anglophone. Il est possible de changer le curseur, il faut juste s’en donner les moyens. Le Mali et d’autres sont dans cette voie. Comment l’expliquer ? Ce n’est pas que nous n’aimons pas la France, c’est que nous ne supportons plus ce côté irrespectueux de la politique africaine de la France. Je veux apporter un éclaircissement : nous ne sommes pas contre la France, nous voulons être en bon terme avec tout le monde. Les Djiboutiens sont les bienvenus, les Marocains sont les bienvenus, les Australiens sont les bienvenus, les Chinois ou les Russes sont les bienvenus. Que l’on cesse de nous dicter notre conduite et nos amitiés. Je demande aux dirigeants et aux peuples du continent de demeurer solidaire du Mali. Les organisations régionales, comme la CEDEAO, ne servent qu’à dénoncer des coups d’État ou sont, comme certains les désignent, un syndicat de défense des chefs d’État renversé. C’est ce que j’ai dit au président Macron à la conférence de la diaspora africaine de l’Élysée en 2019 : « Avant de condamner les coups d’État en Afrique, condamner d’abord les causes des renversements de régimes, qui ne sont autres que la gabegie, la corruption, le clientélisme, le vol des deniers publics, et la mal gouvernance ».

À vous écouter, on pourrait croire que les coups d’État devraient être célébrés en Afrique ?
Dans certains cas ils sont légitimes à mes yeux. La légitimité vient du peuple. Si ce dernier vous retire sa confiance pour mauvaise gouvernance, en quoi est ce répréhensible ? Aujourd’hui, effectivement, le Mali est sous la coupe d’un régime militaire. C’est un colonel qui est président du Parlement, et c’est un colonel qui est à la tête de l’État. Mais je veux contextualiser les choses. Dans le cas du Mali, la révolte qui a conduit au renversement du président Ibrahim Boubacar Keita a été menée par une insurrection populaire d’abord, et parachevée par les militaires pour éviter un bain de sang.
L’écrasante majorité de la population malienne était dans la rue tous les jours depuis février 2020 pour dire sa colère sur la manière dont était gouverné le pays. La tension était palpable dans la capitale. Le putsch militaire du 19 août a été, et je n’hésite pas à le dire, une bénédiction pour le devenir du Mali. Il a épargné la vie de nombreuses personnes. On se dirigeait inexorablement vers un affrontement violent entre la population et le pouvoir. La CEDEAO, ou même Macron, avaient eu huit mois pour intervenir si le cœur le leur en disait. Ils n’ont pas pipé mot. Ils n’ont pas dénoncé les détournements flagrants de deniers publics et les bourrages des urnes en temps utiles. Pourquoi donc réagir lorsque la population décide de prendre sa destinée en main et de renvoyer par la force les dirigeants corrompus ? Je peux dire que si le président Ibrahim Boubacar Keita est encore en vie, il le doit aux militaires. L’état d’ébullition et de colère de la population à l’été 2019 était à son comble. Ce mardi 19, nous avions prévu avec le mouvement dont je suis membre, celui du 5 février, de marcher vers le domicile du chef de l’État pour le déloger du pouvoir. Nous avons été devancés dans nos intentions par les militaires.

Considérez-vous comme le prétend la diplomatie française que, parce que votre Premier ministre aurait étudié en Russie, votre pays serait sous influence de Poutine ?
C’est ridicule ! Nous avons la quasi-totalité de l’élite Malienne qui a étudié en France, pour autant on ne dit pas que ces personnes sont sous l’influence de Macron ? A un moment donné, lorsque vous êtes acculés, vous êtes obligés d’aller chercher des partenaires. C’est exaspérant de devoir réagir et se justifier pour des décisions souveraines. Il n’appartient pas à la France d’imposer le chemin à suivre au Mali, ni de lui dicter ses choix. Regardez l’effondrement après le départ des Américains de l’Afghanistan. La nature a horreur du vide. Dans notre situation, chercher d’autres partenaires est faire preuve de responsabilité. Nous n’allions pas rester les bras ballants et attendre la débâcle. Je félicite le gouvernement malien d’avoir eu le sens de l’anticipation, et d’autant plus que le colonel Assimi Goita, président de l’autorité de transition, n’est pas un politique.

La presse française présente pourtant Assimi Goita comme un homme isolé et le pays serait sous la férule du Premier ministre Choguel Maiga. Que pourriez-vous nous en dire ?
C’est grotesque ! C’est encore de la propagande diffusée via les media appartenant au ministère des affaires étrangères, France24 et RFI. Assimi Goita et Choguel Maiga forment un bon duo, un bon tandem qui fonctionne très bien. Le Parlement dont je suis membre fait également sa part de contrôle de l’action gouvernementale et de force de proposition.

Propos recueillis par Mahdi A.


 
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