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La journée continue dans l’administration
par Mahdi A., décembre 2016 (Human Village 28).
 

Au cours du Conseil des ministres du mardi 6 décembre 2016, le gouvernement a décidé « dans le cadre de la réforme administrative et pour rendre meilleur service aux usagers, le réaménagement des horaires de travail dans l’administration publique avec des journées continues. L’objectif de cette mesure vise à améliorer l’organisation du travail et du rendement de l’administration et ceci dans un souci de rendre notre administration plus performante et plus efficiente. A cet effet, les horaires de travail seront désormais de huit heures pendant cinq jours par semaine à partir de janvier 2017 », explique Mahamoud Ali Youssouf, ministre des affaires étrangères et porte parole du gouvernement.

Concrètement, cela signifie que les fonctionnaires, qui travaillaient du samedi au jeudi de 7 à 14 heures, vont devoir travailler du dimanche au jeudi, de 8 à 17 heures. Cette mesure est applicable à toutes les administrations publiques à partir du 1er janvier 2017.

Sous d’autres cieux, le gouvernement aurait attendu la fin des échéances électorales à venir - les régionales et les législatives – pour ne pas voir ces campagnes électorales perturbées/polluées par une mesure aussi impopulaire et susceptible d’éloigner de nombreux fonctionnaires du bulletin vert à glisser dans l’urne… mais il semble qu’à Djibouti le risque d’un retour de gifle à l’envoyeur n’inquiète pas le moins du monde les autorités politiques !

C’est un euphémisme de dire que la mesure a été accueillie avec stupeur, effroi, pour ne pas dire colère, par les fonctionnaires ! Ces nouveaux horaires bouleversent radicalement leur vie. Ils auraient souhaité être consultés à ce sujet au lieu de se voir imposer une décision unilatérale. Beaucoup estiment que le changement d’horaire, par son ampleur et son incidence sur la vie familiales, constitue une modification importante du contrat de travail, et que le gouvernement contreviendrait arbitrairement au droit du travail : cette décision serait donc illégale ! Pourtant, l’État employeur est parfaitement dans son droit, puisque l’instauration d’une nouvelle répartition du temps de travail ne constitue pas une modification du contrat de travail et peut donc être imposée au salarié. L’accord de l’employé n’est pas requis. Les horaires de travail relèvent du pouvoir de l’employeur, et donc de l’État.

Ceci dit, et c’est une réalité que personne ne peut nier, ces nouveaux horaires vont impacter la vie personnelle et familiale de milliers de fonctionnaires. Nous nous sommes demandés quelles incidences va avoir cette mesure, préconisée par le FMI à notre pays depuis de nombreuses années. Quelles sont les retombées attendues ? Suffit-il d’augmenter les horaires pour augmenter la productivité et donc l’efficacité du personnel de l’État ? Enfin, comment évaluer l’efficacité du changement en cours ?

Un vrai week-end de deux jours
Avant tout, il faut constater que la durée totale du travail diminue, mais pas la rémunération, puisque que l’on passe de sept heures de travail sur six jours (soit 42 heures par semaine) à huit heures sur cinq jours (40 heures hebdomadaires), avec une heure de pause pour le repas. Par ailleurs, le nouveau planning va permettre de gagner un jour dans le week-end. Ce n’est pas rien : un vrai week-end de deux jours pour réellement recharger les batteries, s’occuper de ses enfants et prendre soin de son conjoint !

Comment va se dérouler la prise des repas ?
Les fonctionnaires prennent en général leur petit-déjeuner au bureau faute de temps le matin. Entre réveiller les enfants, les préparer pour l’école, s’assurer qu’ils ont pris leur repas, et les conduire à l’école, il n’est pas rare que les parents apportent avec eux un tupperware contenant leurs galettes matinales et un thermos de thé. Les plus privilégiés se font livrer un petit déjeuner traditionnel à leur poste de travail ; le planton dans les administrations est souvent dévolu à cette tâche… En ayant connaissance de cet élément, il sera difficile pour les employés de l’État de tirer davantage sur la corde et de faire supporter au budget familial la prise d’un deuxième repas à l’extérieur, d’autant plus que celui-ci est considéré comme le repas le plus important de la journée sous nos cieux. L’éloignement du domicile ne permettra pas à la majorité d’entre eux de s’y rendre pour prendre leur repas et revenir dans le délai imparti à leur poste.

Pourtant ce moment était sacré puisque c’était le seul repas que les djiboutiens prenaient en famille. C’était aussi un moment privilégié où les enfants et les parents échangeaient sur leur journée respective et que des décisions familiales importantes étaient prises. Il faudra maintenant trouver d’autres canaux pour communiquer en famille !

Les autorités politiques vont-elles mettre en place des cantines dans les administrations pour offrir le repas du midi aux fonctionnaires, ou bien verser une prime « de panier » en fin de mois sur la fiche de paie ? Vont-elles instaurer, comme pour les employés du PAID, des tickets restaurants permettant de se rendre dans un restaurant du centre ville, ou attribuer un marché public, comme le DCT, à une entreprise de la place pour livrer des plateaux repas aux employés directement sur leur poste de travail ? Ces deux entreprises ne sont pas un bon exemple. Elles génèrent des dividendes annuels de plusieurs millions de dollars, et offrir un panier repas à leurs employés n’a qu’une incidence très faible sur leur chiffre d’affaires.

Forcément de grandes disparités vont apparaître, puisque les ressources financières de l’État ne permettront pas de s’aligner sur les conditions très favorables de certaines entreprises privées à l’égard de leurs employés. Pour autant on peut parier que, sur ce terrain comme sur d’autres, tous les employés de l’État ne seront pas tous logés à la même enseigne ; les services les mieux dotés, financièrement autonomes, pourraient décider de soulager les employés de leur département de cette charge nouvelle. Dans les services les moins dotés, qui ne pourront pas donner un coup de pouce, les employés n’auront d’autre solution que de se serrer l’estomac en attendant la délivrance de 17 heures pour aller chercher leur pitance à domicile. Ou bien de sacrifier le budget du khat en remplaçant la botte par un bon repas chaud !

Le secteur de la restauration pourrait connaître un véritable boom
C’est une bonne nouvelle pour les petites gargotes du centre ville qui ne servaient que le petit-déjeuner : un nouveau marché s’ouvre pour elles, celui du repas du midi. Elles doivent s’y préparer activement puisque ce sont plusieurs milliers de repas qu’il faudra servir. Si la mayonnaise finit par prendre, cela pourra avoir une incidence forte sur la création d’entreprises et d’emplois dans le secteur de la restauration. Ce secteur pourrait connaître un vrai boom, mais il y aura également un important regain d’activité pour les petits commerces du centre ville, à une heure où d’ordinaire il se vidait pour la sieste… Aux préoccupations d’hygiène et de qualité des repas, il faudra bien entendu que les gargotes se mettent aux normes et qu’elles observent mieux les règles minimales d’hygiènes alimentaires, si elles ne veulent pas faire fuir la nouvelle clientèle.

Cependant, l’État pourrait s’en sortir à bon compte en mettant en place, dans tous ses services, un lieu de repas pour ses employés séparé des lieux de travail, et la mise à disposition d’installations permettant la conservation (réfrigérateurs) et le réchauffement (micro-ondes) des aliments afin de permettre d’apporter le matin des plats cuisinés la veille.

Autre forte inquiétude soulevée par les fonctionnaires : que vont devenir les enfants ?
Qui va aller chercher les enfants à la sortie de l’école ? Beaucoup de fonctionnaires avaient pris l’habitude, après la sortie de l’école, de rentrer en même temps que leurs enfants et de sécher la dernière heure de travail afin d’éviter les aller-retour et économiser le carburant. Beaucoup n’ont personne pour préparer le repas familial et doivent s’en occuper après la sortie de l’école des enfants. Maintenant ils se demandent qui va ramener les enfants à la maison, préparer le repas, puis reconduire les enfants à l’école à 15h ? Pas de solution miracle, il va falloir s’organiser, être inventif et responsabiliser dorénavant davantage nos enfants.

L’incidence positive immédiate pour le gouvernement, si le décret est appliqué au 1er janvier 2017, pourra être déjà la fin des abandons de poste avant les heures prévues et des retards chroniques des agents de l’État.

Une société plus vivante, plus ouverte aux divertissements et aux activités culturelles
Les fonctionnaires, finissant de travailler à 17h, pourront avoir une vie plus épanouie, pratiquer d’autres activités que les fameuses séances consacrées à ingurgiter une drogue douce, et privilégier des pratiques plus saines pour leur santé et le portefeuille de leur foyer : sportives, culturelles, familiales par exemple. L’autre bienfait de cette mesure révolutionnaire, est que les pères pourraient passer plus de temps avec leurs enfants, puisqu’auparavant ils étaient trop souvent absents, par la faute du khat, et ne pouvaient convenablement s’occuper de leur famille. L’éducation des enfants s’en trouvera sans doute améliorée.

Le revers de la médaille est que le secteur du khat va prendre un sacré coup ! Les premières impactées seront les petites vendeuses qui vont voir leur marché se réduire considérablement du fait des nouveaux horaires qui ne permettront pas, ou difficilement, aux fonctionnaires de concilier séance de khat et réveil aux aurores pour se rendre à leur poste. Ils ne pourront plus se permettre le luxe de se vautrer dans des longues séances de plusieurs heures de broutage. Ils s’adapteront, comme ils le font d’ailleurs pour le ramadan, lorsqu’en très grand nombre ils attendent le week-end pour s’y adonner. Enfin l’autre aubaine est que nous ne prendrons plus tous la route à la même heure, la circulation sera plus confortable pour tous avec des embouteillages provisoirement canalisés en attendant la mise en place de solutions pérennes à ce défi posé au gouvernement.

Conclusion
Cette décision, malgré ses nombreux désagréments et le fort mécontentement qu’il a suscité chez la plupart des fonctionnaires, est une excellente avancée pour le pays. Le degré de satisfaction de la population va croître avec l’augmentation des heures de présence effective du personnel administratif, donc au service des administrés.
Ces nouveaux horaires seront enfin plus adaptés au niveau de développement soutenu qui est la nôtre, puisque le nouveau rythme de travail sera plus au diapason des horaires du privé. L’objectif de cette mesure essentielle est de permettre aux employés de l’État de mieux soutenir la croissance, de mieux appuyer les entreprises nationales, puisqu’il est attendu qu’elles se développent encore et encore, qu’elles deviennent plus compétitives, qu’elles créent de la richesse et contribuent mieux à la politique nationale de résorption du chômage. Dans le même élan, il ne serait pas inintéressant que les banques et les assurances s’y mettent également pour accélérer et provoquer un véritable mouvement d’entraînement et de transformation de la société.

Enfin la présence de l’ensemble des employés est-elle nécessaire en journée continue, surtout lorsque l’on sait que, pour certains fonctionnaires, cette nouvelle mesure n’aura d’autre incidence qu’un temps supplémentaire à visionner les nombreux prêches de religieux à la pensée salafiste wahhabite qui ont envahis YouTube. Ils pourront - pensent-ils - consacrer plus de temps à gagner une place de choix au paradis…

Pour éviter de gaspiller de la climatisation inutilement, ne devrait-on se questionner sur le nombre d’employés que l’administration a réellement besoin de conserver à son poste de travail en journée continue ? Ceux qui sont en contact avec les citoyens sont indispensables, c’est évident. Ce qu’il faut éviter, c’est de créer une grande garderie avec des adultes qui vont se croiser les doigts ou attendre que l’heure passe, les yeux rivés sur YouTube ou Facebook. Réformer pour réformer n’a pas de sens, il ne faut pas mettre tous les employés de l’administration publique dans le même panier. Il faut donc réformer pour plus d’efficacité et de performance. On pourrait ainsi commencer en confiant à chaque agent un volume de travail qui lui est imparti. Cela serait une grande première et une bonne solution si l’on souhaite évaluer le travail effectué, plutôt que de mettre l’accent uniquement sur la présence physique…

Mahdi A.

 
Commentaires
La journée continue dans l’administration
Le 25 décembre 2016, par Rizak.

Mahdi,

I do really like your article with all the odds, which the new implementing continue hours will deliver. Indeed, we have all the prons and cons in this reality, but there is two points or matter, which I would like to highlight here.
First, children will miss the opportunity of sharing the lunch meal with their parents and will miss to exchange their daily experience from school with the latest. But, I will say but, my two boys since they were born in London, and I finish 17:30 or latest and arrive home not before 18:30pm or 19:00 pm, we did make dinner as the main meal, where we have to chichat discussion all of us. And indeed, I hope parents to fill the lunch meeting time instead to a dinner time with their children.
My second, would be the fact that the civil servants in our state administration are the lowest paid compare to the private sector.
Hence, they will not be able to afford on their budget a second meal and specially a lunch meal. Unless, as you said in this article that the state provide cantines, as everywhere in this world, where employees work 08 am to 17h30 pm (40 hours) with one hours of lunch break. Therefore, this is where the challenge lies, and as you said at the end, do we need every staff to do the long hours... or just those we know are fulfilling certain important tasks behind their desktop.
Unless, tasks are appropriately dispatch along staff and that the state minimize the waist of electricity in the office, as it is a an overhead cost at the end of the day, which is accountable to the national expenses budget.
Regards
Rizak


La journée continue dans l’administration
Le 11 janvier 2017, par un nomade.

Il saute aux yeux que cette mesure, dont je reste sceptique sur son efficacite sur ledit rendement, est unilaterale. A croire que chez nous les decisions ou lois doivent echoir sur la population ainsi que le couperet.
Il aurait ete sage et cense d’effectuer prealablement des sondages pour preparer les concernes puis l’introduire graduellement (service apres service, ministere apres ministere). Ainsi on saurait mieux sur son rendement en meme tant les concernes apprendraient a mieux gerer les chamboulements qu’ils auront a y faire face.


La journée continue dans l’administration
Le 11 janvier 2017, par un nomade.

Plus je reflechis sur cette journee continue, plus je me dis que nous cherchons dans la mauvaise direction la solution au probleme.

Cette mesure est celle que le pays activerait le jour ou nous sommes le No 1 du monde selon les chiffres. Et meme quand sera ce jour, cette mesure, qui serait une mesure patriotique, serait limitee dans le temps mais activable a n’importe quel moment de l’annee puisque sa vraie raison sera de garder notre avance sur tout le monde et d’accentuer cette avance.

A l’heure actuelle, elle aura pour seul effet l’effet oppose. Si notre priere est de ne point paraitre cancre aux yeux du monde, il est sage de garder le long weekend et limiter les horaires de travail de 6:00 a 13:30. Se tirer d’affaire avec seulement ces deux changements est possible. L’enjeu est la motivation. La motivation est la cle aux presents problemes et leurs chiffres. Quant au fmi, c’est juste une instance qui dira tjours bravo devant les bons resultats.

Il y a tant a dire.

 
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