Communiqué du Barreau de Djibouti
13 mai 2024
C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès du bâtonnier et doyen du Barreau de Djibouti, Maître Jean Montagné. Il s’installe à Djibouti en qualité d’avocat à la veille de l’indépendance et devient le premier bâtonnier de l’Ordre des avocats de Djibouti. Il a accompagné toutes les réformes judiciaire de la République de Djibouti, son pays d’adoption au potentiel duquel il a tant cru.
Homme de dialogue, avec des convictions solides et d’une grande exigence pour la défense des intérêts de ses clients, Maître Jean Montagné s’est éteint alors qu’il exerçait toujours son métier. Travailleur acharné, il était particulièrement diligent. Il a consacré toute sa vie à la justice au service de ses clients, mais également de l’organisation de notre profession.
Il restera à tout jamais gravé dans nos mémoires.
A tous ses proches et notamment sa femme et ses enfants, nous adressons nos plus sincères condoléances.
Me Mouktar Ghaleb, bâtonnier
Discours prononcés lors de la réception en hommage à la mémoire de Me Jean Montagné, organisée par l’Ordre des avocats, au Kempinski mercredi 15 mai, en présence de la famille du défunt, de proches et amis, de presque l’ensemble des avocats inscrits au barreau de Djibouti, de nombreuses personnalités de la magistrature, de responsables du service juridique des FFDJ, ainsi que d’Ali Hassan Bahdon, ministre de la Justice et des Affaires pénitentiaires, chargé des droits de l’homme.
Madame la première présidente de la Cour suprême,
Monsieur le procureur général
Madame la première présidente de la Cour d’appel,
Monsieur le président du Tribunal de première instance,
Monsieur le procureur de la République,
Monsieur le secrétaire général du ministère
Chères consœurs, chers confrères,
Chers amis magistrats,
Chers amis,
Surviennent dans la vie d’un bâtonnier, des moments privilégiés. Ils sont tout à la fois singuliers, prégnants et symboliques. C’est un honneur de me trouver parmi vous et je vous remercie, mes chers confrères, de m’avoir conféré ce privilège de présider cette cérémonie. Je le porte mais surtout le partage avec vous tous, au nom de qui je m’incline devant un avocat dont chacun viendra présenter la personnalité hors du commun qu’il était.
Voulez-vous, Madame, m’autoriser à vous dire, avec respect, combien nous pouvons partager avec vous, si vous le voulez bien, l’émotion qui vous envahit, elle soit survenir dans votre âme et votre cœur à l’évocation de votre époux. Je prie Madame Christine Montagné, vos fils avec tous les membres de votre famille et particulièrement vos petits-enfants, de partager ce message, d’un homme qu’ils ne connaissent pas, mais qui entend exprimer ce que la mémoire impose à ses confrères et lui : la déférence.
La mort n’efface pas la trace des grands hommes, c’est donc avec volupté, délectation, fierté, que j’entends évoquer Jean Montagné dans la ville dans laquelle il a exercé sa profession depuis 1977, devant le barreau qu’il a représenté à différentes reprises, cela même si le barreau de Djibouti a constitué sa deuxième famille.
Évoquer Jean Montagné, c’est faire rappeler l’audace d’un jeune avocat qui vient s’installer dans ce petit territoire qui s’apprête à prendre son indépendance. C’est avoir le goût du risque. Parier sur le futur. C’est avoir la foi en ce pays. C’est aussi rappeler qu’il a été le premier bâtonnier de l’ordre des avocats de Djibouti. C’est enfin rappeler qu’il était le doyen des avocats.
Le bâtonnier Jean Montagné possédait un caractère d’une inflexible droiture auquel on pouvait faire confiance sans crainte d’être jamais déçu. Il était la personnification même de l’avocat et assumait sa profession avec cette sereine grandeur de vue qui lui permettait de comprendre juste et de décider vrai. Avant de céder la parole aux différents intervenants, j’emprunte à un grand bâtonnier ces quelques lignes :
« Cette mort consacre et couronne le sens et la plénitude de sa vie (…). Le refus de l’hypocrisie, des faux-fuyants, des poncifs, du qu’en dira-t-on, et de toute opposition, s’agit-il même de celle des règles ou des traditions, qui dérivent sous l’usure du temps. La vigilance à réagir et à protester, l’interpellation franche et la contradiction vigoureuse de l’interlocuteur ou de l’adversaire. Mais en contrepartie, avec la reconnaissance des nécessités de transiger, la soif de l’équité et le souci de la mesure, l’esprit de tolérance et d’ouverture aux conceptions d’autrui, un humour nuancé et un sourire parfois énigmatique. »
Nous nous souvenons de ce sourire si particulier…
Mesdames et Messieurs en vos titres et qualités, Chère famille de Jean Montagné, Et surtout chers amis, Madame et Messieurs les bâtonniers, Monsieur le procureur général, lesquels sont à l’initiative de la manifestation de ce jour, et moi-même sommes convaincus que la mesure des mots qui seront prononcés dans un instant donnera à cette cérémonie une grandeur dont les cœurs garderont la mémoire.
Je vous remercie,
Me Mouktar Ghaleb, bâtonnier
Hommage à Jean Montagné
L’adieu à un ténor du barreau, qui avait la confraternité en partage,
« L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rives ; il coule et nous passons ! », dit Alphonse de Lamartine.
« J’ai deux amours,
Mon pays et Paris,
Par eux toujours,
Mon cœur est ravi »,
chante Joséphine Baker.
Il y a des jours que personne ne souhaite voir se profiler à l’horizon. Un appel fracture soudain le silence, qui entoure les premiers rayons du soleil. Des messages, en rafale, crépitent, tôt, un matin, d’un téléphone qui s’affole, et bourdonne, dangereusement. Une voix, en larmes, annonce brutalement à chacun que la mort a profité du noir manteau de la nuit, du dimanche 12 au lundi 13 mai, pour dérober à la vie Maître Jean Montagné, le doyen, aujourd’hui, à jamais !, du barreau de la République de Djibouti.
Le Palais de justice de Djibouti se retrouve orphelin, depuis quelques nuits, maintenant, de cinquante années d’une vie d’homme et d’avocat, de débats et de combats quotidiens pour le droit et la dignité, de tout un chacun. Maître Jean Montagné a aimé le droit, comme il a aimé la vie, passionnément, et ardemment, la France, sa terre, sa patrie, Djibouti, un havre africain et lointain qu’il s’était choisi pour demeure, un jour, sa femme, ses enfants, et ses petits-enfants, son socle de bonheur, et son souffle éternel de vie.
Une vie à courir les prétoires, chaque jour ou presque, d’une Chambre civile ou pénale à une autre, inlassablement, encore et toujours, une robe noire sur le dos, éternellement, sans courber le dos au vent. Le droit n’aspire guère au sommeil ...
Une vie à chercher intensément, et trouver souvent, les mots les plus appropriés pour plaider une cause, ou empêcher un droit de basculer dans le vide, définitivement, afin de permettre à un verbe de servir de parapluie à la vie d’un homme, un temps.
Maître Jean Montagné n’a jamais eu besoin d’élever la voix, dans une salle d’audience, ou de jouer inutilement de coudes, dans les couloirs du Palais de justice de Djibouti, un jour ou l’autre, pour exprimer une conviction, lui qui aimait tant pousser la chansonnette, souvent, à la fin d’un repas, débordant sur la nuit, lorsqu’il se savait entouré de véritables amis. Sa silhouette, sa courtoisie, sa voix, son rire, manqueront au Palais de justice de Djibouti, pour longtemps.
« Sale temps sur la planète », chante Francis Cabrel.
Maître Jean Montagné s’en est allé, deux jours seulement après le Juge Renaud Van Ruymbeke, un homme qui, comme lui, a consacré son énergie à faire avancer le droit, et les principes fondamentaux qu’il renferme, sur le chemin de la vie.
Sale temps sur les Palais de justice…
« Il pleure dans mon cœur, comme il pleut sur la ville », dit Paul Verlaine.
« Il pleure dans “le” cœur » du Palais de justice de Djibouti, depuis quatre jours. Il pleuvra « dans “le” cœur » du Barreau de Djibouti, encore longtemps, sans doute.
On s’était dit « à novembre », il y a un mois, au téléphone, comme dans la chanson de Patrick Bruel, Place des grands hommes, pour fêter solennellement, et mémorablement, le cinquantième anniversaire de sa prestation de serment en qualité d’avocat…
Il y a des jours où personne n’a envie de voir le réel l’emporter sur le rire que la vie porte en bandoulière, souvent.
Il y a des jours où personne ne souhaite voir s’en aller un confrère, à la voix forte, et singulière, qui avait la sympathie contagieuse.
Il y a des jours où personne ne souhaite voir un homme retourner brutalement à sa terre de naissance pour toujours, sans avoir eu le temps de faire ses adieux à la vie.
« Après tout qu’importent la mort et les revers, si notre nom prononcé dans la postérité va faire battre un cœur généreux deux mille ans après notre vie ? », dit François-René de Chateaubriand.
Quelques mots éphémères pour remercier Jean d’avoir, un jour, eu l’idée de passer par Djibouti, comme Arthur Rimbaud et quelques uns avant lui…
Maître Mohamed Abdallah Ali Cheik, avocat