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China Merchants Port Holdings et DP World devant le tribunal
 

Vendredi 19 janvier dernier, une cour d’appel de Hong Kong a refusé de renvoyer devant les tribunaux djiboutiens la procédure intentée par DP World. Le géant émirati accuse China Merchants Port Holdings, opérateur portuaire appartenant à l’État chinois, d’interférer dans l’accord pour l’exploitation d’un terminal maritime en République de Djibouti.
« La Haute Cour de la Cour d’appel de la région administrative spéciale de Hong Kong a déclaré que China Merchants Port Holdings Co. Ltd n’a pas pu démontrer que les tribunaux djiboutiens seraient “clairement et distinctement plus approprié” pour le litige, déposée par deux filiales de DP World et une joint-venture que DP World a créée avec le gouvernement djiboutien pour exploiter le port, désormais reconnu comme le premier port de la région.
De plus, il y a des raisons de croire que les filiales de DP World n’obtiendraient pas un traitement équitable devant les tribunaux de Djibouti étant donné la nature politiquement tendue du différend en cours entre DP World et le pays, a jugé la Cour d’appel. » [1].
Pour comprendre cet imbroglio judiciaire, nous avons interrogé un fin connaisseur du droit arbitral, maitre Mohamed Abayazid.

Quelle sont les prétentions des parties en instance devant le tribunal de Hong Kong qui vient de rendre une décision concernant le litige entre DP World et la société China Merchants Port Holdings ?
Maître Mohamed Abayzid : Le tribunal de première instance civile de Hong Kong a été saisi par trois demandeurs : DP World, la société mère actionnaire de DCT, Doraleh Container Terminal SA (DCT) elle-même représentée par l’actionnaire minoritaire DP World, et DP World exploitation. Ces plaignants demandaient à ce que la responsabilité civile délictuelle ou responsabilité de la société mère China Merchants Port Holdings soit engagée, pour s’être impliquée dans la relation entre le géant portuaire émirati et la République de Djibouti. Il lui serait reproché d’avoir encouragé l’État de Djibouti à rompre le contrat de concession.

En quoi ce motif est-il juridiquement recevable, puisqu’en dernier recours c’est le gouvernement djiboutien qui a pris cette décision souverainement ?
Sur le plan de la responsabilité civile, ce que le droit dit c’est que toute personne qui par son comportement a encouragé à provoquer une faute, peut être considérée comme complice. Les Émiratis considèrent que Djibouti a commis une faute en nationalisant le Doraleh Container Terminal SA (DCT) et en annulant le contrat de concession, et que cette décision illégale selon eux aurait été prise sous l’influence de China Merchants Port Holdings qui aurait manœuvré en coulisse pour parvenir à ses fins. DP World fonde la légitimité de sa requête sur le plan de la responsabilité civile. Par exemple, dans le droit français, c’est l’article 1382, et dans le code civil djiboutien, il faut se référer à l’article 1391 et suivants. Le principe pose que l’on saisit le tribunal du lieu du défendeur, c’est la raison pour laquelle il y a eu la saisine du tribunal de Hong Kong, c’est le tribunal du siège de la société défenderesse China Merchants Port Holdings. Avant d’entrer dans le fond de la procédure, avec le cabinet d’avocats anglais Baker Mc Kenzie, notre cabinet Abayazid et Abdourahman (CAA) qui intervient en qualité de conseil du groupe chinois a soulevé trois exceptions de procédure : l’exception d’incompétence, l’irrecevabilité de l’action de DCT, et l’irrecevabilité de l’action de DP World. Pour simplifier, cela veut dire qu’avant de dire le droit, il s’agit de savoir si le juge qui étudie le fond du dossier est compétent pour examiner le contentieux entre les deux parties. Il faut comprendre que les faits incriminés ont eu lieu à Djibouti, et qu’en matière délictuelles, c’est le lieu où les faits ont été commis qui est normalement compétent pour instruire le litige. C’est la raison pour laquelle China Merchants Port Holdings a demandé au tribunal de Hong Kong de vérifier sa compétence et le cas échéant de se désister au profit du tribunal de Djibouti. Nous avons par ailleurs indiqué que des procédures étaient déjà engagées à Djibouti entre DP World et le gouvernement djiboutien, et que ce tribunal s’est déjà prononcé sur les faits qui les opposent en matière contractuelle. Le tribunal de Djibouti s’est prononcé sur le contrat de concession et le statut de la société DCT, société détenue à 66% par Djibouti, et dont les organes dirigeants sont détenus par l’actionnaire minoritaire, DP World. La situation est sidérante, avec un actionnaire minoritaire qui fait ce qu’il veut, agit comme il l’entend, bien que pourtant la société a disparu. On a rappelé que le tribunal de Djibouti s’est déjà prononcé sur cette liquidation. Cette juridiction a non seulement la légitimité, les capacités, mais aussi les compétences. Ses juges indépendants sont plus qu’à même d’instruire le différend. Il a été plaidé par la défense que l’affaire devait être statuée à Djibouti. DP World s’est déclaré opposé à cette demande, et expliqué avoir des craintes d’objectivité, et que China Merchants Port Holdings serait appuyé par les juridictions djiboutiennes, qui seraient susceptibles d’être manipulées par le gouvernement de Djibouti. Malheureusement le tribunal de Hong Kong n’a pas suivi nos arguments et est allé dans le sens de DP World. Il s’est déclaré compétent. Cette décision porte atteinte à la souveraineté de l’État, c’est comme si l’on disait que les juridictions, dont la constitution djiboutienne garantit l’indépendance ne pourraient pas se prononcer pour des raisons techniques car elles seraient sous le contrôle de l’État. Ces préjugés, ces idées préconçues, ne sont pas nouveaux, pas spécifiques à Djibouti, mais récurrents dès qu’il s’agit de tribunaux des pays africains, avec des juges qui sont considérés comme non impartiaux, se prononçant forcément dans l’intérêt de leur État. Les États africains n’ont jamais remis en doute l’intégrité ou la probité des juges ailleurs dans le monde. Pourtant le tribunal de Hong Kong s’est prononcé sur des questions d’objectivité de droit. Il a expliqué que comme il y a déjà un contentieux entre Djibouti et DP World, il y a une forte crainte d’iniquité et que l’on ne peut exclure que les juges djiboutiens puissent se prononcer en défaveur des demandes de DP World dans un contentieux qui pourtant ne concerne pas Djibouti qui n’est pas partie tiers. Il s’agit d’un contentieux qui oppose deux compagnies étrangères, l’une chinoise, l’autre émirati. Cette décision ne peut que laisser penser que le tribunal de Hong Kong a des idées préconçues sur les juges africains, en particulier djiboutiens.
Cette décision, finalement, donne du grain à moudre aux craintes similaires exprimées par l’Autorité des ports et du PDSA, qui accusent les décisions d’un juge unique du tribunal arbitral de Londres d’iniquité. Si l’on fait l’interprétation par analogie, la crainte n’est pas inconsidérée. En allant plus loin dans la réflexion, la décision qui a été rendue par Hong Kong devrait aussi renforcer le ressenti de Djibouti par rapport à celles prises par le juge du tribunal arbitral de Londres. DP World se permet de saisir un tribunal étranger pour un différend qui concerne des faits qui relèvent légitimement de la juridiction de Djibouti. Pourtant le tribunal de Hong Kong dit que le litige ne peut être jugé par le tribunal de Djibouti. Cette problématique concerne, au-delà Djibouti, toutes les investissements étrangers en Afrique.
Pour mémoire, lorsque DP World a saisi le tribunal d’arbitrage de Londres, notre gouvernement a exprimé des craintes analogues, invoquant l’importance des intérêts de ce grand groupe émirati auprès de la Cour d’arbitrage londonienne, faisant craindre l’iniquité des sentences qui seraient prononcées. Une forte crainte de lobbying de la part de la partie émirati, du fait notamment du poids économique de ce groupe mondial et l’importance des affaires qu’elle lui confie, n’ont jamais été écartées par nos autorités. Et c’est pour éviter cette guerre de lobbying au niveau international, que des cours d’arbitrage ont été créés, afin de rééquilibrer de manière plus équitable les intérêts des États africains et des investisseurs étrangers issus d’États puissants. Notre pays a adhéré en avril 2019 à la convention de Washington [2] pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (CIRDI), et qui permet de préserver les intérêts suprêmes des États membres. C’est un tribunal d’arbitrage autonome qui fait partie du groupe de la Banque mondiale [3].

Ne parle-t-on pas de textes juridiques : les jugements ne se fondent-ils pas sur la base du droit ?
Bien que l’on parle purement de lois, de contrats de concessions, de conventions, les tribunaux arbitraux peuvent accorder plus d’attention aux clauses de garanties de protection d’une partie, qu’à l’autre. Il peut arriver que certains investisseurs demandent à ce que ces conventions dérogent à ce que l’on appelle la loi de police. C’est un mécanisme international qui dit qu’il y a des règles d’ordre public, qui traduisent la morale et les valeurs de chaque État, et auxquels on ne peut pas déroger. C’est ce qui s’est passé dans le cas de DP World, dans la convention de concession. Cette compagnie a obtenu à proprement parler l‘exclusivité du développement de toutes les infrastructures portuaires. Cela affectait sans nul doute la souveraineté de l’État. La convention a été signée par un djiboutien, Abdourahman Boreh, qui a lésé les intérêts de son pays lorsqu’il présidait l’Autorité des ports. Cette clause est au cœur du nœud du contentieux, parce qu’elle interdit au gouvernement de Djibouti d’engager d’autres investisseurs plus porteurs que DP World.
Cela veut dire quoi en termes d’intelligence économique ? DP World pourrait agir à sa guise et maîtriser les infrastructures portuaires djiboutiennes au profit de sa propre infrastructure émirati. C’est-à-dire qu’il n’est pas de l’intérêt de ce groupe de prendre des engagements qui pourraient affecter les ports de Dubaï. Je vous donne un exemple : le port pétrolier Horizon. Si un navire pétrolier veut y accoster pour charger ou décharger, il doit obtenir l’autorisation de Dubaï, ce n’est pas normal. Et ce d’autant plus que la convention signée en 2006, n’a permis de réaliser qu’une seule infrastructure portuaire.
La loi de police, l’ordre public, c’est quoi : l’État en matière d’ordre public économique est en droit de remettre en cause toute convention contraire à l’intérêt supérieur de la nation. Ici, il faut bien comprendre qu’il n’y va pas uniquement de la perception des hommes politiques qui ont décidé, sans avoir pris conscience de toutes les implications. Il y va de l’intérêt de notre État et de notre population. Comment DP World peut-elle oser prétendre vouloir mettre sous sa coupe une population, un pays, au seul profit de ses intérêts économiques ? C’est la raison pour laquelle l’ordre de police international permet d’ouvrir d’autres opportunités dans l’intérêt national. L’intérêt national est supérieur à l’intérêt privé et c’est là que réside le différend avec le groupe DP World et Djibouti. Est-ce qu’un investisseur étranger peut interdire à un gouvernement d’investir sur son propre territoire y développer les services et les richesses pour sa population ? Au tribunal de Londres la logique est économique et rend sa sentence en dehors de toute autre circonstance, alors que les décisions du CERDI, bien que basées sur le contrat liant les deux parties signataires, veillent à préserver l’intérêt général.

China Merchants Port Holdings a-t-elle été débouté à Hong Kong ?
On n’a pas été débouté. China Merchants Ports Holdings a invoqué trois arguments sur la forme. Parmi les trois demandeurs, dont Djibouti fait partie en sa qualité d’actionnaire majoritaire de DCT, elle considère n’avoir pas été lésée. La personne morale DCT, personnalité juridique différente de l’associé ne peut être lésé, pour cela il faudrait que le contentieux existe. Donc on a dit qu’il faut se déclarer incompétent au niveau de Hong Kong pour que les juridictions djiboutiennes reprennent l’affaire. Cette affaire est déjà pendante à Djibouti. Le tribunal de Hong Kong qui d’ordinaire applique sa propre procédure, a accepté d’appliquer la loi djiboutienne pour instruire cette affaire, c’est la raison pour laquelle il y a des avocats et experts juridiques djiboutiens pour accompagner la défense de China Merchants Port Holdings, qui d’ailleurs ont été engagés par les deux parties, demandeur et défendeur. Maintenant le tribunal de Hong Kong a dit que pour des raisons d’équité, et selon le droit anglais appliqué à Hong Kong, on peut justifier la compétence pour l’équité, ce qui l’amène à se prononcer objectivement compétent pour juger cette affaire.
Mais d’un point de vue d’opportunité, on ne peut manquer de signaler que cette décision risque potentiellement d’affecter la souveraineté juridique des États africains. Concrètement partant d’un postulat d’absence d’intégrité des juges en Afrique, l’investisseur peut saisir n’importe quelle juridiction autre qu’africaine.
Par analogie, cette décision judiciaire légitime les craintes de Djibouti par rapport à Londres qui est une juridiction privée, plus susceptible de pencher vers la partie avec laquelle elle a le plus d’intérêts. Il faut savoir que la plupart des contrats commerciaux, les contentieux ainsi que les contrats maritimes de DP World, sont rédigés à Londres. Après il ne faut pas s’étonner que ce tribunal traite les États africains comme des États voyous. DP World a aussi eu un précédent avec le Sénégal, et d’autres contentieux avec des États africains sont en train de couver et ne tarderont pas à faire jour. Grâce au cas de Djibouti, beaucoup de pays africains se montrent de plus en plus vigilants sur ces questions portuaires dans les discussions avec le groupe dubaïote. Ce sont les mêmes raisons qui font que le projet de Dubaï à Berbera n’arrive pas à démarrer aussi vite qu’il le devrait. Pareillement, en Érythrée, lorsque les autorités de ce pays ont vu le déséquilibre contractuel, elles ont rapidement cassé le contrat avec DP World sans aller plus loin. DP World est considéré sur le continent comme une entreprise prédatrice, qui privilégie uniquement ses intérêts propres aux détriments de ceux de ses partenaires.
A l’instar du tribunal de Londres, le tribunal de Hong Kong qui s’est déclaré compétent doit vérifier si l’action est valable ou pas. C’est le deuxième point qui sera en contentieux : est-ce que DCT, qui est représenté par un actionnaire minoritaire, a légitimité pour porter plainte ? La seule légitimité revient à l’administrateur provisoire qui a été nommé définitivement jusqu’à la fin de la liquidation de DCT, Chantal Tadorale. Aussi on est en droit de s’interroger : est-ce que la demande de DCT peut être recevable, et dans l’intérêt de qui ? Question d’autant plus piquante que l’actionnaire majoritaire n’a même pas été initié à cette procédure. Il faut savoir que l’actionnaire minoritaire veut nuire coûte que coûte à la réputation de l’actionnaire majoritaire, Djibouti. D’où le questionnement : est-ce dans l’intérêt de l’équité, ou ces attaques judiciaires visent-elles à nuire au développement de la plus grande zone franche du continent africain ?

Est-ce que ces points soulevés ont des chances d’être entendus à Hong Kong ?
Oui ! Personnellement je suis confiant, puisque sur le plan uniquement de la procédure il est inconcevable qu’un demandeur qui n’est pas représenté par la personne qui a intérêt à agir, puisse voir la reconnaissance du bien-fondé de sa prétention réussir. Si la demande de DCT n’aboutit pas pour des raisons d’irrecevabilité, c’est un effet domino, les deux autres demandeurs n’auront pas la possibilité, la légitimité de continuer cette action contre China Merchants Port Holdings. La Cour de Hong Kong doit se prononcer courant 2022 sur ce point crucial.

Cette procédure court depuis combien de temps ?
Trois ans ! China Merchants Port Holdings, compagnie de renommée internationale qui a fait de son axe principal le développement de la route de la soie, est accusée d’être à l’origine de la rupture entre DP World et Djibouti. En réalité, DP World en attaquant China Merchants Port Holdings entrave le développement des projets de cette entreprise chinoise en territoire djiboutien et surtout freine les ambitions d’un grand groupe qui est porteur d’un grand projet pour l’Afrique. À Djibouti, ce groupe chinois projette de développer la plus grande zone franche d’Afrique, et d’en faire un outil majeur pour ce que l’on appelle le traité de libre-échange. China Merchants ambitionne de faire de Djibouti la plus grande porte d’entrée du grand projet africain de zone de libre échange continentale africaine (ZLECA). C’est un projet d’ordre continental, et elle a décidé de faire de Djibouti la plate-forme de ce marché immense. En s’attaquant à Djibouti, cette entreprise émiratie révèle ses intentions cachées, elle ne veut pas le développement de l’Afrique, et donc son industrialisation.
D’un point de vue procédural, elle est en train d’entraîner DCT dans un contentieux sans avoir l’aval et l’avis de l’actionnaire majoritaire ce qui est illégitime. C’est invraisemblable comme cas de figure.
Pour la question de l’exception d’incompétence, le tribunal s’est déclaré compétent, très bien. Quant est-il de l’action pour laquelle il a été saisi, la recevabilité de l’action de DCT ? C’est-à-dire DCT est-il un des demandeurs principaux parce que c’est lui qui est intéressé en premier lieu par le préjudice revendiqué par l’actionnaire minoritaire ? Est-ce que ce dernier est légitime ? Notre argumentation est simple : la plainte n’est pas recevable parce qu’elle est présentée par une personne qui n’en a pas la légitimité. Seul l’administrateur, nommé par une décision de la Cour suprême, est habilité à agir. Si cette action est déclarée irrecevable, les deux autres actions de DP World seront sans objet.
L’issue de cette décision importante démontrera que les actions de DP World étaient dilatoires, que les décisions de Londres étaient complaisantes, et que ce qui était recherché avait pour objectif de mettre la pression sur un État souverain, pour le contraindre à rétablir DP World dans le capital d’une société pourtant nationalisée, alors que l’ordre public djiboutien l’interdit.

Le 24 janvier dernier, le tribunal de la Cour d’arbitrage international de Londres (LCIA) a accordé à DP World, ainsi qu’à la joint-venture Doraleh Container Terminal, 200 752 000 US$ de dommages-intérêts provisoires à la suite de leur exclusion du Terminal de Doraleh, à Djibouti. Cette décision de la LCIA et de la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles est le quatrième verdict en faveur de DP World. Quel est votre sentiment face à cette nouvelle décision judiciaire défavorable pour Djibouti ?
C’est une décision d’intimidation qui n’aura aucune incidence sur la position du gouvernement de Djibouti, qui n’a d’ailleurs même pas accepté la première décision de cette instance. Les décisions prises par le tribunal londonien ne pourront jamais être exécutées à Djibouti car elles sont contraires au droit de police internationale appliqué à Djibouti. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ces décisions ne sont pas des décisions judiciaires, mais des décisions du tribunal arbitral, qui est une juridiction privée.

Qu’en est-il des intérêts de la République de Djibouti à l’étranger, peuvent-ils être saisis dans le cadre de l’exécution de cette sentence ?
Cette décision pour être exécutée, que cela soit à Djibouti, ou même à l’étranger, doit avoir une exequatur, c’est-à-dire avoir l’autorisation d’un juge qui pourrait être saisi. Par exemple aux États-Unis d’Amérique dernièrement, DP World a tenté de faire exécuter la sentence de la Cour arbitrale de Londres. Cette requête a été rejetée en février 2021 par le tribunal du Maryland. Il faut bien comprendre qu’avant d’ordonner l’exequatur, un tribunal auquel une telle demande serait soumise devra nécessairement avant de se prononcer vérifier certains éléments communs à l’ensemble des tribunaux du monde. Par exemple de vérifier si la décision du tribunal arbitral de Londres est conforme à l’ordre public international. Et si cette décision n’est pas conforme à l’ordre de police, c’est une décision privée, rendue unilatéralement et qui a va l’encontre de la loi de police djiboutienne. Le tribunal n’a pas eu d’autre choix que de rejeter la requête de DP World, puisqu’il ne peut être interdit à un pays souverain de développer ses infrastructures portuaires. Cette décision dit qu’il n’appartient pas à DP World de décider si la République de Djibouti peut investir dans son territoire. C’est contraire à la souveraineté. La souveraineté c’est l’ordre public international. Ces décisions de la Cour de Londres visent uniquement à intimider, à mettre la pression, et tenter d’affecter la réputation et l’image de Djibouti. Mais ce sont des manœuvres vouées à l’échec puisque tous les pays du monde n’ignorent pas que le tribunal privé de Londres n’a pas plus de légitimité, de souveraineté, que la décision d’un État. Si DP World souhaite avoir gain de cause devant la justice, dans le cadre d’un jugement dans l’intégrité ne pourrait être remise en cause par aucune des deux parties, elle doit accepter de plaider devant le CERDI [4]. Djibouti n’était pas membre de cette juridiction des Nations Unis, c’est chose faite dorénavant. Puisque DP World a refusé de négocier un accord amiable de dédommagement après la nationalisation, l’option que propose notre pays est de régler ce différend devant la justice des Nations unies dont nous reconnaissons non seulement la légitimité mais aussi l’intégrité des décisions prises. Pourtant DP World refuse de plaider devant cette cour. Pourquoi ? La question qui sera posée à cette juridiction est la suivante : est-ce qu’un investisseur étranger peut prendre en otage un pays et décider de la continuité des investissements dans les infrastructures portuaires dans cet État en lieu et place des autorités politiques de ce pays où il est lui-même installé. D’autant plus lorsque l’on sait que Djibouti est un concurrent sérieux des ports de Salalah à Oman et de ceux de Dubaï ? L’erreur de Djibouti, en acceptant que DP World vienne investir dans notre pays, a été lourde de conséquences. On a fait entrer le loup dans la bergerie. C’est une question de survie pour Djibouti.
Le tribunal de Londres est fustigé par les pays africains qui lui reprochent de ne pas avoir sur la liste des arbitres, d’avocats africains.

Comment faire pour changer de paradigme ?
L’idée est de créer un pool arbitral africain. Pour ce faire, il faut un plaidoyer dans ce sens et relayer au niveau international que l’Afrique dispose d’avocats et d’arbitres compétents.
Il y a deux gros réseaux panafricains en Afrique de l’Est, notamment East Africa international arbitration conference, dont notre cabinet est membre depuis 2013, et de l’autre côté en Afrique de l’Ouest, il y celui de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA).
Celui du Rwanda est très réputé. Sous l’impulsion du président Paul Kagame, il a pris son envol et acquis une grande crédibilité. Pour preuve, on ne compte plus les cabinets occidentaux qui viennent s’inscrire dans le registre de cette Cour arbitrale rwandaise qui nous a beaucoup appuyé, dont nous sommes partenaires. C’est une institution arbitrale qui nous a beaucoup encouragé à dupliquer ce concept à Djibouti, avec pour spécialisation les questions maritimes et de transport.
Nous sommes dans une démarche de lobbying auprès de nos autorités politiques nationales afin de les sensibiliser sur ces questions. Nous attendons prochainement une visite des membres de la Cour arbitral du Rwanda pour tenir des réunions d’informations et faire en sorte que Djibouti ne rate pas ce train. Notre pays a toutes les cartes en main pour se positionner en leader de l’arbitrage sur les questions maritimes et de transport pour l’Est de l’Afrique. Le Rwanda est considéré comme pertinent en matière de commerce. Personnellement, je plaide pour qu’une branche de cette institution de Kigali international arbitration centre (KIAC) s’établisse à Djibouti, chargée des questions maritimes, portuaires, aériennes, et routières. Le plus grand concurrent était l’Éthiopie, mais nous sommes parvenus à convaincre la chambre de commerce éthiopienne, mais aussi et surtout les avocats de ce pays, de travailler main dans la main dans la mise en place avec notre pays, afin que l’institution régionale sur ces sujets se situe à Djibouti. C’est une importante avancée, il ne reste plus qu’à convaincre nos politiques pour aller plus de l’avant. Nous voulons développer une synergie sur les questions arbitrales avec Kigali et Mombassa. Les investisseurs et les partenaires d’affaires qui viennent en Afrique ont un planning de réflexion par rapport à nos politiques. Pour l’heure, il n’y a pas de concurrent dans les pays qui peuvent se compléter et se renforcer. À titre de comparaison, Djibouti ne peut pas être concurrent de Berbera au niveau portuaire, car on ne peut parler de compétition que lorsque l’on a les mêmes capacités. Dans le domaine de l’arbitrage, le Kenya et le Rwanda sont très développés sur ce segment, mais en infrastructures portuaires nous sommes deux rangs devant par rapport à eux, et donc on peut se compléter. Ce que l’on vise c’est que de Port-Soudan à Cap Town en Afrique du Sud on puisse mettre sur pieds une chaîne logistique et arbitrale qui se complète et se spécialise pour offrir un marché commun portuaire performant, doté de garanties juridiques identiques et surtout désignant des centres d’arbitrage pour toutes les personnes qui souhaitent investir sur le continent ou comptent émettre des lettres de connaissements maritimes, etc. Aujourd’hui, les connaissements maritimes désignent les tribunaux arbitraux de Londres. On veut travailler main dans la main avec les fournisseurs des pays africains afin que dorénavant figure dans tous les documents contractuels, comme par exemple la lettre de garantie, le centre d’arbitrage de Kigali comme lieu de juridiction pour le règlement des différends. L’objectif est que les centres d’arbitrage membres de ce pool travaille ensemble, se spécialisent par domaine et adhèrent à une sorte d’arbitrage qui permette de préserver les intérêts de ces infrastructures. Nous nous inspirons de la Cour d’arbitrage de Singapour, qui est considérée comme un modèle pour l’Asie, voire même au niveau mondial. On veut que Kigali, Abuja, Djibouti ou Nairobi deviennent le Singapour de l’Afrique sur les questions arbitrales. Cette ambition est aussi portée par l’Union africaine qui veut faire de Casablanca la principale Cour africaine d’arbitrage, puisque tous les contrats signés avec des partenaires africains devront désigner un centre d’arbitrage sur le continent. C’est la seule option viable pour que le continent soit sur le même pied d’égalité que ses partenaires commerciaux étrangers.
Il faut bien comprendre que l’affrontement entre DP World et Djibouti n’est pas le combat entre deux investisseurs, mais un affrontement entre l’Afrique et les Occidentaux.

Propos recueillis par Man Mohamed et Mahdi A.


[3Le CIRDI, qui fait partie du Groupe de la Banque mondiale, est une institution internationale autonome, établie aux termes de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre des États et des ressortissants d’autres États (connue sous l’appellation convention CIRDI ou convention de Washington, entrée en vigueur en 1966), comptant plus de cent quarante États membres. La vocation première du CIRDI consiste à fournir des moyens de conciliation et d’arbitrage concernant les différends internationaux relatifs aux investissements.

[4Arbitrage international, International arbitrage Attorney, 21 novembre 2020.

 
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