Human Village - information autrement
 
Le lieutenant Fouad pourrait bénéficier d’une libération provisoire
par Mahdi A., juin 2020 (Human Village 39).
 

Depuis la diffusion de la vidéo choc, la population entière est bouleversée, indignation et colère s’enchainent sur les réseaux, entraînant également des tentatives de manipulation selon le gouvernement.

La vidéo présentant les conditions d’incarcération du lieutenant Fouad Youssouf Ali a ému au-delà des frontières nationales. Dans la foulée de la diffusion de ces images, ont émergé en ligne un nombre incalculable d’appels à la mobilisation pour la libération de notre compatriote, ainsi que d’autres prônant la révolte populaire pour enclencher un renversement de régime par la force.
Les centaines de messages vidéo à visage découvert de citoyens scandalisés, ainsi que les milliers de tribunes et posts, publiés sur les réseaux comme Twitter ou Facebook, en soutien au lieutenant Fouad s’enchaînent sur la toile. Tous veulent témoigner de la douleur et de l’incompréhension générale. Il faut remonter à la quête de notre indépendance pour retrouver une telle communion pour la défense d’une cause ; aucune jusqu’alors n’avait ainsi réuni les Djiboutiens sans distinction. Ils exigent tous la fin du traitement indigne subi par l’un des leurs, le lieutenant Fouad incarcéré au centre pénitentiaire de Gabode. Les manifestations non autorisées de jeudi et vendredi visaient avant tout à montrer la désapprobation populaire et demander la libération du prévenu.

D’ores et déjà l’indignation de la population n’a pas été vaine, Fouad est dorénavant incarcéré à l’infirmerie et bénéficie de soins médicaux. Une intervention du procureur général, Djama Souleiman Ali, laisse penser que la demande de libération provisoire pour raison de santé, formulée auprès de la chambre d’accusation de la cour d’appel par son avocat Me Zakaria Abdillahi Ali, sera accueillie favorablement le 18 juin, date de la remise de l’avis des deux médecins désignés pour examiner le détenu. D’autres décisions ont été prises, comme la suspension du directeur du centre pénitencier Mohamed Djama Yonis dans la foulée « d’une enquête administrative sur les conditions ou cette vidéo a été enregistrée et sur les conditions de détention de M. Fouad et des autres prévenus », et la construction programmée à PK53 d’un nouvau centre carcéral dont les travaux débuteront dans les meilleurs délais. Enfin, concernant les conditions d’incarcération du lieutenant Fouad, Djama Souleiman Ali n’a pas caché que c’étaient celles en vigueur au centre de Gabode, vestige de l’époque coloniale, tout en apportant quelques éclaircissements et clarifications : « Je comprends que la vidéo diffusée dans les réseaux sociaux ait pu susciter certaines réactions même si M. Fouad n’a pas filmé entièrement la cellule mais juste les latrines ». Djama Souleiman Ali a rappelé que « les cellules dites “12” sont des cellules individuelles avec une cour et qu’il passe le plus clair de son temps dans sa cour individuelle, à l’écart des autres cellules où il y a plusieurs détenus ». Le procureur général a également rappelé que « le détenu Fouad reçoit tous les jours trois repas de l’extérieur de sa famille et qu’il lui est permis de circuler librement au sein de la prison » [1].
Dans une réponse sur La Voix de Djibouti, samedi 6, l’avocat du lieutenant Fouad, Me Zakaria, conteste une partie de ces propos. Il estime notamment que la protection juridique du lieutenant Fouad Youssouf Ali n’a pas été assurée un mois durant, ainsi que les soins médicaux, et que sa famille n’a pu le visiter jusqu’alors. Les dates indiquées pour son extradition d’Éthiopie et son incarcération à Gabode seraient aussi erronées selon l’ancien député Zakaria. L’accusation ridicule d’intelligence avec l’ennemi érythréen – déjà utilisée pour interdire le MRD ou enfermer Jabha afin d’obtenir une condamnation de l’Érythrée par le Conseil de sécurité de l’ONU - ne mérite pas que l’on s’y arrête.

Concernant les conditions d’incarcération à Gabode, les langues se délient avec de nombreux témoignages aujourd’hui. Comme celui de l’opposant politique Abdourahman Barkat God, qui rappelle y avoir été enfermé trois mois dans des conditions pénibles. Il évoque une cohabitation dans sa cellule avec des rats, des blattes, des lézards, des serpents qui s’extirpent des toilettes à la turque, lors du flux et reflux des marées, souvent au moment le plus inattendu. Il parle de cette expérience douloureuse comme une des périodes les plus difficiles de sa vie. La démolition annoncée de ce bâtiment apparaît donc salutaire pour le respect de la dignité humaine. Le procureur général Djama Souleiman Ali ne peut cependant s’affranchir de ses responsabilités sur autrui - c’est trop facile - il partage la responsabilité de la déshumanisation du principal centre de détention de notre pays. Il ne peut prétendre ignorer les maltraitances et les conditions de détention alors qu’il est le véritable gardien du temple - sans compter sa responsabilité dans l’état de déliquescence et la perte de confiance de la population dans notre système judiciaire. Les Djiboutiens, dans leur grande majorité, ont peu d’estime pour cette institution de la République, pourtant, essentielle. Elle est considérée comme un espace privilégié de l’arbitraire et de toutes les injustices… Et je pèse mes mots !

Pas de répit pour le gouvernement

Depuis la diffusion de cette vidéo les appels à manifester se multiplient. Au cours d’une intervention télévisée d’un peu moins de trois minutes, dans la matinée du vendredi 5, le ministre de l’Intérieur, Moumin Ahmed Cheikh, a fait un rappel à l’ordre et une mise en garde. Il insistait sur le fait que personne ne sera à l’abri de la réaction de l’État, ni jeunes, ni femmes… Il indique que des magasins ont été pillés, des voitures endommagées, des personnes blessées. C’est pourquoi il demande un sursaut de civisme. Il rappelle que la liberté de manifester est un droit constitutionnel, mais que les manifestations sont régies par des règles précises, dont la première est l’obligation de les déclarer. S’adressant aux femmes engagées dans la mobilisation, il leur demande si elles ont conscience de là où certaines personnes voudraient les diriger. Il sous-entend que des mains invisibles manipuleraient la vague contestataire, en soufflant sur braises allumées par la diffusion de la vidéo, pour créer le chaos et s’emparer du pouvoir.

Bien que ces arguments soient parfaitement valables, le ministre peut-il assurer qu’une demande de manifestation ne serait pas rejetée - après la phase covid - par son ministère ? Me pardonnera t-il de lui rappeler qu’on n’arrive pas à se souvenir de la date de la dernière manifestation autorisée pour exprimer un mécontentement en République de Djibouti. Or, c’est le seul moyen qui permette de contester pacifiquement dans ce pays. L’accès aux médias publics reste lui drastiquement restreint en dehors des courtes périodes électorales.
Certes, la conjecture régionale n’est pas favorable, et certains pourraient profiter de dissensions politiques ou sociales pour enclencher une déstabilisation comme cela a pu se produire ailleurs. Il est essentiel de préserver la quiétude du pays. Mais, d’un autre côté, il n’existe pas d’espace politique permettant aux citoyens d’exprimer légalement – en particulier collectivement - un désaccord sur la gestion du pays… Pour l’opposition cette situation est un déni de droit. A-t-elle complètement tort ? En l’absence d’outils d’expression collective, comment dénoncer ensuite l’influence néfaste des réseaux sociaux sur la population et les fake news qui s’y répandent comme feu de brousse ? Quelle alternative propose le gouvernement pour éviter de rompre le dialogue et empêcher une confrontation violente avec les Marches pour la liberté que compte organiser Abdourahman Barkat God malgré les interdictions ?

Pour freiner l’influence des réseaux et réduire la capacité de mobilisation des sites d’activistes de la diaspora, il semble que le gouvernement a sorti de sa boite à outils de nouveaux moyens pour ralentir le débit d’internet. Depuis mercredi dernier, jour de diffusion de la vidéo filmée clandestinement, les connexions restent difficiles dans la capitale. Cette manœuvre permettrait de ralentir la circulation de l’information. Pour ce faire, des relais pourraient avoir été désactivés à certains endroits de la capitale, où par intermittence la connectivité a disparu plusieurs heures, voire toute la nuit entre mercredi et jeudi, rendant le visionnage des vidéos pénibles voire impossible à certains moments sur Facebook. Un accident technique ayant perturbé les services numériques de manière fortuite parait tout de même peu probable…

Mahdi A.


[1« Le procureur général apporte des éclaircissements », Agence djiboutienne d’information, 5 juin 2020.

 
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