« J’ai cessé de croire que les mots pouvaient accomplir des miracles. Le journalisme a dissipé mes illusions », s’émouvait l’écrivain Vassilis Alexakis.
Ce triste constat n’est apparemment pas celui de Mohamed Ben Salmane Al Saoud, sinon comment expliquer la disparition inexpliquée, depuis plus d’une dizaine de jours, du journaliste Jamal Khashoggi, dans l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, où il s’était rendu pour obtenir des documents administratifs ? Comment expliquer qu’il n’en soit jamais ressorti, du moins, vivant selon toute évidence, comme le signale le Washingthon Post, dont Jamal Khashoggi était un des éditorialistes. Ce quotidien américain assure que les preuves matérielles en possession des services de police, notamment sonores, laissent craindre le pire.
Avant de se réfugier l’an dernier aux Etats-Unis d’Amérique, ce journaliste saoudien réputé avait entre autres dirigé de nombreuses années le plus important quotidien saoudien, El Watan. Depuis son exil, il continuait à publier des éditoriaux critiques, n’hésitant pas à dénoncer la honteuse opération militaire menée par son pays au Yémen.
Un guet-apens pour se débarrasser d’un poil à gratter ?
Comme dans les mauvaises séries d’espionnage, un guet-apens lui aurait été tendu, pour faire taire cette voix discordante, ce « poil à gratter ». Comme à l’accoutumée, un éléphant dans un magasin de porcelaine ne s’encombrant pas des fioritures, cela serait à l’étranger, dans les murs de la représentation diplomatique saoudienne, que le journaliste saoudien aurait été capturé, par un commando d’une quinzaine de personnes arrivées le matin même d’Arabie saoudite, torturé, puis tué avant d’être démembré, toujours selon les informations du Washington Post.
« L’existence de telles preuves expliquerait pourquoi les autorités turques ont rapidement accusé l’Arabie saoudite d’avoir tué Khashoggi. […] Des responsables saoudiens ont nié toute implication dans la disparition de Khashoggi, affirmant qu’il avait quitté le consulat peu de temps après son arrivée » [1].
Le quotidien n’a pas manqué de mettre en parallèle la perversité de ces agissements, qui montrent la nature profonde d’un régime qui, sous le vernis, reste sanguinaire pour ne pas dire barbare, et que les opérations cosmétiques opérées à l’intention de la communauté internationale pour présenter le règne qui débute sous les meilleurs angles - moderne, progressiste, ouvert aux investisseurs étrangers -, à coups de millions de dollars dépensés dans les médias occidentaux, auront dorénavant du mal à maquiller…
« Mohamed s’est présenté comme un réformateur et un modérateur en Arabie saoudite. Il est devenu un partenaire stratégique clé, en particulier pour Jared Kushner, gendre du président et conseiller principal.
Kushner a tenté de promouvoir Mohamed auprès de responsables sceptiques de la sécurité nationale, qui le considéraient depuis longtemps comme un dirigeant impétueux et impitoyable, qui a une vision trop simpliste des défis complexes auxquels les Etats-Unis sont confrontés au Moyen-Orient. […]
A la Maison Blanche, au Capitol Hill et parmi les services de renseignements américains, on est de plus en plus persuadé que Khashoggi est mort et que l’Arabie saoudite serait derrière.
Cette conclusion est en partie motivée par les rapports des services de renseignements américains avant la disparition de Khashoggi, qui montrent que Mohamed a ordonné une opération pour ramener Khashoggi en Arabie saoudite, où il devait être placé en détention. Des fonctionnaires américains au courant des rapports les ont décrits au Washington Post ».
Le royaume saoudien récuse ces accusations, et dit n’être pas concerné par la disparition du journaliste. Heureusement que le ridicule ne tue pas, puisque les autorités saoudiennes « jurent » que le journaliste aurait quitté la délégation diplomatique après avoir obtenu les documents qu’il cherchait, certifiant notamment de son statut non-marital. Comble de malchance, ce jour là le système vidéo de la représentation saoudienne ne fonctionnait pas ! C’est la raison invoquée par les Saoudiens, pour expliquer qu’ils ne sont « malheureusement » pas en mesure de délivrer de preuves attestant que Khashoggi aurait quitté les lieux sain et sauf.
« Si les autorités saoudiennes ont rapidement jugé “infondées” les affirmations selon lesquelles le journaliste avait été assassiné dans ce consulat, elles étaient depuis restées cantonnées dans leur silence. Hormis pour signifier que les caméras du consulat ne fonctionnaient pas ce jour-là » [2].
Les comportements de « voyou » de l’héritier du trône n’incitent pas à la confiance
Bien que la presse en Arabie saoudite soit muselée, l’intronisation de Mohamed Ben Salmane comme prince héritier du royaume des Saoud a coïncidé avec un renforcement du tour de vis sur les dissidents, qu’ils soient journalistes, féministes, politiques, hommes d’affaires… Allergique à la moindre critique, pour un tweet considéré désobligeant, les relations diplomatiques, estudiantines, sanitaires, ou encore commerciales ont été rompues avec le Canada. La coupe n’est pas pleine, pour tenter de faire pression sur le Hezbollah, allié de l’Iran, le prince héritier n’a pas hésité à séquestrer le Premier ministre libanais, et exiger sa démission depuis Ryad ! Les grandes figures de la dissidence saoudienne disparaissent les uns après les autres et sont placées le plus souvent en détention dans le plus grand secret comme le signale Reporters sans frontières :
« Reporters sans frontières a recueilli plusieurs témoignages laissant effectivement penser que ces journalistes “disparu” étaient détenus arbitrairement par le régime. Mais en raison du secret maintenu par les autorités, du refus de parler de certaines familles par peur de représailles, il est difficile de savoir à ce jour combien d’entre eux sont précisément détenus. Pour des raisons de sécurité, RSF n’est pas en mesure de dévoiler l’ensemble des noms dont elle dispose. Mais ils seraient principalement interrogés sur leurs écrits dans la presse et les réseaux sociaux (Twitter, Snapchat), ainsi que leurs interventions à la télévision. Le régime leur reprocherait un manque de loyauté à l’égard de la politique actuelle de l’Arabie saoudite. […]
RSF déplore que le discours d’ouverture et de modernité du prince héritier Mohamed Ben Salmane, arrivé au pouvoir en juin dernier, se traduise pour les journalistes par un tour de vis supplémentaire. Nous demandons la libération immédiate de tous ces journalistes arrêtés et détenus arbitrairement » [3].
Les arrestations abusives de milliardaires, pour les contraindre à un « arrangement » financier pour l’obtention de leur libération, dénotent chez cet individu des agissements d’escroc de grands chemins, et laissent espérer peu d’espoir sur le sort funeste qui a été réservé à Jamal Khashoggi.
Que dire des mesures d’embargo, de boycott, de mise en quarantaine du Qatar, poussant l’outrance - voire l’arrogance - en déclarant vouloir en faire « une île artificielle » en creusant un canal de 60 kilomètres pour séparer le « petit Émirat » de la péninsule Arabique [4], ou bien encore, des cris d’offrais contre le régime d’Iran, et des discours va-t’en guerre contre ce pays, entrainant dans son nauséabond sillon ses alliés musulmans inféodés, les faucons américains et son nouvel « ami », Israël.
Enfin qui se soucie des crimes inhumains perpétrés par le royaume wahhabite dans une sale guerre au Yémen pour des raisons fallacieuses ? Jamal Khashoggi s’en préoccupait ! Il appelait son pays dans son dernier éditorial dans le Washington Post à « restaurer sa dignité » en mettant fin au conflit au Yémen. « Au Yémen, plus cette guerre cruelle durera longtemps, plus les dégâts seront permanents. La population yéménite pourrait ainsi se consacrer à lutter contre la pauvreté, le choléra et la pénurie d’eau et à reconstruire son pays. Le prince héritier doit mettre fin à la violence et restaurer la dignité du lieu de naissance de l’Islam » [5].
Il est sans doute trop tard pour sauver Jamal Khashoggi des griffes des Saoudiens, mais il est possible d’honorer sa mémoire en poursuivant son combat, en concourant à sauver des dizaines de milliers de vies innocentes, en mettant sous les projecteurs une guerre oubliée, où un peuple est bombardé aveuglément par des Saoudiens - et leurs alliés principalement émiratis -, y compris des massacres d’écoliers comme encore récemment à l’école de Dahyan… On parle pour ce pays pourtant surnommé, « l’Arabie heureuse » de plus de 50 000 morts, 7 millions de personnes au bord de la famine, trois millions de déplacés internes, deux millions d’enfants non scolarisés, et un millions d’autres touchés par le choléra. Le silence n’a que trop duré, ces crimes doivent être dénoncés, ces agressions militaires démentielles prendre fin. Ainsi, Jamal Khashoggi, ne sera pas mort en vain, son « assassinat présumé », aura permis de lever le voile sur la personnalité extrêmement malfaisante du prince héritier saoudien, Mohamed Ben Salmane Al Saoud.
Mahdi A.
[1] « Shane Harris, Saoud Mekhennet, John Hudson,« Turks tell U.S. officials they have audio and video recordings that support conclusion Khashoggi was killed », The Washington Post, 11 octobre 2018.
[2] « Affaire Khashoggi : Riyad nie toute intention de “tuer” ; Trump promet un “châtiment sévère” », Le Monde, 12 septembre 2018.
[3] « Arabie saoudite au moins 15 journalistes saoudiens détenus arbitrairement par les autorités », RSF, 8 février 2018
[4] « L’Arabie saoudite voudrait isoler le Qatar en en faisant une île artificielle », HuffingtonPost, 1 septembre 2018.
[5] Jamal Khashoggi, « Saudi Arabia’s crown prince must restore dignity to his country – by ending Yemen’s cruel war », The Washington Post, 11 septembre 2018.
Monsieur Mahdi,
Ce qui est arrivé a Khashogi est effroyable et inadmissible. Le monde entier est unanime sur cette affaire. Mais je dois vous dire qu’il faut cultiver son propre jardin au lieu de defricher les mauvais herbes d’Istanbul et de Riyad.
Amicalement,
Amir