Un double attentat à l’explosif a frappé durement la capitale somalienne, hier après-midi, - samedi 14 octobre 2017 – et causé selon des estimations susceptibles d’évoluer, 231 morts et 275 blessés.
Selon les informations publiées par RFI, « deux explosions à quelques dizaines de minutes d’intervalle ont secoué Mogadiscio. Mais c’est la première qui a marqué les esprits. Selon plusieurs témoins, un camion bourré d’explosifs s’est approché du Kilomètres 5, un carrefour embouteillé où l’on trouve hôtels, restaurants et agences gouvernementales. Les forces de sécurité ont tenté de l’arrêter, mais le véhicule a forcé le passage avant de sauter. (…) Les images sont impressionnantes. La déflagration a soufflé plusieurs bâtiments, des dizaines de passants ont été fauchés. Les images montre un paysage désolation fait de commerces en feu, de véhicules calcinés et de tonnes de gravats » [1].
Le constat posé en séance du Conseil de sécurité en date du 12 octobre par le secrétaire général des Nations-unies [2], est lapidaire. Il souligne la difficulté pour la communauté internationale malgré les efforts déployés à rétablir la paix et la sécurité, notamment en Somalie : « Il y a neuf mois, quelques 20 millions de personnes étaient gravement menacées par la famine dans ces quatre pays [3]. La communauté internationale a répondu rapidement à l’alerte, et près de 70% des fonds demandés ont été reçus. Mais si nous avons réussi à tenir en joue la famine, nous avons échoué à le faire pour les souffrances ».
Ce triste attentat est le plus meurtrier perpétré par les combattants shebbabs dans la région, depuis l’assaut contre la base militaire des troupes kényanes de l’Amisom, près de Ceel Cado, à 550 kilomètres à l’ouest de Mogadiscio. Le nombre de victimes dans les rangs de l’Amisom avait alors, été nettement minimisé par les autorités militaires kenyanes selon des sources bien informées. Le bilan aurait été plus proche des deux cents victimes que de la soixante annoncée officiellement.
Le dernier crime perpétré à proximité de la « zone verte » - supposée très sécurisé -, témoigne non seulement de l’impressionnante capacité de résilience des Shebbabs, en dépit des vagues de frappes de drones américains qui partent de la base de Chebbeley [4], mais met également en évidence les nombreux soutiens dont disposent encore les Shebbabs à Mogadiscio même, alors qu’ils en ont été chassés en août 2011.
Par cet acte abominable, les Shebbabs adressent un message à ses adversaires : le gouvernement somalien, les 22 000 soldats de la force de l’union africaine (dont 2000 djiboutiens), et le général Thomas D. Waldhauser, commandant des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), dont la présence à Mogadiscio deux jours avant le massacre pour rencontrer le président somalien avait été signalé par un communiqué d’Associated Press [5].
D’ailleurs la concomitance de l’attentat le plus meurtrier qu’a connu la Somalie avec la visite surprise à Mogadiscio du général Waldhausser ne peut qu’interpeller.
Dans la même veine il semble important de remarquer que l’arrivée de Trump à la Maison blanche s’est accompagnée de l’accélération et l’intensification des attaques de drones. Ces bombardements à l’aide de missiles Hellfire, disposant de guidage laser, ont fait subir de lourdes pertes aux combattants shebbabs. Ces missiles embarqués se sont montrés redoutables et d’une grande efficacité dans l’exécution d’importants responsables du mouvement islamiste, comme Youssef Dheeq en 2015 ou Ahmed Abdi Godane, l’un de ses fondateurs, en 2014.
Selon la Tribune de Genève en date du vendredi 31 mars 2017, « La nouvelle administration américaine étend les pouvoirs donnés aux GI’s pour mener des frappes en Somalie. Objectif : augmenter la pression sur les insurgés islamistes shebab liés à Al-Qaïda.
Selon les explications d’un responsable du Pentagone, données jeudi sous couvert d’anonymat, les nouveaux pouvoirs accordés aux militaires américains leur permettront de ne plus avoir à justifier d’une légitime défense pour mener leurs frappes aériennes et de pouvoir mener des bombardements d’une nature plus offensive. Ils donnent aussi une autonomie de décision plus grande sur ces frappes au chef des forces américaines en Afrique, le général Thomas Waldhauser.
”Le président Donald Trump a approuvé une proposition du département de la défense de mener des actions de feu additionnelles en soutien » à l’Amisom, la force internationale de l’Union africaine déployée dans le pays, a communiqué le porte-parole du Pentagone Jeff Davis” (…) (S)elon les statistiques du « Bureau of investigative journalism », une ONG britannique qui compile les données sur les frappes de drones américaines. Ces frappes (en 2016) ont tué de 223 à 311 personnes, essentiellement des shebab. ».
Enfin, il ne faut pas oublier de mentionner les démissions [6] du ministre somalien de la défense [7], et du chef des armées [8], intervenues au lendemain de la visite du commandant de l’Africom, à Mogadiscio. On ne peut exclure que ces derniers, en agissant ainsi, aient pu manifester leur désaccord quant à la stratégie militaire suivie, notamment l’intensification de la campagne de drones pour venir à bout des islamistes. Ces hauts responsables militaires déplorent probablement, comme de nombreux Somaliens d’ailleurs, « les importantes victimes collatérales » innocentes causées par ces armes aveugles et destructrices au sein de la population.
Cette extrême violence au cœur de la capitale intervient alors que, le président Mohamed Abdullahi Farmajo a été élu à la magistrature suprême avec l’engagement de ramener la paix et la stabilité en Somalie… Il apparaît au grand jour que les « jours heureux » tant promis durant la campagne ne sont pas pour demain… Farmajo, dont la réputation qui lui colle à la peau est d’être « l’homme des Américains », aura fort à faire pour justifier auprès de sa population qu’il ne prend pas ses ordres à Washington, alors qu’au même moment il essaye de se départir d’un scandale politique énorme, après l’arrestation, puis l’extradition [9] en Éthiopie du leader nationaliste Abdikarim Sheikh Muse (Qalbi-Dhagax), important responsable de l’Ogaden National Liberation Front (ONLF). Nombreux sont ceux qui considère cette action avec les éthiopiens comme un acte de trahison [10] à l’endroit de la libération de l’Ogaden du « joug » éthiopien.
On ne voit pas vraiment comment, ni surtout quand, la Somalie va pourvoir s’extirper de cette errance sans fin, de cet Odyssée en enfers… alors que, les moyens pour combattre les extrémistes vont progressivement décroître [11] du fait de la volonté des européens de réduire leur contribution afin de ventiler une partie des financements existants au profit de la force G5 Sahel [12]. Les pays contributeurs en moyens humains de la force de l’Amisom ont déjà fait savoir qu’en cas de déflation de la voilure ils retireraient intégralement leurs effectifs engagés en Somalie d’ici la fin de 2018.
Le président somalien avait pourtant expliqué que le « soutien des donateurs continuerait d’être nécessaire et a demandé que la transition soit menée de manière prudente avec un financement soutenu et prévisible, car un retrait trop précoce consécutif à des délais artificiels ou irréalistes pourrait mettre en péril les avancées en matière de sécurité déjà réalisées et « envoyer le mauvais signal » aux forces ennemies des Chabab » [13]. Il n’est pas impossible que les derniers évènements amènent les Européens à reconsidérer leurs intentions au sujet de l’Amisom...
Le président de la République, Ismaïl Omar Guelleh, a adressé ce matin ses condoléances au nom du « peuple, (du) gouvernement de Djibouti (qui) se joignent à (lui) pour exprimer leur solidarité et leur compassion à l’État et au peuple somalien ». Il dénonce également avec fermeté la cruauté et la déshumanité des auteurs de cet acte inqualifiable, et rappelle la solidarité mais également le refus des alliés de cette nation sœur « de (voir) subir le diktat de ces hors la loi, de ces agents maléfiques déterminés à maintenir la Somalie dans le chaos et l’abîme. Tout leur funeste projet se résume à prendre le pouvoir par la force et à étendre une autorité illégitime sur une population qui lui récuse sa confiance ».
Mahdi A.
NB : Selon des informations publiées en décembre 2017, le bilan de l’attentat s’établit à 512 morts.
[1] « Somalie : un double attentat meurtrier frappe Mogadiscio », 14 octobre 2017, sur le site de RFI.
[2] « Le Secrétaire général alerte le Conseil de sécurité du risque de famine que font planer les conflits au Soudan du Sud, en Somalie, au Yémen et au Nigéria », 12 octobre 2017, sur le site des Nations-unies.
[3] Le Sud Soudan, la Somalie, le Yémen, et le nord-est du Nigéria.
[4] « Les USA vont étendre leurs frappes en Somalie », La Tribune de Genève, 31 mars 2017.
[5] « The Latest : People trapped in rubble after Mogadishu blast », 15 octobre 2017, site d’AP.
[6] « Somalie : le ministre de la Défense et le chef des armées démissionnent », 13 octobre 2017, sur le site de RFI.
[7] Abdirashid Abdullahi Mohamed.
[8] Le général Mohamed Ahmed Jimade.
[9] Orchestré en catimini par les services secrets somaliens (NISA).
[10] Abukar Arman, « Farmajo’s betrayal of the Somali people », 27 septembre 2017.
[11] « Somalie : le financement européen de l’Amisom revu à la baisse », 1er mars 2016, sur le site de RFI.
[12] sv « G5 du Sahel », sur Wikipédia.
[13] « Somalie : le Conseil de sécurité proroge de neuf mois le mandat de l’AMISOM », site de l’ONU.