Version française du discours du président du Somaliland, Muse Bihi Abdi. La version en anglais est en ligne et en dessous.
Tout d’abord, permettez-moi de dire que c’est un grand plaisir d’être ici avec vous aujourd’hui pour participer à la poursuite du dialogue entre le Somaliland et la Somalie. Permettez-moi d’adresser mes sincères remerciements à la communauté régionale, continentale et internationale pour votre présence ici aujourd’hui, afin de discuter d’un sujet d’une grande importance pour la Corne de l’Afrique. Permettez-moi de remercier encore S.E. Ismail Omar Guelleh et les habitants de Djibouti pour leur chaleureuse et fraternelle hospitalité en nous accueillant dans ce beau pays.
Bien que nous puissions être séparés par la terre et la mer, rien ne diminuera les rôles importants que vous jouez tous et que vous continuerez de jouer, dans vos efforts pour apporter la paix et la stabilité au continent africain.
La région souffre d’une combinaison de défis sans précédent, qui vont du covid-19 aux problèmes environnementaux et socio-économiques. Une coopération et une hégémonie régionales sont nécessaires de toute urgence pour gérer les personnes vulnérables vers un avenir plus prospère et plus stable.
La reprise de ces pourparlers avec le soutien international est un facteur important pour assurer un avenir plus durable dans l’accomplissement du lourd et important devoir de construire une relation sûre, sécurisée et stable entre les peuples du Somaliland et de la Somalie.
Excellences, permettez-moi de souligner que la phase dans laquelle nous entrons est cruciale pour façonner les futures relations bilatérales entre nos deux pays voisins, la stabilité régionale et un avenir durable et prospère pour la Corne de l’Afrique. Cependant, si ardue et importante que soit cette tâche, je reste confiant et optimiste de ce que grâce à notre et votre attention, engagement, travail acharné et dévouement, nous serons en mesure de contribuer à la paix et la sécurité à travers le continent africain.
Excellences, permettez-moi de présenter un bref historique du chemin qui nous a amenés là où nous en sommes aujourd’hui. La République du Somaliland a obtenu son indépendance du Royaume-Uni le 26 juin 1960. La notification de cette indépendance a été dûment enregistrée auprès des Nations unies et 35 pays ont reconnu le Somaliland. Le Somaliland s’est volontairement uni à la Somalie le 1er juillet 1960 pour former la République somalienne. L’union n’était pas juridiquement contraignante, l’acte d’union n’ayant jamais été officiellement signé. Par conséquent, l’effort d’unification n’a pas rempli les exigences imposées par le droit national et international.
Dès le début, l’union a mal fonctionné, les habitants du Somaliland étant extrêmement opprimés. Le peuple du Somaliland a exprimé son mécontentement envers l’union en votant massivement contre la nouvelle constitution lors du référendum de 1961 et en poursuivant une lutte à grande échelle contre la République somalienne. Cela a entraîné l’effondrement de la République somalienne en 1991 et le rétablissement de l’indépendance de la République du Somaliland le 18 mai 1991.
Depuis le rétablissement de son indépendance, le Somaliland, avec de faibles ressources et un soutien international limité, s’est engagé dans un programme régulier et progressif de résolution des conflits et de consolidation de la paix, de renforcement de l’État, établissant une bonne gouvernance et des institutions gouvernementales opérationnelles. Il a organisé un référendum constitutionnel où 97% des Somalilandais ont voté pour approuver la constitution et l’indépendance du Somaliland. Au cours de cette période, le Somaliland a organisé plusieurs élections libres et équitables, multipartites, dont trois élections présidentielles, deux élections locales et des élections législatives. La République du Somaliland a également créé un environnement propice à un secteur privé florissant et un afflux d’investissements internationaux. Le Somaliland a joué un rôle important dans la paix et la sécurité de la région et a été un partenaire fiable dans la lutte contre le terrorisme, la piraterie, la traite des êtres humains, le blanchiment d’argent et d’autres formes de criminalité organisée. Malheureusement, au lieu d’apprécier tous les efforts et contributions du peuple du Somaliland au cours des trente dernières années, la Somalie a mené une guerre constante contre le développement du Somaliland, sur le plan économique, en termes de sécurité et d’investissement, ce qui a accru la méfiance et l’animosité entre les deux pays.
Depuis que le Somaliland est entré hâtivement dans une union volontaire avec la Somalie, le peuple du Somaliland est aux prises avec l’injustice, la discrimination et le génocide parrainé par l’État aux mains du gouvernement somalien. Des crimes de guerre généralisés commis contre le peuple du Somaliland ont été pleinement documentés par le rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme et une équipe médico-légale composée de médecins et de la Commission des crimes de guerre du Somaliland.
Les actes de génocide perpétrés par le régime de Siyad Barre sont démontrés par plus de 200 charniers. Ces charniers, dont certains sont encore découverts, témoigneront à jamais des crimes contre l’humanité commis par le gouvernement somalien contre le peuple du Somaliland.
Par conséquent, pour aborder la situation actuelle au Somaliland et en Somalie, il est nécessaire de tenir dûment compte du passé et d’en tirer des enseignements. L’héritage de l’oppression contre le peuple du Somaliland ne peut pas être facilement balayé. Il doit plutôt être reconnu et pris en compte lors de l’examen du droit des Somalilandais à l’autodétermination et à l’indépendance.
La situation de l’indépendance du Somaliland est unique. Ce fait a été reconnu par la mission de l’UA au Somaliland en 2005 qui a conclu que la situation était suffisamment « unique et justifiée dans l’histoire politique africaine » pour que « l’affaire ne soit pas liée à la notion de boîte de Pandore ». Elle a recommandé que l’UA « trouve une méthode spéciale pour traiter ce cas en suspens » le plus tôt possible.
En outre, la mission d’information de 2005 de l’UA au Somaliland a indiqué que « la pléthore de problèmes auxquels le Somaliland est confronté [sont en partie] l’héritage de l’union politique avec la Somalie qui a mal fonctionné [et] a provoqué destructions et ruines, agravant les conditions de vie de la population ». La revendication d’indépendance du Somaliland dépend en partie de sa situation, y compris de sa brève mais légale période d’indépendance en 1960, et de sa revendication de frontières internationales reconnues durant cette période. Comme on peut le déduire de cette exposé, la situation du Somaliland est unique et demande une solution unique. Elle ne créé aucun précédent pour d’autres conflits non résolus en Afrique ou ailleurs.
Les arguments juridiques en faveur de l’indépendance du Somaliland sont conformes aux lois internationales. Le Somaliland satisfait aux critères du statut d’État énoncés dans la convention de Montevideo de 1933. Le Somaliland remplit les conditions énoncées à l’article 4(b) de l’Acte constitutif de l’Union africaine qui consacre le respect des frontières existantes lors de l’accession à l’indépendance puisque les frontières du Somaliland correspondent à ceux reçus à l’indépendance de la Grande-Bretagne.
Le Somaliland est pleinement conscient que dans le contexte africain, l’exercice du droit à l’autodétermination est lié au principe du respect des frontières préexistantes (uti possidetis juris). L’indépendance du Somaliland consiste à restaurer ses frontières en tant qu’entité coloniale et en tant qu’État indépendant. Entre 1991 et 2000, l’OUA a consenti à la dissolution de deux autres unions. En 1989, le Sénégal a choisi de mettre fin à sa fusion de sept ans avec la Gambie en tant que fédération sénégambienne et l’Érythrée en 1993 s’était auparavant séparée de l’Éthiopie. En outre, en appuyant l’accord de paix globale signé en 2005, puis l’indépendance du Soudan du Sud et son admission à l’UA, l’Union africaine a accepté l’éclatement du Soudan. Dans son avis juridique sur le Kosovo, la Cour internationale de Justice a déclaré par 10 voix contre 4 que la déclaration d’indépendance du Kosovo du 17 février 2008 ne violait pas le droit international général car le droit international n’interdit pas la déclaration d’indépendance.
En outre, la Commission d’arbitrage de la Conférence de paix pour la Yougoslavie (Commission Badinter) a produit une série d’avis sur la validité de la revendication d’indépendance des nouveaux États et les conditions de reconnaissance. La Commission a déterminé, entre autres, que l’éclatement de la Yougoslavie était un cas de dissolution plutôt que de sécession.
La poursuite de l’indépendance du Somaliland n’est pas un cas de sécession mais plutôt la dissolution de l’union volontaire entre deux États indépendants. Un certain nombre d’États membres de l’UA sont également le produit d’une union ratée : le Mali, le Sénégal, la Gambie et l’Égypte se sont tous retirés des unions en conservant leurs frontières intactes. L’UA a également accepté l’indépendance de territoires qui n’avaient jamais auparavant joui de la pleine souveraineté.
Après l’échec du gouvernement d’unité, la République du Somaliland a exercé son droit inhérent à l’autodétermination, conforme au préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU de 1948. Le Somaliland a longtemps soutenu que la République somalienne était deux pays unis. L’échec du gouvernement d’union a fourni un terrain adéquat pour le rétablissement de l’indépendance de la République du Somaliland.
Le Somaliland reste attaché à une coexistence pacifique avec la Somalie. Cependant, le Somaliland insiste sur le fait que le dialogue devrait être un processus entre deux États avec un programme de fond qui aborde les questions centrales du différend. Aujourd’hui, comment procéder à ce dialogue si les accords précédemment signés à Londres, Istanbul et Djibouti ne sont pas encore mis en œuvre ? Nous proposons cordialement la mise en place d’un mécanisme de médiation sérieux et d’un garant pour ce nouveau cycle de dialogue.
Nous remercions la Somalie pour ses excuses sincères d’aujourd’hui pour les horreurs d’antan commises au Somaliland. La génération actuelle de Somalie n’était bien sûr pas responsable de ce que la génération précédente a fait ; sa reconnaissance des méfaits de la génération précédente est significative et sincèrement appréciée par tous les Somalilandais. Mais avec la reconnaissance vient aussi la responsabilité, la responsabilité des dommages que l’horreur a causés. Les mots ne suffisent pas, l’horreur du passé exige plus que des mots, elle nécessite des actions. Le fait de reconnaître et soutenir l’indépendance du Somaliland contribuerait grandement à guérir les blessures du passé et permettrait à nos deux États de de poursuivre dans un avenir indépendant mais étroitement imbriqué.
Je suis convaincu que nous pouvons construire ensemble un avenir meilleur en tant que nations fraternelles voisines, pour nos propres peuples et pour la région.
Je vous remercie.