Selon une information diffusée par le bureau de Human Right Watch du Somaliland, le procureur de Gabilay, au Somaliland, a fait appréhender de manière préventive Arreh Souleiman Aouled le vendredi 20 mai, le temps d’étudier la demande d’extradition formulée par le tribunal de Djibouti à l’encontre de ce ressortissant de nationalité djiboutienne.
Les réseaux sociaux s’enflament
La mobilisation a été immédiate, les internautes exprimant leur colère, leur indignation ou leur incompréhension face à la détention et la possible extradition vers Djibouti de l’activiste [1]. De nombreuses personnes ont même changé leur habituelle photo de profil sur twitter ou facebook pour celle du militant. Un député somalilandais, Ahmed Khalif Salah, s’est lui aussi ému de cette rumeur d’extradition auprès de son gouvernement, donnant à cette affaire un caractère politique [2].
Depuis la vidéo tournée clandestinement par le lieutenant Fouad Youssouf Ali, depuis sa cellule de Gabode, et diffusée sur les réseaux, plus personne n’ignore les conditions de détentions des détenus djiboutiens. Une minuscule cellule qui semble se limiter à des latrines : « De ce trou-là, sortent toutes sortent de bestioles : des cafards, des vers, des grillons et des mouches qui m’importunent toute la journée, témoignait-t-il face à la caméra d’un téléphone. C’est très dur, c’est un endroit invivable et indigne d’un être humain […] Quand vous verrez cette vidéo, on me maltraitera surement pour l’avoir faite alors que j’ai déjà subi toute sortes de sévices inhumains. Regardez, comment tout mon corps est en souffrance » [3], confiait Fouad Youssouf Ali. Cette vidéo, partagée jusqu’au Somaliland, a marqué les esprits au point qu’une personnalité de premier plan, Faycal Ali dit Warabe, président du parti Ucud, n’avait pas hésité à comparer ces conditions d’emprisonnement à celles en Ogaden du temps d’Abdi Iley [4] : « Jeel Ogaden baan ogeyne waxaad ka dhigtey Jeel ciise » [5] .
Que lui reproche-t-on ? Quelle est la procédure en cours ?
Les proches de l’activiste affirment ne pas parvenir à savoir qui a porté plainte, ni obtenir le motif de son arrestation. Cependant, ils expliquent que, de manière non officielle, l’arrestation serait liée au sketch extrêmement grinçant diffusé le 18 mai sur Facebook, dans lequel Arreh Souleiman Aouled exhortait le chef de l’État djiboutien à quitter le pouvoir et à prendre sa retraite, afin de libérer le peuple djiboutien de son emprise infernale [6]. Il se moquait en outre de l’hypocrisie de son petit pèlerinage à la Mecque, sensé le rapprocher d’Allah et le prier pour profiter de ses bienfaits, alors qu’il se comporterait comme Pharaon sur terre, se prenant même pour Dieu, et malmènerait les siens pour conserver le pouvoir. Arreh Souleiman Aouled laissait entendre que Dieu n’est pas dupe de ses forfaitures et de l’accaparement des richesses nationales à son seul profit et celui de ses enfants. Il semble que cette dernière vidéo serait à l’origine de l’affaire judiciaire. Le pouvoir n’aime pas tellement la caricature – c’est un euphémisme. L’ancien directeur de la rédaction de La Nation, Ali Barkat Siradj dit ABS, pourrait en témoigner pour avoir payé de trois jours de détention à la sinistre prison de Gabode, au lendemain de la victoire du chef de l’État à la dernière présidentielle, son post satirique qui brocardait « le déjeuner des cons » au Kempinski, en référence à la célèbre comédie française, Le Dîner de cons.
Vidéo clandestine
S’inspirant de la vidéo clandestine du lieutenant Fouad Youssouf Ali, Arreh Souleiman Aouled a lancé un appel à l’aide le 22 mai depuis sa prison de Gabilay, aux habitants de la localité et à tous ceux du Somaliland, pour empêcher son extradition vers Djibouti. Cette vidéo a suscité une vive émotion et une forte mobilisation.
« C’est Arreh Souleiman Alouad, je suis à la prison de Gabilay, et je ne sais pas pourquoi je suis en détention ni le motif qui a pu justifier cette arrestation. Voilà, sachez-le, je suis en prison dans le pays de mes oncles maternels. Il ne faut pas que je sois extradé comme Qalbi-Dhagax ».
Le lien avec la situation d’Abdoulkarim Sheikh Muse (Qalbi-Dhagax, cœur de pierre), important responsable de l’Ogaden National Liberation Front (ONLF), est très intelligent si il souhaite fédérer pour la défense de sa cause – arrêté à Mogadiscio, Qalbi-Dhagax a été ensuite extradé vers l’Éthiopie et livré aux services secrets éthiopiens. Arreh Souleiman joue sur la fibre somalienne pour mobiliser. Les services éthiopiens n’avaient pas lésiné sur les moyens pour obtenir de Qalbi-Dhagax des informations essentielles à la lutte contre son organisation comme l’emplacement de caches d’armes ou l’identité des soutiens financiers, humains, et logistiques du front armé… En mettant la main sur Abdoulkarin Sheikh Muse, le gouvernement éthiopien avait frappé très fort. La prise était de choix ! L’organisation en est ressortie ébranlée et sa capacité de nuisance a été nettement réduite. Dans le même temps, le gouvernement éthiopien n’avait eu de cesse d’agir de manière préventive, notamment à l’extérieur de ses frontières en Somalie, dans le cadre de l’opération de l’Union africaine Amisom. L’objectif de l’Éthiopie était d’établir une zone tampon – avec l’aide des milices somaliennes à sa solde – à sa frontière avec ce pays de la Corne afin de limiter les actions des shebbabs mais également de couper l’ONF de sa base arrière et de ses soutiens.
Arreh Souleiman Aouled ne veut pas que la trahison de Qalbi-Dhagax par l’ex-président de Somalie, Mohamed Abdullahi Mohamed dit Farmajo, se répète avec lui alors qu’il est réfugié dans le pays de sa famille maternelle. Il s’insurge contre la volonté affichée de Djibouti de vouloir étendre la censure au-delà de ses frontières. Il se considère comme un défenseur de la démocratie et de la liberté d’expression en apportant un regard grinçant et percutant sur l’actualité djiboutienne. Tout le monde en prend pour son grade. Son succès il le doit au lot de plaisanteries plus ou moins appropriées qui accompagnent ses sketchs, ses multiples mimiques, son franc-parler. Mais plus encore, sa marque de fabrique est son rire contagieux qui a fini par charmer à Djibouti et partout où les locuteurs somalis sont présents. Son sourire est communicatif !
On peut imaginer que le gouvernement somalilandais est fort embarrassé par cette procédure, bien que le parquet l’ait finalement engagée. Elle ne signifie pas que le célèbre comique et sympathique agitateur soit coupable, ni que les limites de la liberté d’expression en vigueur au Somaliland aient été atteintes. Affaire à suivre donc !
Mahdi A.
Ajout du 28 juillet 2022
Selon une information de la BBC en langue somalie, le tribunal de Gabilay a déclaré ce matin Arreh Souleiman Aouled non coupable d’offense au chef de l’État djiboutien et ordonné la relaxe du prévenu. Il a passé deux mois et neuf jours en détention.
[3] Christophe Rigaud, « Djibouti : la détention de Fouad Youssouf ravive la contestation politique », Mediapart, 9 juin 2020.
[4] Ancien président de la région Somalie en Éthiopie.
[5] « On connaissait l’existence des prisons d’Ogaden, vous en avez fait des prisons Issas. »