Il s’agissait avant tout d’afficher l’unité autour du candidat investi, Ismaïl Omar Guelleh, mais plus encore d’adresser un message à la communauté internationale pour expliquer les raisons qui ont conduit le président à revenir sur sa parole en se portant à nouveau candidat. C’est ainsi que, devant pas loin de dix mille militants de l’UMP venus de tout le pays, qui ont pris d’assaut le club hippique, et une nuée de camera de la RTD, et dans un décor à couper le souffle, le candidat à la présidentielle a déroulé un discours en deux séquences. Durant la première, en français, il s’est efforcé de justifier sa décision de rempiler pour un quatrième mandat. Durant la seconde partie, improvisée en langue somali, il a insisté sur la nécessité de dépasser les clivages claniques ; il s’est présenté comme le père de la nation et donc le garant de la concorde sociale et de la stabilité du pays. Enfin, il a mis en garde les Djiboutiens contre la tentation de donner le pouvoir à ceux qui veulent détruire l’économie et la stabilité du pays. Il a voulu se positionner comme le candidat de l’espoir, du développement, de l’action, de la concorde, et garant de la paix sociale.
Labayka Ismaïlhumma Labayk…
D’emblée un couac a perturbé la réunion, lorsque Abdi Maalin, avant la prise de parole des orateurs, a entonné un chant au cours de son salut islamique : « Labayka Ismaïlhumma Labayk… », en lieu et place de « Labayka Allahhumma Labayk, Labayka la Charika Laka Labayk, Ina Al-Hamda, Wa Ni’Mata, Laka Walmoulk, La Charika Lak », qui en d’autre terme veut dire : « Je réponds à Ton appel ô Allah ! Je réponds à Ton appel. Tu n’as point d’associé. La Louange et Le Bienfait t’appartiennent ; ainsi que la Loyauté, Tu n’as point d’associé ». Cette tirade est utilisée par les croyants lorsqu’ils sont à Medine et vont à la rencontre de Dieu… Certains participants ont du avoir la chair de poule à l’écoute de ces propos blasphématoires ! On se demande si le chef de l’Etat est conscient qu’en laissant dire de telles tartuferies il porte un rude coup à son image ?
Certains spectateurs ont même repris en chœur à la suite de Abdi Maalin la tirade « Labayk Ismaïlhumma Labayk… » !
Tour à tour, les présidents des partis de la coalition se sont exprimés pour faire d’IOG leur candidat
Les premiers orateurs – Ali Mohamed Daoud, Abdourahman Mohamed Allaleh, Ibrahim Chehem Daoud et Hasna Moumin Bahdon, chefs de file respectifs du FRUD, du PND, de l’UPR et du PSD - ont présenté un bilan positif des trois précédents mandats d’IOG, mettant en avant des progrès accomplis en matière économique, sociale, des droits des femmes… Ils souhaitent qu’IOG poursuive son travail au service de la nation afin de rendre irréversible les transformations engagées. Les dirigeants ont expliqué qu’une alternance conduirait Djibouti sur la voie de la régression, de l’instabilité chronique et porterait un coup d’arrêt aux réformes engagées. Enfin, ils ont insisté sur le fait que le président IOG a transformé Djibouti en un vaste chantier, initiant de nombreux projets de développement : infrastructures portuaires, énergies renouvelables, assainissement et réhabilitation urbaines…
Ilyas Moussa Dawaleh, ministre de l’économie mais également secrétaire général du RPP, a ensuite pris le micro. Il s’est révélé un tribun de qualité dans un discours entièrement improvisé. Il a enflammé l’auditoire en défendant le bilan d’IOG, « sur lequel il n’était pas besoin de revenir, nos yeux suffisent ». Tout en mettant en évidence les progrès réalisés et le bilan positif de l’action du chef de l’État, il a rappelé que tout n’avait pas été fait et réalisé, que beaucoup restait à faire, même si les choses avancent et progressent, et qu’il n’était pas question de s’arrêter en si bon chemin. Des efforts restent nécessaires essentiellement sur le plan social, surtout dans le secteur de l’emploi, de la redistribution des richesses et du logement, a-t-il affirmé. Il a assuré que le président Guelleh s’y attèlerait s’il était réélu. Il a terminé son intervention en paraphrasant la célèbre citation de feu l’ancien ministre, Ahmed Boulaleh : « même s’il ne fait pas de doute que nous allons gagner ; n’empêche nous nous engagerons pleinement en votre faveur pour vous faire réélire ».
L’intervention du Premier ministre, une diatribe contre l’opposition
Le Premier ministre a parfaitement joué sa partition dans le rôle du Père fouettard. Abdoulkader Kamil Mohamed a vivement critiqué l’opposition, notamment accusée d’ourdir un complot contre le peuple de Djibouti : « une partie des membres de l’opposition, dont les motivations et les propos sont imbibés de poison, souhaitent satisfaire leur ambition démesurée en instaurant le chaos », a-t-il déclaré. Et d’ajouter que « les membres les plus extrémistes de l’USN, ne cessent d’entraîner leur parti vers les milieux prônant la violence insurrectionnelle islamiste. Cette tendance est évidemment nuisible pour le dialogue et contraire au statut légal d’opposition politique démocratique. […] Ces agissements tendent à conduire leurs militants à entrer en état de guerre avec les pouvoirs publics », a-t-il ajouté !
Concernant les évènements malheureux de Buldhuquo, il semblerait que le Premier ministre en impute la responsabilité à l’opposition. Pourtant en l’état de l’avancée de l’enquête la seule chose que l’on sait avec certitude, c’est qu’on ne sait pas grand chose avec certitude. On ne connaît toujours pas le détail du déroulé de cette tragédie. Il faudrait maintenant des réponses claires, une enquête judiciaire indépendante et une commission d’enquête parlementaire bipartisane libre de ses investigations, pour faire toute la lumière sur cette affaire.
« Plus récemment les événements de Buldhuquo témoignent de la mauvaise volonté de l’opposition à dialoguer, car quelques jours avant ces macabres faits, une rencontre des plus insolites a eu lieu entre Abdourahman Borreh, Abdourahman Bachir et Mohamed Kadamy à Paris », a fait valoir Abdoulkader Mohamed Kamil.
Concernant la question des chancelleries on notera le recul du gouvernement sur le fait que l’opposition devait cesser de se rendre dans les chancelleries présentes en République de Djibouti pour discuter de questions nationales : « Durant les négociations avec l’USN, elle a demandé de créer un statut de l’opposition adopté par une loi organique, qui permette de se rendre dans les chancelleries étrangères accréditées à Djibouti. Sur ce point, qui témoigne de leur dépendance vis-à-vis de l’étranger, au détriment du peuple djiboutien, dénigrant de ce fait sa souveraineté, nous avons répondu qu’il n’est pas du ressort du gouvernement d’interdire ou d’autoriser l’accès aux chancelleries extérieures ».
Enfin le Premier ministre a déploré que l’opposition veuille faire croire qu’il y a des problèmes. Il a également défendu le bilan du gouvernement et a présenté le candidat de l’UMP comme celui qui répond le mieux aux aspirations du peuple alors que ses adversaires ne chercheraient qu’à détruire le pays. Il a précisé que « les élections seront donc organisées sous l’égide du ministère de l’Intérieur ». Le gouvernement semble ainsi avoir mis un terme aux discussions engagées avec l’opposition à la suite de l’accord du 30 décembre 2014, qui concernaient notamment l’organisation des élections.
Oui ! J’étais sincère, honnête et intègre lorsque je pensais me retirer
Les militants n’ont pas fait dans la dentelle pour acclamer IOG et lui traduire leur soutien. Il a été ovationné en se rendant à la tribune.
Avec des propos qui se voulaient au dessus de la mêlée et pleins d’espoir - mais tout de même en dessous du discours prononcé lors du congrès du Frud au Palais du peuple qui restera probablement dans les mémoires comme l’un de ses meilleurs - le candidat investi par l’UMP, Ismaïl Omar Guelleh, a dès le départ, eu besoin de se justifier, d’expliquer les raisons pour lesquelles il a accepté de se représenter au suffrage universel. Il a présenté sa candidature comme un devoir qui lui incombait, comme si cette candidature finalement n’était pas la sienne, mais celle du peuple qui le réclame à cor et à cri pour tenir encore les rênes du pays et ce malgré son souhait premier de se retirer, de prendre une retraite mérité. Mais c’est plus fort que lui, il a l’âme d’un patriote qui ne pouvait faire autrement que de répondre à l’appel au secours de sa nation.
« Oui ! J’étais sincère, honnête et intègre lorsque je pensais me retirer ! Oui ! Comme tout le monde, je pensais que pour moi aussi devait sonner l’heure de la retraite et du repos, après toutes ces années consacrées au développement de mon pays. Mes chers amis, si j’ai changé d’avis, ne croyez pas que je sois pour autant moins sincère et moins vrai ! Ne croyez pas que j’accepte d’être ce soir investi par vous comme votre candidat en allant à l’encontre de moi-même et de ce que je pense ! Si j’ai changé d’avis, chers amis, c’est tout simplement parce que vous m’avez fait changer d’avis ! C’est important pour moi de signaler cette vérité dans un moment si crucial où vous m’accordez, à nouveau, votre confiance. C’est important pour moi de vous confier cette sincérité, car je la dois à vous tous, autant qu’à moi-même. Car c’est ça la noblesse de la politique, c’est assumer la vérité et refuser l’imposture », a-t-il déclaré.
Et d’ajouter « Mes chers amis, chers militants, oui, j’ai changé d’avis car vous m’avez fait comprendre que ce qui était en jeu, ce n’était pas ma personne. Vous m’avez fait comprendre que ce qui était en question, ce n’était pas ma sincérité. Vous m’avez fait comprendre que l’enjeu c’était notre pays, notre avenir, et que cela dépassait largement le cadre de ma personne ! ».
Il justifie ainsi sa candidature comme une réponse à la grande marche du 1er novembre, afin de sauver la patrie, et en profite pour rappeler ses faits d’armes, ses combats passés, notamment la paix d’Aba’a. « Mes chers amis, vous le savez, Je suis un patriote dans l’âme ! Je ne me dérobe jamais, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain devant l’appel de la patrie ! […] La victoire que nous avons remportée nous a permis d’asseoir la paix et la stabilité dans notre pays. Je remercie notre partenaire historique le FRUD. Le courage politique de ce grand parti, de ses dirigeants et de ses militants mérite d’être salué ».
Concernant le volet économique, le candidat a joué sur la nécessité de la continuité du travail entamé, des réalisations et des avancées économiques. Il a dit que le pays avait pris le bon chemin sous sa présidence et qu’il fallait continuer sur cette lancée, que les nombreuses améliorations apportées ces dernières années ne devaient pas être gâchées : « Chers amis, chers concitoyens, depuis que j’ai pris les rênes pour diriger notre belle nation, beaucoup de réalisations ont vu le jour. Beaucoup de progrès ont été enregistrés. »
Tout en déclarant que le temps du bilan, de l’aggiornamento, n’était pas encore à l’ordre du jour : « Naturellement, on fera le bilan le moment venu, en toute impartialité et en toute objectivité, avec un esprit critique et un sens des responsabilités. Mais d’ores et déjà, vous savez que nous avons des acquis et que nous avons avancé sur le long chemin du développement. Les sillons que nous avons tracés dans nos économies portent déjà les germes de lendemains fructueux ».
La question chinoise
Sur le thème de la politique étrangère, le candidat IOG a lancé une attaque musclée contre l’opposition, accusée d’être au service d’intérêts étrangers : « Ceux qui parlent affaiblissent la République. Ils rêvent de voir s’établir une République empêchée, une République entravée, une République divisée et insécurisée, son potentiel gaspillé, sa foi en elle vaciller », a-t-il expliqué.
Il faut noter cette nouveauté dans une campagne électorale à Djibouti : les relations extérieures deviennent pour la première fois un enjeu crucial dans le scrutin. C’est ainsi que le président annonce sa volonté de poursuivre une politique d’ouverture à tous les investisseurs, d’où qu’ils viennent. Il confirme l’ouverture d’une base chinoise à Doraleh, le renforcement des relations avec la Chine et d’autres puissances économiques étrangères contre vents et marées, car ce qui prime avant tout est l’intérêt suprême de la nation. Il se présente comme le défenseur de la souveraineté nationale, celui qui ne galvaudera jamais les intérêts de la nation au profit des étrangers. Il estime probablement avoir fait suffisamment de concessions aux autres forces militaires installées sur le territoire national, qui voient d’un mauvais œil l’arrivée des Chinois sur le territoire djiboutien, notamment en les contenant sur un quai du futur port de Doraleh et en leur refusant la construction d’une base aérienne à Obock. Le président, d’une certaine manière, veut aussi stigmatiser l’opposition, présentée comme manipulée par des intérêts étrangers, notamment son rejet des capitaux chinois qui lui ôterait toute crédibilité. Il estime que tous les partis politiques auraient du serrer les rangs sur cette question qui est de l’intérêt suprême de l’État : la venue de troupes chinoises à Djibouti et les investissements importants consentis par la Chine dans notre pays. Il laisse entendre qu’il est ou a été soumis à de fortes pressions pour revenir sur certaines décisions. C’est la raison pour laquelle il estime que l’arrivée au pouvoir de l’opposition ruinerait la stratégie du développement accrochée à la locomotive éthiopienne, et scellerait la fin du partenariat économique avec la Chine qui a pourtant prouvé son efficacité avec les bons résultats économiques de ces dernières années. Il faut rappeler que l’opposition considère que malgré les chiffres de la croissance et les constructions d’infrastructures, l’impact sur l’économie réelle reste très faible ; elle constate que la dette a explosé, que le pays vit à crédit et estime que ces prêts chinois non concessionnels sont un danger pour l’avenir du pays.
« Ceux qui parlent n’aiment pas la République tandis que ceux qui agissent font la République […]. Ce n’est pas en trahissant la République qu’on relève la nation. Au contraire ».
Il n’y a qu’une tribu à Djibouti : les Djiboutiens
Le président a appelé le peuple à faire le choix de la nation, de la raison, et à ignorer les tactiques politiciennes parce que la victoire de l’opposition ne renforcerait ni Djibouti, ni la concorde nationale. Et d’ajouter que le clanisme et le tribalisme, prônés par l’opposition, étaient des maux incompatibles avec les notions de nation et de patrie. C’est pourquoi il a demandé au peuple de ne pas être tenté par des expériences folles, mais de choisir la voie de la sagesse et de la paix car la victoire de l’opposition aux prochaines présidentielles constituerait une menace pour la sécurité du pays. Par ailleurs dans un autre registre, sans doute l’un des plus beaux moments de son discours, il a annoncé que des petites mains étaient à l’oeuvre pour apaiser les tensions sociales, les douleurs, les colères nées des événement malheureux du 21 décembre 2015 à Buldhuquo, et que dorénavant s’ouvrait le temps du règlement des problèmes. Il a indiqué enfin qu’il soutiendrait et accompagnerait du mieux possible les décisions sorties « du verdict de l’arbre »…
« Ce message nous demande de ne pas céder aux tentations des replis faussement identitaires qui voudraient opposer des Djiboutiens à des Djiboutiens. Ce message nous demande de ne pas nous diviser sur des clivages complètement stériles. Dans ce message vous me demandez de continuer le seul combat qui vaille, celui pour lequel vous me légitimez à nouveau ce soir : le combat du développement économique et social de notre nation ».
L’intervention d’IOG a été qualifiée de sans-faute par les nombreux observateurs. Il a su trouver le bon ton et les bons mots. D’ailleurs toute l’arène scandait « IOG » durant l’intervention du président, l’obligeant parfois à s’interrompre. Pour autant a-t-il su convaincre les Djiboutiens ? Le chef de l’État n’a pas dévoilé quels projets concrets il comptait mettre en place lors de ce quatrième mandat.
Le fil conducteur de son intervention a été la question du choix à faire : l’avenir contre la destruction de l’unité de la patrie. Le peuple a-t-il été séduit ? Ce qui est clair c’est que les défis sont criants. La fracture sociale et les inégalités sautent aux yeux : beaucoup d’habitants sont laissés au bord de la route. Cette situation fait craindre à l’UMP qu’une frange de la population puisse être de plus en plus attirée par le discours de l’opposition et des islamistes. Ces derniers semblent apparaître aux yeux de nombreux déshérités comme une alternance crédible et constitueraient d’ailleurs, s’ils n’avaient été interdits dans la sphère politique, sans doute la force politique la plus redoutable.
Le président « réélu » saura t-il engager le pays sur la voie d’un véritable renforcement des libertés politiques et syndicales, rétablir les relations avec Dubaï, assurer une meilleure répartition des richesses, désenclaver les régions de l’intérieur, lutter contre la corruption qui gangrène tous les niveaux de l’administration, faire descendre la courbe du chômage…
Mahdi A.
Photos : Hani Khiyari.