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Le franc Djibouti et la zone dollar
par Ahmed Osman, décembre 2023 (Human Village 49).
 

Ahmed Osman, gouverneur de la Banque centrale djiboutienne, réagit à un article de « Jeune Afrique » [1] repris dans « La Nation » [2] à propos du régime monétaire en vigueur à Djibouti. Il tente d’apporter des clarifications et de préciser la position officielle concernant l’évolution et l’avenir du régime monétaire djiboutien.

Ahmed Osman

Djibouti n’envisage pas de mettre fin au rattachement de sa monnaie, le franc Djibouti, au dollar des États-Unis. Il est connu de tous que la République de Djibouti est dotée d’un système monétaire particulier appelé Currency Board (Caisse d’émission en français) à travers lequel, la monnaie nationale (le franc Djibouti) est liée au dollar américain à travers une parité fixe. Ce système mis en place en 1949, à l’époque de la colonisation française, est un héritage appréciable et assumé par la République de Djibouti qui l’a maintenu depuis son accession à l’indépendance en 1977 jusqu’à aujourd’hui. Ce qui fait du Currency Board à la plus grande longévité et stabilité dans le monde.
Le principe de fonctionnement de ce système monétaire basé sur la couverture totale de la monnaie fiduciaire par une quantité équivalente de devises US est au demeurant relativement simple. Autrement dit, chaque franc Djibouti émis par la Banque centrale doit être couvert par sa contre-valeur en dollar US avec des dépôts auprès des correspondants bancaires internationaux. Ces dépôts sont alimentés par les avoirs extérieurs du pays qui constituent autant de réserves pour garantir une émission monétaire proportionnée aux besoins de l’économie nationale et de son évolution.
Partant de ce principe et de la parité fixe avec le dollar US, le franc Djibouti est convertible à vue sans restrictions ni justifications. Le cours du franc Djibouti vis-à-vis des autres monnaies est déterminé librement sur les marchés selon la loi de l’offre et de la demande par corrélation directe avec la valeur du dollar US. La solidité de ce système simple et efficace est prouvée par sa parfaite résistance aux crises monétaires et financières, notamment celles de 1971, 1973 et 1987. Les perturbations des marchés sont restées sans effet sur sa définition internationale. S’appuyant sur sa contre-valeur en or fin fixée à sa création, le Franc Djibouti (FDJ) a été réévalué à deux reprises par rapport au dollar US.
D’abord en 1971, où sa parité avec le dollar US a été amenée de 214,392 FDJ à 197,466 FDJ pour un dollar US. Puis en 1973, où la parité est descendue à 177,721 FDJ pour un dollar US, et n’a plus variée depuis.
La pertinence de ce système fin et robuste, couplée aux modalités de fonctionnement qui le caractérisent, ont très tôt guidé le choix de Djibouti pour son adoption et son maintien depuis lors, conférant au pays une stabilité et une crédibilité sur le plan économique et monétaire.
Le système du Currency Board impose certaines mesures contraignantes qui présentent des avantages, mais aussi des inconvénients dans la conduite des affaires économiques, monétaires et financières. Il s’agit principalement de :
 l’interdiction du financement monétaire des déficits publics dictée par le système qui impose au gouvernement une certaine discipline budgétaire ;
 le non-refinancement des banques impose en amont une supervision bancaire efficace ;
 la stabilité du système apporte une visibilité aux opérateurs économiques et permet d’ancrer leurs anticipations inflationnistes. L’inflation à Djibouti est structurellement basse, comprise entre 2 et 3 % ;
 la garantie de la couverture en devises fortes facilite les liens économiques avec l’extérieur ;
 l’absence de politique monétaire discrétionnaire n’est pas un frein à l’avancée économique. L’important dans ce système est de veiller à la gestion rigoureuse des avoirs de réserve.

Ce système monétaire, malgré quelques détracteurs, est universellement reconnu pour mener à la crédibilité et à la discipline. Il est aussi efficace pour une petite économie ouverte qui exporte peu et importe tout, en préservant le pouvoir d’achat de la population sans affecter l’équilibre extérieur.
Les vertus du Currency Board couplées aux aspirations libérales du pays (liberté totale de mouvement des capitaux sans restrictions de change, un cadre fiscal incitatif, etc.) ont permis de bâtir un secteur bancaire diversifié et robuste. Les importantes réformes menées à cette fin sur plusieurs années, et les divers chantiers de modernisation des infrastructures financières nationales, ont profondément transformé le paysage bancaire djiboutien. Ainsi, confiants en la place de Djibouti, les opérateurs économiques de la sous-région viennent y domicilier leurs transactions et leurs avoirs. L’environnement des affaires, sans cesse amélioré, et la stabilité du système monétaire, ont permis d’asseoir la réputation et la crédibilité du modèle économique djiboutien auprès de la communauté d’affaires et des investisseurs internationaux. C’est ainsi que les investissements massifs, en constante progression, dans les secteurs stratégiques, portent la croissance forte et durable que connait le pays.

Et, dans ce contexte de croissance forte, la Banque centrale assure pleinement sa mission régalienne en fournissant la monnaie fiduciaire nécessaire aux échanges, adossée à des réserves extérieures largement suffisantes et en phase avec les équilibres macroéconomiques. La longévité et la stabilité du modèle monétaire djiboutien contraste quelque peu avec la fragilité et l’instabilité monétaire qui prévaut dans la sous-région et dans plusieurs pays en développement et/ou émergents, dans un contexte international marqué par divers chocs successifs impactant l’économie mondiale.
Ainsi, l’expérience de Djibouti, aussi modeste soit-elle, peut être un modèle pour aider ces pays en proie aux crises récurrentes à sortir de l’instabilité et asseoir leurs économies sous un cadre structurant.

Dans le cadre des programmes d’intégration régionale en cours en Afrique et dans la sous-région, auxquels Djibouti est partie prenante (ABCA, COMESA [3]), force est de constater que nous figurons parmi les quelques rares pays à respecter la plupart des critères de convergence macroéconomique communément établis. C’est dire combien notre modèle économique et monétaire est pertinent et relativement performant. Notre système monétaire a fait la preuve de sa solidité et de sa stabilité tout en portant la croissance et le développement économique de notre pays. Il n’y a pas lieu de changer une solution qui marche.
Certes, les défis et les besoins vont en grandissant dans une économie en profonde mutation comme Djibouti, mais nous ne comptons pas abandonner ce cadre monétaire qui nous a si bien servi.
Les réformes continueront pour renforcer et améliorer notre système au regard de l’évolution technologique, avec la digitalisation et les monnaies électroniques en développement dans le monde.

Ahmed Osman, gouverneur de la Banque centrale djiboutienne

Ce texte a été publié dans La Nation, n° 239, 7-8/12/2023, page 4.


[1Olivier Caslin, « Le dollar, un héritage remis en question à Djibouti », Jeune Afrique, n° 3130, novembre 2023.

[2La Nation, n° 232, 28 novembre 2023.

[3Association des Banques Centrales Africaines (ABCA), Common Market for Eastern and Soudans Africa (COMESA).

 
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