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La construction du Red Sea Hotel en cale sèche
par Mahdi A., juillet 2020 (Human Village 39).
 

Un tweet est à l’origine de cet article… Un promoteur compare un chantier djiboutien avec celui lancé par Antonio Gaudi en 1882, il y a 138 ans, toujours en cours et dont la fin est prévue en 2026. La date retenue est symbolique, elle correspond aux commémorations du centenaire de la mort de l’artiste. Vous l’aurez compris, il s’agit de La Sagrada Familia. Subjugué par la beauté et l’esthétisme de l’œuvre lors d’une visite dans la capitale catalane, la comparaison osée n’a pas manqué de me faire sourire. Contacté, l’auteur du tweet, Ahmed Aden Bouh, accepte volontiers de faire visiter son chantier à Haramous, et nous livre quelques bribes de ce qu’il considère comme l’œuvre de sa vie.

Ce n’est pas rien de dire que le chantier du Red Sea Hôtel est un chemin de croix
L’idée a germé après l’acquisition d’une surface de 5000 mètres carrés dans le très cossus quartier d’Haramous. Il dit avoir éprouvé un bonheur incroyable à entreprendre toutes les étapes de cette ambition hotellière, la conception, le montage financier, mais aussi les plus petit détails comme le choix des couleurs des tentures, etc. Il en parle avec passion. Pour lui c’est tout un autre monde. Il gagne sa vie dans le trading de marchandises à destination essentiellement de grossistes éthiopiens, et dirige aussi une société de transit. « C’est complètement différent, de ce que j’ai l’habitude de faire, puisque je ne fais qu’acheminer de la marchandise. Rien de concret. Là il s’agit de créer un patrimoine hôtelier car j’ambitionne de le léguer à mes enfants ».

L’ambition est très élevée. Le coût aussi. La localisation présente bien des avantages, le calme régnant du quartier, loin du brouhaha du centre-ville, la proximité avec l’aéroport, les représentations diplomatiques et le futur siège de l’IGAD et des infrastructures militaires. Ahmed souhaite mobiliser 10 millions de dollars pour donner naissance à un hôtel de luxe 4 étoiles de 126 chambres, dont des suites, piscines, restaurants, casino, bar, café, parking de 200 places... Les travaux ont démarré en 2014 sur ses deniers personnels et il parvient avec peine à mobiliser un concours bancaire de 100 millions de nos francs. La construction s’interrompt deux ans durant en 2016 faute de parvenir à convaincre d’autres institutions bancaires de le suivre dans son entreprise. Il dit avoir mis jusqu’à sa chemise pour aller le plus loin possible dans l’aboutissement de son projet. Il explique que les banques sont frileuses dans notre pays ; que le système financier empêche que l’épargne aille là où l’on en a un besoin. Les banques ne seraient pas suffisamment encouragées à soutenir l’investissement, ce qui expliquerait selon lui que les prêts dans le secteur de l’immobilier ne sont pas très importants. La reprise du chantier en juin 2018 serait due à une intervention du gouvernement qui aurait intercédé auprès d’un établissement bancaire – CAC banque - pour lui permettre de mener à bout son projet. Son besoin était alors de 4.6 millions de dollars. La CAC consentit uniquement à prêter la moitié de la somme demandée, soit 2,4 USD.

« Au-delà de six ans de durée on ne trouve personne pour prêter. La peur du risque pousse les taux à des niveaux sidérants. Après d’âpres négociations, j’ai obtenu 8%, avec une année de grâce pour les remboursements, dont les premières tranches doivent débuter à compter du 1er juillet. En acceptant le prêt de la CAC j’étais conscient que les comptes n’étaient pas bons puisque le montant accordé n’était pas celui demandé. Après deux années d’arrêt du chantier, j’étais quand même assez heureux de la bouffée d’oxygène et de la reprise des travaux. Je me suis persuadé que l’avancé des travaux et la qualité de la finition de l’ouvrage finiraient par lever les réticences et les craintes de la banque. Le directeur de la CAC, Ahmed Hameed Aldeib, a visité le chantier une fois avant de m’accorder le prêt. Aujourd’hui, mes multiples relances mails, téléphoniques, ou demandes de rendez-vous auprès de son secrétariat restent sans réponses. Ma requête est simple : qu’un responsable de la CAC vienne constater de visu établir un état des lieux, un audit pour évaluer l’état de l’avance des travaux et chiffrer les sommes engagées ».
Ce silence estime-t-il n’est pas rassurant, tout laisse à penser que le directeur de la CAC Ahmed Hameed Aldeib n’ait pas l’intention d’accorder une rallonge de 1,5 millions de dollars américain. Pourtant le planning prévisionnel est de clore la dernière phase et amener le projet au stade de la commercialisation dans les trois mois. Les travaux seraient aboutis à 90%.

On pourrait croire le promoteur terrassé devant le défi à relever, il n’en est rien. Il est confiant. L’accord de gestion conclu avec une chaine hôtelière américaine, Best Western, doit contribuer à lui apporter du baume au cœur. Ahmed Aden Bouh souhaite alerter les pouvoirs publics sur sa situation et l’état d’avancement de son projet. Il veut éviter un naufrage et d’être contraint de céder son projet à un concurrent, à l’instar de la proposition faite récemment par un opérateur très connu du secteur – comme quoi le malheur des uns fait le bonheur des autres. Effectivement, il a de quoi s’inquiéter. À travers Human Village il tente d’obtenir une bouée de sauvetage du gouvernement. Il faut lui reconnaitre un mérite : il investit l’argent gagné à Djibouti, à Djibouti. Ils ne sont pas très nombreux à faire comme lui, beaucoup préfèrent mettre leurs gains ailleurs. Pourquoi d’ailleurs font-ils plutôt ce choix ? Ce promoteur mériterait que son projet soit étudié plus attentivement et, qui sait, son succès pourrait faire des émules…

Arrêtons-nous quelques minutes sur le secteur bancaire local. Le rapport annuel 2017 de la banque centrale est riche en enseignements. Il paraît corroborer les propos d’Ahmed Aden Bouh. Pourquoi les banques s’aventureraient-elles sur l’immobilier lorsqu’elles peuvent investir leur liquidité à l’étranger sur des investissements rémunérateurs comportant de moindres risques ? On comprend mieux que l’immobilier n’ait été soutenu que pour à peine à plus de deux milliards de nos francs en 2017. Une goutte d’eau, pas très éloignée du montant global du projet hôtelier Ahmed Aden Bouh. Pourtant, depuis, l’adoption par le Parlement d’un amendement inspirée du système bancaire anglo-saxon, afin de rendre la libération des hypothèques plus aisées, les banques devaient en retour s’engager à mieux appuyer le secteur de l’immobilier, entre autres en réduisant les taux. Qu’en est-il de ces belles promesses ? Pourquoi une telle inertie de leur part alors que les conditions sont dorénavant réunies pour les protéger en cas de défaillance ? Interrogé dans nos colonnes en 2016 à ce propos, le ministre de l’Économie et des finances, Ilyas Moussa Dawaleh, déclarait « un amendement […] a été apporté à un article de la loi régissant les hypothèques. J’ai déjà évoqué l’amélioration du climat des affaires, ce texte est essentiel pour la promotion des investissements et la création de richesses. Les banques de la place se plaignent de la lenteur de l’exécution des décisions de justice et de la difficulté à recouvrer les sommes prêtées à des emprunteurs insolvables ou indélicats. C’est donc une mesure de plus destinée à améliorer le climat des affaires. Par cet amendement, les banques pourront exécuter plus rapidement les décisions de justice et recouvrir ainsi les impayés, mais certains garde-fous sont prévus afin de parer à tout dérapage. Les banques pourront mettre en vente les biens mobiliers et immobiliers saisis sur hypothèque à travers une procédure très bien définie. Effectivement en contrepartie les banques se sont engagées à faciliter l’accès aux prêts mais également à réduire les taux d’intérêts pratiqués. Nous aurons le temps de faire un bilan sur cette mesure. La question du rôle des banques de la place sur l’économie et son développement se pose avec acuité et il va falloir s’y atteler de manière générale. Il ne s’agit pas seulement de la saisie des biens hypothéqués ou de l’exécution des décisions de justice, la véritable question de fond c’est la sécurité juridique en matière d’exécution des contrats. Les réformes vont donc se poursuivre dans ce sens pour instaurer une meilleure harmonie entre le climat des affaires et les besoins de financements des citoyens auprès des banques de la place ».
Il s’agissait de reformer ce secteur afin qu’il accompagne le développement du pays. Un constat s’impose : l’évolution attendue se fait toujours attendre. Pourquoi l’État régulateur n’interagit-il pas davantage pour règlementer et impulser la croissance ? Faut-il repenser le système de financement du secteur privé à Djibouti ? Est-il sain pour une économie que ces institutions bancaires constituent des surliquidités et encaissent des profits importants sur des placements financiers à l’étranger avec l’épargne locale plutôt que de financer l’économie nationale ? Le cas du Red Sea Hotel n’est qu’un parmi tant d’autres, l’absence d’un accompagnement à long terme – plus de six ans préférablement - est probablement l’un des principaux dysfonctionnements du secteur bancaire national.

« Les avoirs extérieurs nets des banques commerciales ont enregistré une croissance de 19,3%, après avoir augmenté de 9,6% en 2016. Les avoirs extérieurs bruts des banques commerciales, constitués principalement par les placements des banques auprès de leurs correspondants, ont atteint 253.283 millions FDJ en 2017, contre 211.489 millions FDJ en 2016, soit une accumulation en volume de 41.794 millions FDJ.
D’une année à l’autre, les engagements extérieurs des banques commerciales ont progressé de près de 22%, expliquée essentiellement par la hausse des dépôts à vue des non-résidents, qui passent de 10.608 millions FDJ en 2016 à 20.520 millions FDJ en 2017 » [1] ».

À Ahmed Aden Bouh, nous adressons tous nos vœux de réussite !

Mahdi A.


 
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