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Un mur entre la Somalie et le Kenya
par Mahdi A., décembre 2017 (Human Village 31).
 

Selon le journal somalien Hiiraan d’hier, 23 décembre, la population de la localité de Beld Hawo [1], située à quelques encablures de la ligne frontalière rectiligne séparant la Somalie du Kenya, aurait manifesté sa colère de voir reprendre les travaux de construction d’une séparation physique de près de 700 kilomètres entre les deux pays. Les habitants considèrent que la muraille en cours d’édification empiète sur les délimitations territoriales nationales somaliennes. Le journal rappelle que ces mêmes accusations avaient été proférées il y a près d’un an et qu’alors une commission d’enquête avait été diligentée par le gouvernement somalien afin d’évaluer si le tracé du mur débordait sur des emprises territoriales nationales. Elle avait conclu qu’il n’en était rien [2].
Comment expliquer cette nouvelle manifestation de la population contre ce mur de séparation ? Probablement la raison principale vient du fait que les habitants sont conscients que leur liberté de mouvements sera limités dans un avenir proche. Les nomades des deux côtés de la frontière entretiennent des liens familiaux et sont très proches par l’histoire, les pratiques, la langue, la religion et les échanges commerciaux. Accompagnés de leur bétail ils ont l’habitude de traverser ces territoires pour emmener pâturer le cheptel selon l’état des pâturages. Ils perçoivent ces terres frontalières comme des possessions communautaires plus qu’étatiques. Les Somalis des deux côtés de la frontière ne peuvent comprendre d’être divisés.

Un mur de séparation… pour quoi faire ?

22 novembre 2014 : les forces de sécurité kenyanes sur le lieu d’une attaque menée par les shebabs somaliens. Photo AFP / Stringer

Les travaux de construction d’un mur sur la frontière entre la Somalie et le Kenya ont été annoncés quinze jours à peine après l’effroyable attentat de l’université de Garissa, qui avait causé la mort de 152 personnes, dont 142 étudiants, 3 policiers, 3 militaires et 4 shebbas. Le gouvernement kenyan cherche ainsi à endiguer les attaques incessantes des shebbas tout en mettant en œuvre une mesure rassurante et populaire auprès de sa population. L’attaque du centre commercial Westgate en 2013 à Nairobi a fait 68 victimes. Cet acte criminel avait frappé les esprits et reste encore très vivace dans les mémoires. C’est la raison de cette décision kenyane extrêmement coûteuse, dont l’efficacité au regard des objectifs fixés n’est en rien assurée. Le gouvernement espère qu’un meilleur contrôle des points d’entrées du pays, mettra fin aux infiltrations de terroristes somaliens. Mais l’érection d’une muraille de près de 700 kilomètres sera-t-elle suffisante ?
Le mur de séparation est dénoncé par le gouvernement somalien. Il considère qu’il s’agit d’une « mauvaise idée ». Cette mesure serait inutile, et inefficace pour contrer les attaques des shebbas puisque « la plupart d’entre eux sont déjà au Kenya », déclarait en 2015 le ministre somalien de la sécurité, Abdirizak Mohamed Omar [3].

Le camp de réfugiée de Dabaad

Au delà de se prémunir des shebbas, il est envisageable que le gouvernement kenyan souhaite contenir le flux ininterrompu de réfugiés venant chercher protection sur son territoire, fuyant la désolation, la sécheresse et l’insécurité prégnantes dans la plus grande partie de la Somalie.
Questionné dans nos colonnes sur les défis du camp de réfugiée de Dabaad au Kenya, Antonio Guterres, alors haut-commissaire des Nations-unies aux réfugiés, nous déclarait « Je peux vous laisser imaginer : Dadaab est maintenant la cinquième ville du Kenya. Il y a 300 000 réfugiés à Dabaab. Chaque mois, il y en a entre 5000 et 8000 supplémentaires qui arrivent. Ce camp est situé au milieu d’une région semi désertique. A l’aune de ces indications, vous pouvez mieux appréhender la difficulté de gestion d’une crise humanitaire de cette dimension. La solution est de travailler, travailler et travailler sans relâche… Je n’en vois pas d’autre. C’est une négociation complexe et permanente avec les autorités et les populations locales, que nous menons pour augmenter l’espace, parce qu’il y a une concentration énorme dans quelques parties du camp. Et c’est faire un investissement énorme, notamment dans le domaine de la sécurité qui, naturellement, préoccupe de manière compréhensible le gouvernement du Kenya ».
Concernant les brimades et le sentiment de rejet que subissent les Somaliens, l’actuel secrétaire général des Nations-unies nous confiait son incompréhension : « Il y a toute une série de raisons, quelques fois difficiles à comprendre et à discerner, qui fait que les Somaliens sont, aujourd’hui, un des cas de population réfugiée globale. Il y a des Somaliens partout dans le monde, même si une grande majorité se trouve au Kenya, au Yémen, en Éthiopie ou encore à Djibouti. Il nous a été amené de constater que cette population réfugiée globale est victime de discriminations, de stigmatisations, bref d’une hostilité qui est regrettable et contre laquelle nous luttons de manière acharnée. Il faut tout faire pour que la xénophobie ne triomphe pas dans le monde. Aussi, je crois que ce n’est pas seulement le 11 septembre, mais un ensemble de questions qui exige une analyse et une réponse plus efficaces de notre part et de la part de la communauté internationale » [4].

Les différents gouvernements kenyans n’ont jamais caché leur volonté de fermer le camp de Dabaad. Il s’agissait estimaient-ils de mettre un coup d’arrêt à l’appel d’air qu’occasionnait ce camp du HCR. En dépits des efforts des organisations internationales, le gouvernement kenyan est resté ferme sur sa volonté concernant Dabaad.
Toutefois une décision de justice, à la suite d’une plainte déposée par deux activistes kenyans qui dénonçaient le retour forcé vers la Somalie des réfugiés des camps de Dabaad à l’encontre des conventions internationales dont le pays est pourtant signataire, permet d’empêcher la fermeture du camp, la décision du gouvernement kenyan étant déclarée « nulle et non avenue ».

« Pour le juge John Matuvo, rapatrier contre leur gré des réfugiés somaliens serait “un acte de persécution”, illégal, discriminatoire, disproportionné, non seulement anticonstitutionnel mais également contraire aux obligations internationales du Kenya. […] Amnesty International l’a même qualifié d’historique” [5], non seulement pour les 250 000 Somaliens concernés, mais aussi parce qu’elle souligne l’indépendance des tribunaux kényans » [6].
Cette décision de justice est d’autant plus salutaire qu’ « aucune solution de remplacement n’a été proposée par le kenya ni par la communauté internationale à la majorité de réfugiés ne souhaitant pas retourner en Somalie. Plusieurs personnes ayant parlé à Amnesty International ont évoqué non seulement l’insécurité mais également l’absence de services de base et la crainte des discriminations comme raisons pour lesquelles ils ne souhaitent pas rentrer » [7].

L’édification de ce mur vise-t-elle en fait à atteindre les objectifs contrariés de la fermeture du camp de Dabaad : mettre fin à l’arrivée de nouveaux réfugiés somaliens au Kenya ? Si l’on se rappelle les effets d’une tentative comparable de construction d’un mur anti-migrations autour de la ville de Djibouti dans les années 1960, on peut de toute façon être dubitatif sur l’efficacité d’une telle démarche.

Mahdi A.


[2[« Beled-Hawa residents protest… », op. cit.

[3« Somalie/Kenya : “une mauvaise idée” », BBC, 3 juin 2015.

[4« En aparté... Antonio Guterres », Human Village mars 2011.

 
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