Dimanche 20 mars, des centaines d’agents de l’État, du département ministériel du Budget, à l’exception des agents de l’Hôtel des impôts et des douanes, ont cessé le travail et se sont postés devant les fenêtres du bureau de leur ministre, au rez-de-chaussée d’un imposant édifice gouvernemental de la cité ministérielle. C’est la deuxième fois que les fonctionnaires manifestent leur mécontentement après le mouvement du lundi 14 mars qui était un avertissement avec un ultimatum fixant le paiement de leurs primes au jeudi 17 mars. Ils jugent sévèrement les économies de bouts de chandelles faites sur le dos des fonctionnaires. Ils ne protestent pas tant contre une réforme aux contours encore flous, que pour exprimer un malaise persistant. Ils veulent défendre leurs droits et dénoncer le manque de reconnaissance et l’absence de dialogue.
Que réclament les grévistes ?
Ils exigent le versement de leur prime semestrielle, qui intervient d’ordinaire courant janvier de chaque année pour le premier semestre. Ce paiement est d’autant plus attendu par ces fonctionnaires que le début du mois de ramadan arrive à grand pas, avec les importantes dépenses supplémentaires qu’il impose aux budgets familiaux des Djiboutiens, notamment dans l’alimentaire, l’habillement et les loisirs. Sans cette rentrée d’argent indispensable pour les fonctionnaires, en particulier pour ceux situés dans le bas de l’échelle de la grille de rémunération avec des revenus oscillants entre 45 000 et 80 000 de nos francs. Ils ne voient pas comment ils pourront faire face aux dépenses supplémentaires de ce mois de célébrations. Tous les agents ne sont pas relégués à la même enseigne, le pic salarial de ce département étant légèrement au-dessus de 800 000 FDj. C’est une explication supplémentaire à cette forte mobilisation des agents n’ayant qu’une faible rémunération. Faute de réaction de leurs responsables hiérarchiques, pour expliquer le retard et trouver les mots pour apaiser leur inquiétude, le personnel est allé interroger directement le ministre du Budget, Isman Ibrahim Robleh. D’autant que le bruit a couru que l’ordre de suspension de ces paiements serait une directive du ministre.
Interrogé sur cette situation inédite lors d’une conversation téléphonique en fin d’après-midi, quelques heures avant la mise en ligne de ce texte, le secrétaire général du ministère du Budget, Simon Mibrathu, a regretté qu’un média documentant les sujets traités en profondeur comme Human Village ne prenne pas de la hauteur sur l’important travail de réforme entrepris par l’actuel ministre, pour se focaliser sur un léger couac qui a été d’ailleurs réparé puisqu’au moment où nous échangions les versements seraient en cours de règlement. Concernant la médiation très remarquée du ministre du Travail, Omar Abdi Said, avec les agents du ministère du Budget, Simon Mibrathu a rappelé qu’il est l’employeur de tous les agents de l’État. Il n’y a donc rien d’anormal à cette intervention, rien qui sorte des textes ou des prérogatives de ce ministre. Rendez-vous a été pris avec le secrétaire général pour échanger avec Human Village sur les « Douze travaux d’Isman Ibrahim Robleh », que l’on pourrait résumer par l’application de mesures concrètes dans des circonstances exceptionnelles pour parvenir in fine à ce que le pays atteigne ses objectifs budgétaires 2022.
Un fonctionnaire du budget pose un regard plus distancié sur ces évènements récents : « C’est une première dans l’administration publique. Il y a eu des grèves des enseignants ou du personnel de santé dans le passé mais jamais de l’administration centrale. Je ne peux que le constater de ma petite expérience de vingt-cinq années de carrière. On a encore franchi un palier : quelle sera la prochaine étape ? »
Pour une première c’est une première effectivement. La tactique semble avoir été payante, pour les travailleurs qui se sentaient lésés, et dont les difficultés sont aggravées par une augmentation des prix des produits de base très importante ces derniers mois, notamment du carburant à la pompe. Sans compter que la position du ministre n’est pas sans risques. Une contagion de grèves dans la fonction publique pourrait porter un coup fatal à une économie aujourd’hui à la peine après la croissance à 7% de la décennie avant-Covid.
Se peut-il que le ministre, pressé en haut lieu dès sa prise de fonction début janvier de réduire les dépenses et de donner l’exemple en matière de modération, ait voulu afficher son engagement à la rigueur, en l’appliquant déjà à ses propres ouailles ? Il aurait alors pris le risque de perturber le fonctionnement de l’action gouvernementale. Il a aussi porté un coup aux entreprises, puisque les factures antérieures à la prise de fonction du ministre ne sont plus payées. Il en va de même pour de nombreux engagements de l’État : à l’exception des salaires et du service de la dette extérieure [1] toutes les dépenses sont proscrites, hormis aux comptes gouttes dans des situations explicitement autorisées et validées par le ministre en personne.
C’est pourquoi, certains estiment que c’est la position d’Omar Abdi Said qui a prévalu. Le ministre du Budget n’a eu d’autre choix que d’avaler son chapeau lorsque Ismail Omar Guelleh aurait ordonné hier le règlement des primes dans les meilleurs délais.
Cet épisode serait-il de nature à amener Ismaïl Omar Guelleh à reconsidérer son choix d’avoir confié à Isman Ibrahim Robleh, le portefeuille du Budget alors qu’il s’apprêterait, avant le début du ramadan, à remanier son gouvernement. À l’instar de son choix pour la mairie de Djibouti ou d’Omar Abdi Said pour intégrer le gouvernement en janvier dernier, le profil des nouveaux entrants portera son sceau, sélectionnés avec soin en dehors de toute autre influence, ce qui pourrait sonner le glas des gouvernements dits tiji, piwi et dormeur ?
Le risque de voir Isman Ibrahim Robleh sanctionné pour son zèle rigoriste et quitter le gouvernement parait tout de même bien faible. Charge au ministre de regagner la confiance de ses agents. Cela va passer par accorder une oreille plus attentive aux suggestions et avis de ses collaborateurs, prêter moins d’attention aux détails pour se concentrer sur le cap fixé par la feuille de route et les moyens de l’atteindre. Par exemple, s’occuper de la levée des goulots d’étranglements de l’économie. Par exemple les restrictions sur les importations de produits protégés, qui ont un impact faible sur l’emploi, pour une perte de recettes douanières considérable, ne serait-ce que pour le fer à béton et le ciment de l’ordre de 8 à 9 milliards de nos francs par an. À un moment donné, le bon sens doit l’emporter !
Mahdi A.
[1] Claude Fouquet,« Dette : la Chine va recevoir 14 milliards de dollars des pays les plus pauvres en 2022 », LesEchos, 21 mars 2022.