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Les commerçants de zones franches en colère contre une taxe de 1%
par Mahdi A., janvier 2022 (Human Village 44).
 

Jamais un projet de loi de finance n’a été autant partagé sur les réseaux sociaux. De quoi s’agit-il ? Histoire d’une taxe qui fait grincer les dents du secteur privé.

Depuis la promulgation, le 30 décembre 2021, de la loi initiale du budget de l’État pour l’exercice 2022 [1], la communauté des affaires est désemparée et a du mal à sortir de sa stupeur. Sans coup férir, l’État peut désormais taxer de 1% le chiffre d’affaires 2021 des 480 entreprises installées en zone franche. Il espère ainsi remonter des recettes fiscales qui ont fondu comme neige au soleil. Une baisse due en particulier à l’effet du Covid sur l’économie, et de la guerre civile en Éthiopie sur les activités de services.
Le gouvernement a, un peu dans l’urgence et face aux difficultés des comptes publics, décidé de créer ce nouvel impôt provisoire, qualifié de contribution exceptionnelle.
« Art 14 : une contribution exceptionnelle sera appliquée sur les résultats de 2021 des entreprises exonérées aux titres du Code des investissements ou installées dans la zone franche : le taux de cette contribution est de 1% sur les chiffres d’affaires ou de 10% sur les bénéfices selon les modalités définies par article 61 du CG1 ».

Bien qu’encore sous le choc de la nouvelle, les entreprises de la zone franche se sont mobilisées pour faire bloc et plaider leur cause mercredi 19 janvier auprès du président de l’Autorité des ports et zone franche, Aboubaker Omar Hadi, et jeudi 20 janvier auprès du ministre du Commerce, Mohamed Warsama Dirieh. Elles espèrent un rétropédalage du gouvernement face aux conséquences multiples, dont le risque de faillite de nombreuses sociétés. De plus, l’absence de visibilité et de transparence, sans compter le non-respect des textes signés, pourrait amener à délocaliser plusieurs entreprise dans des pays à la sécurité juridique mieux assurée.

Pour ces entrepreneurs, cette loi ouvre la voie à une véritable révolution fiscale de la zone franche, bien que le gouvernement prenne le soin de préciser que la contribution est exceptionnelle. Rien à faire, pour eux le mal est fait ! C’est un non-respect des engagements pris, alors que c’est sur la base de ceux-ci que certains ont pris la décision de déplacer leurs entreprises d’Oman, du Kenya, d’Éthiopie, de Malaisie, de Somalie, du Somaliland, de Dubaï, etc., pour investir à Djibouti. Pour d’autres c’est la confiance qui est brisée, puisque rien ne leur garanti dorénavant que les autres engagements seront tenus.

L’idée en filigrane est que certaines entreprises implantées dans la zone franche, où la fiscalité est avantageuse, y réalisent de belles activités, et que dans les circonstances exceptionnelles auxquelles est confronté notre pays, elles devraient naturellement contribuer à une forme d’impôt solidaire… La réforme vise à redistribuer à l’État une partie des sommes générées par les entreprises profitant du régime fiscal de la zone franche. Pourtant, elles font valoir un autre point de vue, et affirment ne pas s’être positionnées en zone franche pour des raisons d’optimisation fiscale mais pour des motifs de compétitivité dans l’offre de produits proposés aux pays de la sous-région. Sans cet avantage, elles se feront laminer par la concurrence régionale sur le commerce des biens de consommation. D’ailleurs cette taxe hérisserait jusqu’aux responsables de la zone franche, soucieux de préserver l’attractivité fiscale de la place de Djibouti et qui n’auraient pas été informés en amont. Selon des responsables consultés, avec un taux de 1%, l’État escompte retirer environ trois milliards de nos francs de recettes fiscales supplémentaires. L’enjeu en vaut-il la chandelle, notamment en termes de réputation ? Pourquoi nuire durablement à une stratégie portuaire et de zone franche construite sur vingt ans, sur un coup de tête ?

Afin de sensibiliser les autorités politiques sur les conséquences à long terme de cette taxe, notamment le risque que des chefs d’entreprises jettent l’éponge et aillent voir ailleurs si l’herbe n’est pas plus verte. Ce n’est pas une vue de l’esprit mais bel et bien un risque possible, aux conséquences financières et économiques, mais aussi pour l’activité portuaire. Ce sont en effet des produits passés par les ports de Djibouti qui sont entreposés en zone franche en attendant d’être réexportés aux clients finaux. Il ne faut pas négliger les inquiétudes sur la durabilité du régime fiscal de la zone franche que ne manqueront pas d’avoir des investisseurs si cette mesure était finalement appliquée.
Les chefs d’entreprises de zone franche étaient réunis en assemblée constitutive hier - samedi 22 janvier - au Sheraton. Ce qui suscite leur incompréhension c’est autant le montant de la contribution que son principe. Ils estiment que l’injonction arrive comme un cheveu sur la soupe, sans dialogue ni sans concertation en amont. « Le gouvernement veut accroitre les recettes fiscales, on peut discuter ensemble de la question : on ne rechigne pas à trouver des solutions partagées. Des propositions ont d’ailleurs été formulée comme par exemple de taxer de 2 dollars supplémentaires les marchandises conteneurisées pour l’année en cours uniquement, ce qui rapporterait pas loin de 10 millions USD. L.’autre stupeur, c’est le fait de revenir sur l’assurance d’une exonération, laissant la porte ouverte à un relèvement à tout moment dorénavant. Il faudrait que les investisseurs soient mise au courant de tous les risques lorsque l’on s’installe ici. Des décisions qui engagent l’avenir de nos sociétés ne devraient pas être prises sans consultation des professionnels concernés », explique lors des débats le président du comité des entreprises de zones franche, Houssein Ramadan Abdi, élu hier en fin de journée avec six autres personnes à la tête du collectif pour sensibiliser le gouvernement sur les dégâts économiques que pourraient provoquer une telle mesure. L’élection des représentants des sociétés installées en zone franche s’est déroulée en présence d’huissier de justice, un groupe sur la messagerie whatsApp a été créé pour informer tous les membres de l’évolution des négociations avec le gouvernement.
Notre rédaction a contacté le ministre du Commerce Mohamed Warsama Dirieh pour recueillir ses commentaires, notre demande est restée malheureusement sans réponse.

Pour l’heure ces entreprises de zone franche demandent la suspension de cette nouvelle mesure, le temps de trouver une solution alternative pour étudier la question dans le cadre d’un dialogue public-privé. Les membres du collectif restent convaincus qu’aucune nouvelle entreprise ne souhaitera s’installer à l’avenir sans garantie d’exonérations tangibles, puisque l’exonération permet à ces entreprises de se développer, de se maintenir à niveau face à la concurrence en jouant sur les prix attractifs et la disponibilité des produits. D’ailleurs a été adopté à la fin de la réunion les différents points de convergence pour la formulation du plaidoyer auprès des représentants de l’État dont il appartiendra au comité de sensibiliser sur ces questions cruciales pour le développement et le rayonnement portuaire du pays. Seront-ils se montrer convaincants et suffisamment écoutés pour essayer de retourner la situation, l’avenir nous le dira !

Mahdi A.

Principales questions posées par la nouvelle loi
1. Cette loi va à l’encontre des règlements antérieurs de la zone franche, que chaque entreprise a signé lors de son établissement.
2. Cette loi va à l’encontre du principe de la zone franche. Si des taxes sont applicables, il ne s’agit plus d’une zone franche au sens des normes internationales.
3. La zone franche de Djibouti est en concurrence avec d’autres zones franches régionales (Dubaï, Berbera, Ethiopian dry port, Mombassa etc.), donc toute charge ou coût supplémentaire ne sera pas en faveur des zones franches de Djibouti.
4. Il pourrait y avoir un impact important sur l’approvisionnement alimentaire. En cas d’augmentation du prix des zones franches de Djibouti, les Éthiopiens s’approvisionneront directement à l’étranger, sans passer par Djibouti.
5. Les nouveaux investisseurs risquent d’éviter définitivement Djibouti à cause des taxes.
6. Les entreprises de la zone franche de Djibouti pourraient être amenées à réduire leur volume d’affaires et travailler avec des stocks en juste à temps afin d’éviter les taxes. Cela diminuerait le besoin d’entrepôts en zone franche.
7. Cette loi peut avoir un impact important sur l’emploi local, car chaque entreprise de zone franche a des employés directs, mais génère aussi des emplois indirects comme les chauffeurs, les dockers, etc.
8. Avec cette loi, les entreprises de zone franche seront soumises à une taxe de 1% sur le chiffre d’affaires. Or leur marge bénéficiaire est très faible. Elles seront donc taxées comme les entreprises locales qui n’ont pas à supporter les coûts importants associés à la licence et l’entrepôt en zone franche, entre 60 000 et 100 000 dollars par an selon la taille de l’entrepôt.
9. Pour les investisseurs, un pays stable avec une visibilité fiscale claire est la clé du succès d’une entreprise de zone franche. Il peut apparaître souhaitable que Djibouti conserve ces avantages.


[1Loi n142/AN/21/8eme L.

 
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