A l’heure où nous publions cet article, nous avons souhaité adresser nos chaleureuses félicitations et sincères encouragement à Youssouf Abdourahman Khalib pour l’ouverture de sa pâtisserie « Hodane » située à la place d’Ambouli. Youssouf Abdourahman Khalib est un homme pressé, travailleur et programmé comme une horloge suisse. Connu de tous, il ne passe pas inaperçu. Il a su se forger un métier, une place et un nom. Infatigable marcheur, il arpente les différentes rues de la capitale. gé de 39 ans et père de 10 enfants, dont l’ainé a 18 ans et le benjamin 6 ans, Youssouf Abdourahman a bien voulu nous relater sa vie, son parcours professionnel, la genèse et la concrétisation de sa nouvelle pâtisserie. Son portrait rime avec courage, persévérance et détermination.
Youssouf Abdourahman Khalib est mon patronyme, mais mes clients me connaissent sous le nom de « vendeur de cake ». J’exerce ce métier depuis 1985. J’étais l’un des premiers à me lancer dans ce type d’activité, embryonnaire à l’époque et méconnue du public. Mes débuts ont été laborieux car avoir des clients n’était pas une mince affaire loin de là. Je ne savais pas si ça allait marcher ou pas. Ma seule force était ma foi et les forts liens qui me liaient à Allah.
Mes débuts...
Désirant exercer le métier de vendeur de cakes et ne sachant pas comment m’y prendre, j’ai décidé un bon matin d’aller voir le patron de la boulangerie Ahmed Aouled située au croisement de l’avenue 26 et la rue des Issas pour lui proposer un deal. Le but était de le convaincre de me faire confiance notamment en me fournissant chaque matin des gâteaux que je vendrais et en contrepartie, je n’avais aucun franc en poche et cela peut paraitre invraisemblable. J’ai tenté car je n’avais rien à perdre. Ne dit-on pas « qui ne tente rien n’a rien » ? Alors, j’ai osé. Sa réponse m’a agréablement surpris car il venait d’accepter ma proposition. A la fois content et fier de la confiance qui m’a été témoignée, j’ai compris depuis ce jour que chacun a son destin en mains et peut donner le sens qu’il souhaite à sa vie. Vous savez mes débuts étaient pénibles car je sillonnais en marchants les différents quartiers de la capitale notamment 1, 2, 3, 4, 6, Einguella 1 et 2, le centre ville. Je ne vendais qu’une seule variété de gâteau que me proposait la boulangerie. Au début. Je commandais entre quinze et vingt cakes selon le jour de la semaine, j’augmentais graduellement suivant la demande. Ma journée de travail commençais après la prière du matin et se terminait à 17 heures et ce de manière continue et par n’importe quel temps. Dans la même journée, je faisais plusieurs tournées et à la fin de chacune d’elle, je retournais à la boulangerie pour commander d’autres gâteaux. Au terme de ma journée de travail et avant de retrouver ma femme et mes enfants, je devais payer la boulangerie. Nous nous étions mis d’accord sur ce principe et il ne fallait en aucun cas déroger à cet engagement. J’achetais et revendais moyennant un bénéfice de 5 à 10 franc par unité vendue.
Concernant mes clients, au tout début, leur nombre était vraiment infime. Ils étaient essentiellement composés de travailleur du petit matin. Au fil des mois, j’ai réussi à fidéliser un plus grand nombre. Il est vrai que ma méthode de vente était peu académique, je doit l’avouer (Rire). Avec une voix parfois hésitante et timide je criais de manière saccadée « Cake Cake Cake ».
Pour attirer la curiosité des passants, je transportais les gâteaux dans des sacs en plastique transparents, pour leur donner envie d’acheter ou de se renseigner sur ce que je vendais. Voyez-vous, pour me rendre d’un quartier à l’autre je me déplaçais en marchant. Je n’avais pas les moyens de m’acheter une bicyclette qui aurait pu me faciliter grandement la vie, mais encore aurait-il fallu que je sache pédaler à l’époque (Rire). Je dois vous avouer que j’ai rencontré des difficultés et pas des moindres. Vous savez, il m’arrivait en pleine journée de me faire agresser, brutaliser et même voler par des voyous ce que j’avais gagné à la sueur de mon front. C’est vraiment démotivant, décourageant, voire rebutant. Cependant, ma réaction était différente car je ne devais pas m’apitoyer sur mon sort ni décevoir ceux qui en premier avaient cru en moi et m’avaient soutenu, à savoir la boulangerie, ma famille et mes fidèles clients. J’ai donc décidé de continuer à exercer cette activité quoi qu’il arrive. En choisissant ce métier je savais que ce n’était sans doute pas le plus aisé, ne serait-ce qu’au vu du nombre de tournées qui m’attendaient.
Le tournant...
En 1999, la hausse des prix des denrées alimentaires notamment farine, sucre et autres, a contraint les boulangers à accroître leurs prix. Résultat, j’ai du me résigner à mettre en terme temporairement à mon activité : je ne pouvais répercuter cette hausse sur les prix par crainte de perdre des clients. Durant les trois années qui ont suivi, j’ai exercé d’autres métiers journaliers pour subvenir aux besoins de ma famille. Au terme de ces trois années et constatant que la flambée des prix s’estompait, j’ai repris du service fin 2002 parce que le marché de la pâtisserie prenait de l’ampleur et ce métier est le seul que je puisse maîtriser parfaitement. Cette fois-ci les difficultés ont été moins importantes bien qu’elles existaient. Il fallait reprendre à zéro et retrouver certaines habitudes que j’avais perdues, en particulier le rythme soutenu du travail. Je m’y étais préparé et je ne redoutais aucun obstacle si ce n’est certaines appréhensions sur la façon dont allaient m’accueillir mes clients, est-ce que j’arriverais à me faire une place, rencontrerais-je des sérieux concurrents, etc.?
Nouvel élan...
Cependant des changements apparents sont survenus tant sur le plan politique, qu’économique et social. J’ai aussi du malgré moi quitter mon premier partenaire-fournisseur car nous étions en divergence sur les prix pratiqués. J’ai du donc me résoudre à chercher d’autres pâtisseries qui accepteraient de m’approvisionner. J’ai réussi sans difficulté à trouver trois pâtisseries connues et pas des moindres : la pâtisserie d’Ambouli de Saada, celle de Habibo Ali et celle de Madame Nabil. Ces dernières à elle seules, détiennent plus de 60% du marché national. Grâce à ces nouveaux partenariats, j’ai pu alors proposer différentes variétés de gâteaux : les gâteaux secs et ceux avec ou sans chocolat. Je les achetais entre 30 et 35 francs et revendais à 40 francs. Je vendais également des viennoiseries (croissants, pains aux raisins ou au chocolat ainsi que de la brioche). Ils me coûtaient 80 franc et je les revendais à 100 francs. Je réalisais une marge de 20 francs sur chaque produit. Voyant progressivement que mon commerce fleurissait, j’ai du accroître mes commandes, passant de 60 à 80, ensuite de 80 à 100, etc. Pour être franc avec vous, je dirais que j’y trouve mon compte car, al hamdoulilah, je réalisais quotidiennement un bénéfice compris entre 3000 et 5000 fdj.
Relation avec les clients...
En reprenant mon activité, j’étais convaincu que j’allais retrouver mes anciens fidèles clients. En effet, contrairement à mes débuts, je me suis fait un carnet d’adresse et de nombreux clients par le biais du bouche à oreille. Il est vrai que j’ai de la chance mais il y a aussi une part d’efforts et de volonté à aller vers les gens, à converser et à répondre à leurs questions, etc. Je distingue essentiellement deux types de clients : ceux qui sont réguliers et fidèles et ceux qui achètent occasionnellement. Il y a aussi ceux qui travaillent dans l’administration publique, le secteur privé et ceux qui n’exercent aucune fonction. Dans leur majorité, je les connais depuis ds nombreuses années, pour d’autres depuis peu. J’entretiens avec eux une relation particulière car il s’est instauré entre nous un climat de confiance réciproque et de respect mutuel. Vous savez, il m’arrive de temps à autre de consentir un crédit qui est remboursé le jour suivant. J’ai appris même à connaître leurs habitudes, leur petites préférences pour telle ou telle pâtisserie ; certains raffolent des pains au chocolat ou des croissants, tandis que d’autres préfèrent la brioche ou encore les gâteaux secs. Je dois reconnaitre aussi que mes clients prennent leur mal en patience : il arrive parfois que je sois légèrement en retard à cause de mes livraisons.
Donner la chance aux autres...
Depuis l’année dernière, j’ai embauché des jeunes issus des différents quartiers de la capitale. Je les ai rencontré en vendant mes pâtisseries. Je ne les connaissais pas particulièrement mais je les voyais tous les jours assis à la même place à discuter entre eux, ils restaient là pendant des heures à ne rien faire. Un jour, je leur ai demandé s’ils étaient intéressés à travailler avec moi, je leur ai expliqué ce que j’attendais d’eux. Après bien des hésitations, ils ont accepté finalement. Je les ai accueilli et appris les ficelles du métier.
Ce qui m’a pousser à aller vers eux, leur parler et proposer mon idée, c’était le fait de les voir livrés à eux même, et ne sachant quoi faire de leur temps. La majorité des jeunes que je croise et avec lesquels il m’arrive de converser, veulent tous travailler pour l’État et être convenablement rémunérés. Je leur rétorque que chaque année, vu l’effectif galopant des fonctionnaires, l’État ne pourra pas garantir indéfiniment à tous un emploi. Une des solutions serait alors de créer sa propre entreprise. Vous savez, ils me surprennent par leurs discours et la manière de concevoir le monde professionnel. J’ai essayé à mon tour de leur expliquer en leur relatant mon parcours et expérience car « travailler est la seule alternative pour s’en sortir, être responsable et ne pas dépendre des autres. C’est par le travail qu’on peut réaliser un projet qui nous tient à cœur ». Mon discours les a séduit. Je leur ai donné la possibilité de rompre avec l’oisiveté et de sortir enfin du cercle vicieux du chômage.
Je dirais qu’ils ont plus de chance que moi, car personne ne ma tendu la main, à moi. Personne n’est venu vers moi pour me conseiller. Je me suis débrouillé tout seul. Je leur répète souvent qu’ils doivent saisir chaque opportunité qui se présente à eux car la chance ne sourit qu’une fois. Actuellement, ce jeunes sont au nombre de sept et, comme à mes débuts, ils font plusieurs tournées dans la journée. Chaque matin, ils passent à mon domicile pour récupérer la quantité de pâtisserie qu’ils ont commandée la veille. Chacun d’eux est originaire d’un quartier de la capitale et est chargé de vendre dans son propre quartier. De cette façon, ils couvrent l’ensemble de la ville. Ils réalisent entre 5 et 10 franc de bénéfice sur chaque produit vendu. Parmi ces jeunes, certains sont mariés et ont mêmes des enfants. Grâce à leur métier, ces pères subviennent aux besoins de leur famille. A la fin de la journée certains d’entre eux viennent me parler de leur expérience. Ils ont la sensation d’être utiles dans la société et peuvent maintenant aider leurs proches même s’ils ne gagnent pas des mille et des cents. Ces paroles et ces confidences m’ont d’avantage donné encore plus de volonté et encore plus de détermination pour réaliser ma propre pâtisserie, que j’ai dénommé « Hodane ».
Nouvelle perspective, nouveau projet...
L’envie de créer ma propre entreprise a progressivement pris forme. Effectivement, l’idée d’être mon propre patron m’animait intensément. Je l’avais dans un coin de ma tête depuis le premier jour où j’ai commencé ce métier. Elle a refait surface depuis plusieurs mois. Bien que je sois dans ce milieu depuis vingt et un ans et que je connaisse parfaitement les rouages de la pâtisserie, de la préparation à la commercialisation, encore fallait-il avoir les moyens financiers nécessaires pour ce lancer dans ce type d’activité. Grâce à Dieu, un ami m’a aidé en me prêtant 30% du total du financement, soit un montant de 300 000 fdj, et le reste du fond de départ était constitué de mon apport personnel. Après avoir réglé la question du financement, il fallait trouver le local. Et c’est encore grâce a une connaissance que j’ai pu dénicher un local situé à la place populaire d’Ambouli. Il s’agit d’une ancienne boutique qui avait été fermée depuis peu et dont le propriétaire recherchait un repreneur. Bien évidement, j’ai tout de suite saisi l’occasion car il est idéalement situé dans une zone éloignée de toute concurrence. De plus, il est stratégiquement placé, à proximité d’un carrefour, du marché d’Ambouli et d’une place de stationnement de bus.
Par ailleurs, il a nécessité quelques travaux d’intérieur que j’ai moi même effectués, notamment une réorganisation interne, de la peinture et des aménagements. Je l’ai également équipé entre autres de nouveaux éclairages, de tables, un comptoir, de réfrigérateurs, d’étagères, etc. J’ai acheté aussi de nouveaux matériels et entamé les démarches nécessaires auprès de l’EDD pour le branchement du courant électrique.
Pour le compte de la pâtisserie Hodane, j’ai embauché quatre employés expérimentés : trois hommes et une femme pour s’occuper de la préparation de la cuisson et de la vente.
Vous vous interrogez sans doute sur les nouveautés que je compte offrir : alors laissez moi vous dire que je proposerai à ma clientèle une large gamme de produits, unique en son genre et avec quelques spécialités faites maison que je suis le seul à connaitre (Rire). Je vous invite à venir déguster et apprécier mes diverses pâtisseries. Je compte également me lancer dans les gâteaux à la crème avec différents parfums, les petits fours, mais également les gâteaux de mariage accessible à tous les portefeuilles. Il s’agit d’un beau challenge et je peux d’ores déjà vous assurer que des clients ont passé commande. A mon tour maintenant de ne pas les décevoir et d’être à la hauteur de la confiance qu’ils ont placée en moi.
Bien que je sois mon propre patron, je ne peux abandonner le travail sur le terrain ni même le déléguer à quelqu’un d’autre. Je continuerai à sillonner les quartiers et ce encore quelques années si Dieu le veut, pour le moment je m’en sens le courage.
Quel message je souhaiterais faire passer aux jeunes, vous voulez savoir ? Je leur dirais tout simplement que chacun peut gagner sa vie et s’en sortir s’il a la volonté et l’envie. Il doit faire le premier pas, ne compter que sur lui-même et ne pas attendre qu’un miracle se produise. Être acteur de sa vie, de son évolution et non simplement spectateur. Il n’y a pas de secret ni de recette toute faite pour créer sa propre entreprise, si ce n’est l’imagination et l’audace.
Fixer vous des objectifs réalisables et à votre portée. Si vous avez un projet a réaliser, je ne peux que vous encourager : « tentez-le, tentez-le, tentez-le ».
Abdoulrazak Mahamoud Djibril