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Muse Bihi Abdi à Djibouti
par Mahdi A., décembre 2020 (Human Village 40).
 

Muse Bihi Abdi a été accueilli, mercredi 23, à l’aéroport international de Djibouti par le ministre de l’Agriculture, de la pêche, de l’élevage et des ressources halieutiques, Mohamed Ahmed Awaleh. Cette visite intervient dans la foulée de la tenue à Djibouti du 38e sommet des chefs d’État de l’IGAD au Kempinski. Il avait réuni les pays membres, à savoir l’Éthiopie, la Somalie, le Kenya, et le Soudan, représentés respectivement à ce sommet de l’IGAD par le Premier ministre Abiy Ahmed Ali, le président Mohamed Abdilahi Mohamed, le président Uhuru Kenyatta et le Premier ministre Abdallah Hamdok. Quant au Soudan du Sud et l’Ouganda, ils étaient représentés par la vice-présidente de la République, Mme Rebecca Nyandeng de Mabior et l’ambassadrice Rebecca Otengo.

Le président Ismail Omar Guelleh en recevant Musa Bihi à Djibouti a pour objectif de se faire le relais des plaintes du gouvernement fédéral à l’encontre des agissements de la région considérée comme frondeuse par Mogadiscio. Ces plaintes concernent l’aggravation de la crise entre le Kenya et la Somalie, à la suite de la visite officielle du président Musa Bihi à Nairobi, et les difficultés d’organisation d’élections générales en Somalie, dont le gouvernement souhaite qu’elles se déroulent en février 2021 dans l’ensemble des États fédérés, Somaliland compris.
Ce point est déterminant autant pour un espoir de paix et de réconciliation, que pour la refondation de la souveraineté et de l‘intégrité territoriale de la Somalie dans ses frontières de 1960. L’importance de cette échéance a été rappelée le 23 novembre 2020 aux membres du Conseil de sécurité par, James Swan [1] et son homologue de l’UA Francisco Caetano José Madeira [2] : « La Somalie devra, au cours des prochains mois, prendre des décisions déterminantes : un processus électoral pour choisir le Parlement et le président ; une transition en matière de sécurité pour que les Somaliens soient en mesure d’assumer la responsabilité dans ce secteur d’ici à la fin de 2021 ; et des priorités urgentes pour la réponse humanitaire et les réformes économiques. [3] ».

Ismail Omar Guelleh aura du fil à retordre durant la visite prolongée de Muse Bihi ces prochains jours pour remettre sur les rails le processus en vue de l’organisation de ces élections nationales au Somaliland. Sur cette question centrale, sa médiation tentera de rapprocher les points de vue sur des questions telles que le nombre d’élus nationaux dévolus à Hargeisa, la composition des organes électoraux, la négociation sur le quota de femmes au Parlement – pour l’heure envisagé de 30% – les mesures de sécurité concernant le bon déroulement du vote et le dépouillement des résultats. On peut penser que cette crise entre Nairobi et Mogadiscio ne nuit pas à Muse Bihi, qui aborde cette situation en position de force après son coup politique. Ses revendications pour l’État fédéré du Somaliland sont probablement multiples, dépassant le nombre de représentants au niveau national, puisque de facto la participation du Somaliland signifierait très clairement reconnaître l’autorité de Mogadiscio sur Hargeisa. Au moins sur les questions régaliennes comme la défense nationale et les relations extérieures. Ce n’est pas rien, ce serait l’abandon du désir d’autodétermination porté depuis près de trois décennies. Recul ou changement de stratégie pour arriver à ses fins ?
Ismail Omar Guelleh devra rétablir le dialogue qui, malgré des avancée spectaculaires de cette dernière année pour le retour du Somaliland dans le giron de la Somalie, vient de traverser une mauvaise passe. Il devra pour convaincre Muse Bihi, qui souffle le chaud et le froid et s’est employé ces dernières semaines à faire monter les enchères, à mettre sur la table la question des compensations économiques, institutionnelles ou nationalistes. Il lui appartiendra de faire accepter les plus raisonnables par Mohamed Abdullahi Mohamed, dit Mohamed Farmaajo.

À l’issue du premier entretien entre les deux responsables politiques, voici comment Mahmoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères djiboutien, résumait la situation sur les ondes de la RTD le 23 décembre : « Le président de la République du Somaliland, Musa Bihi, est venu à Djibouti dans le cadre d’une concertation et des consultations habituelles, et je crois que Djibouti joue son rôle de pays qui essaye dans la région d’être un pays d’encrage de la paix et de la stabilité. Le dernier sommet de l’IGAD qui s’est tenu à Djibouti en est l’illustration. Aujourd’hui nous allons essayer d’apporter la tranquillité et l’apaisement en Somalie et dans la région. Demain une délégation militaires et diplomatique va se déplacer en Somalie pour pouvoir évaluer la situation à la frontière à Beleyd Xawa et puis aller vers Mandera c’est un mandat qui lui a été confié par les chefs d’État de l’Igad. Donc Djibouti va dépêcher cette mission à la frontière entre la Somalie et le Kenya.
Toujours dans le même esprit, il est important que dans la région qui vit des situations de crises sporadiques, parfois profondes, parfois plus relatives, que le pays siège de l’Igad, Djibouti, joue ce rôle prépondérant dans la stabilisation de notre sous-région.
Il y a bien évidemment au-delà de la paix et de la sécurité des discussions importantes entre le Somaliland et la République de Djibouti, notamment en matière d’assistance en développement, et le Somaliland a besoin de l’aide de Djibouti pour un certains nombres de choses, et Djibouti apporte son soutien en fonction et selon ses moyens disponibles. Nous allons travailler avec eux dans le domaine de l’eau. Le Somaliland a sollicité l’expertise de Djibouti pour les questions d’approvisionnement de l’eau pour la ville de Haigeisa. Il y a aussi la question de la voie entre Loyada et Zeyla, sur lesquelles les discussions ont porté entre les présidents Guelleh et le Bihi. Nous avons aussi discuté du flux du trafic à la frontière sur la question du double handling, des camions sont chargés et rechargés, tout ceci pour que les populations qui vivent des deux côtes de la frontière puissent avoir les services nécessaires, faire le commerce sans avoir trop d’entraves et de difficultés particulières et permettre à ces populations d’avoir un cadre de vie beaucoup plus acceptables et décent ».

Mohamed Abdirizak Mohamud, ministre somalien des Affaires étrangères, a été le premier à dévoiler l’information – ne figurant pas sur le communiqué final du 38e Sommet de l’Igad - sur la création d’une commission pour l’établissement des faits sur les différends entre le Kenya et la Somalie survenus dans les localités frontalières de Beleyd Xawa et Mandera, en vue de proposer des solutions pour rapprocher les deux parties : « Les chefs d’État de l’IGAD ont fait pression sur nous [Somalie] pour désamorcer les tensions et résoudre le problème avec le Kenya. La Somalie a accepté de rétablir les relations diplomatiques avec le Kenya, mais a formulé la condition qu’un comité d’enquête soit désigné pour faire la lumière sur la situation à la frontière », a-t-il déclaré aux journalistes à Mogadiscio lundi 22 décembre dernier [4].
Il faut se rappeler les propos tenus par Mahmoud Ali Youssouf, le 29 février 2020 au Palais du peuple [5]. Ils permettent de mesurer l’engagement de plus en plus marqué de notre diplomatie pour faire taire les armes, stabiliser la région et privilégier le dialogue pour régler les litiges : « Je suis dans la cuisine de la Corne depuis plusieurs années. Je peux vous assurer que Djibouti n’a jamais été aussi présente dans la scène régionale. Jamais ! Vous êtes isolé lorsque vous perdez un intérêt particulier dans une certaine alliance. Notre ligne politique, c’est la cohérence. Cette cohérence a un prix… mais si vous ne perdez aucun intérêt, vous restez un pays qui a des principes, une ligne de conduite dans sa politique étrangère. Les Anglo-saxons appellent cela la consistance. C’est-à-dire la cohérence dans la politique étrangère, et cette cohérence n’est pas facile. Vous êtes obligé en permanence de faire l’équilibriste. […] Et cette cohérence nationale qui fera que nous allons traverser tranquillement toutes ces zones de turbulences et les tempêtes politiques dont l’on nous dit qu’elles peuvent survenir. La preuve vous l’avez, nous sommes un pays stable politiquement depuis vingt ans voire plus. Est-ce que l’on dira la même chose des pays voisins ? ».

Mahdi A.


[1Représentant spécial pour la Somalie du secrétaire général de l’ONU et chef de la Mission d’assistance des Nations unies en Somalie (MANUSOM).

[2Représentant spécial pour la Somalie du président de la Commission de l’Union africaine et chef de la Mission de l’Union africaine dans ce pays (AMISOM).

[5Lors de la conférence sur la place de Djibouti et le rôle de la diplomatie djiboutienne, organisée par DERE.

 
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