Comme dit le dicton, « tout vient à point à qui sait attendre » ! Même s’il a mis le temps, le gouvernement a finalement sorti de sa boite à outils des mesures multisectorielles conséquentes, et jusqu’alors inédite sous nos cieux, pour amortir le choc économique engendré par la crise du coronavirus. Ces nouveaux dispositifs sont sanitaires, économiques et sociaux. Ils visent à soulager les travailleurs, les plus vulnérables, et les entreprises. Par leur ampleur et leur diversité, ces mesures créent la surprise et renvoient l’image d’un gouvernement conscient des périls, qui a retroussé ses manches et va au charbon pour préserver les siens. A la bonne heure !
Cette série de mesures sans précédent vient à point nommé pour amortir le choc de cette maladie imprévisible sur notre société. Comme le souligne le rapport de suivi de la situation économique de la Banque mondiale publié le 16 avril 2020, « après avoir enregistré un taux de 8,4% en 2018 et de 7,5% en 2019, la croissance devrait ralentir et tomber à 1,3% en 2020, contre une projection initiale de 7,5%, la machine économique étant à l’arrêt pendant des semaines en raison de l’épidémie de Covid-19. […] Bien qu’il soit tôt pour évaluer l’impact économique global de ces mesures, les simulations gouvernementales indiquent qu’elles pourraient coûter 0,75% du PIB par semaine de confinement général pour une période de 8 à 10 semaines nécessaire pour aplanir la courbe ».
Indéniablement la crise sanitaire et le confinement pèsent énormément sur l’économie. Plusieurs scénarios sont envisagés pour évaluer et anticiper ses conséquences néfastes sur le tissu entrepreneurial et social.
Selon les prévisions, le PIB diminuera de 1,5% à 3% cette année, soit la pire performance depuis 2009. Ces hypothèses reposent sur plusieurs variables, mais le temps de confinement est la plus importante. L’économie repartira d’autant plus vite que la période de mise à l’arrêt sera courte. L’incidence sur l’emploi est considérable selon les données contenues dans le Pacte national solidaire publié le 13 avril 2020 par le ministère de l’Économie et des finances. Dans l’hypothèse privilégiée par le gouvernement, avec une fin du confinement mi-mai, « la perte d’emploi est estimée à au moins 33 754, dont 20 000 dans le secteur formel et 13 754 dans l’informel et qui impactera au moins 168 778 personnes vivant dans des ménages ». Les secteurs qui détruiront le plus d’emplois, et les plus affectées par la fermeture des frontières et le confinement, sont l’hôtellerie et la restauration, les transports aérien et urbain, le tourisme (agence de voyage…), le BTP, les commerces de détail, et plus généralement les micro-entreprises et PME.
Trois scénarios – confinement limité, confinement strict, confinement prolongé – analysent les conséquences possible de différentes situations :
– Maintien de la croissance économique dans les secteurs stratégiques, mais forte baisse dans les secteurs directement impactés par un mois de confinement. La croissance atteindrait à 3,4% sur l’année. Environ 30 000 emplois seraient menacés à court terme soit 3,4 milliards FD de masse salariale.
– Faible croissance (1,5%). Environ 35 000 emplois sont menacés à court terme, pour une masse salariale totale de 4,2 milliards FD. Les secteurs durement touchés sont : hospitalités, BTP, services et transports urbains.
– Entrée en récession (- 3,8%), avec une baisse d’activité dans les secteurs stratégiques (-75%) sur les deux mois de confinement et contractions massives dans les secteurs touchés par les politiques de confinement. Avec 40 000 emplois menacés à court-terme, soit 5,1 milliards.
Cette analyse détaille aussi les incidences budgétaires, notamment des baisses de recettes fiscales et non fiscales qui pourraient s’élever à 18,2 milliards FD (100 millions de dollars), pour des recettes de 61,3 milliards FD Cette situation des comptes publics a contraint le gouvernement à procéder à des coupes dans des dépenses de matériels et d’investissements de 6 milliards. « Le besoin net de financement serait donc 23,4 milliards FD soit 132 millions de dollars ». Le déficit budgétaire passerait à 34,3 milliards (193 millions de dollars), soit 7% du PIB, en conséquence des actions multisectorielles entreprises pour répondre à la pandémie du Covid 19.
Pour le filet social, l’État dépensera 4,2 milliards (30 millions de dollars), notamment pour augmenter la dotation du FSN (2 milliards), soutien aux ménages avec prise en charge partielle ou totale des factures EDD et ONEAD (1,2 milliards), constitution d’un stock stratégique alimentaire pour éviter une rupture du stock alimentaire (1,7 milliards). Le cout de l’aide à la population flottante estimée à 150 000 personnes en extrêmes précarité serait en cours d’évaluation.
Les mesures sanitaires avoisineront 5 milliards FD (30 millions de dollars), ventilées dans l’installation de centres de quarantaine, la réponse sanitaire rapide et immédiate, le déploiement des dispositifs de prévention et sensibilisation, l’acquisition de kits de test rapide pour 500 000 personnes, l’équipement en masques, produits d’hygiène…
Le plan de soutien direct aux entreprises et travailleurs touchés par la crise est doté de 6 milliards FD (34 millions de dollars), en plus du report jusqu’au 15 juillet des prélèvements dus aux impôts. Il doit permettre aux entreprises de conserver des liquidités et leur éviter la faillite. Cependant, reporter les échéances dans le temps n’arrangera pas la situation du secteur privé à long terme. L’effacement de l’ardoise aurait le mérite de lui donner une véritable bouffée d’oxygène.
Cette action d’envergure se décline en plusieurs axes pour protéger l’emploi, comprenant l’accès des sociétés à du crédit avec la mise en place d’une ligne de garantie partielle Covid-19 (GURMAD-DEERO) (1,5 milliard) ; des mesures appuyant en liquidité les petites entreprises (2 millards) ; la prise en charge partielle, le report ou l’annulation des factures dues à Djibouti Telecom, EDD, ou ONEAD (2 milliards) ; et la prise en charge des cotisations sociales patronales des entreprises touchées par le confinement qui s’engagent à maintenir les salaires du personnel (0,5 milliards).
Le ministre, Ilyas Moussa Dawaleh, et le gouverneur de la banque, Ahmed Osman Ali, ont par ailleurs obtenu dans le cadre d’un dialogue avec les institutions bancaires le 7 avril, que ces dernières appuient les entreprises, les clients privés et les particuliers qui n’arriveraient pas à payer leurs traites.
Mais la mesure la plus spectaculaire pour aider les entreprises qui maintiennent en poste leurs employés n’a été annoncée que tout récemment, - mercredi 29 avril - avec la garantie que « pendant la période d’activité partielle, le salarié perçoit une indemnité compensatrice de sa perte de salaire à hauteur de 70% de son salaire brut antérieur. Cette indemnisation est financée par l’État à hauteur de 30% de la rémunération brute du salarié placé en activité partielle. Les 40% restant sont financés par l’employeur. L’indemnité au titre du présent article ne doit, en aucun cas, être inférieure par l’employeur » [1].
Concrètement, il s’agit d’une subvention temporaire accordée par l’État pour une période de trois mois (mai-juin-juillet) aux employés des petites entreprises admissibles. Pour bénéficier de ce soutien, les dirigeants de la société devront s’engager à maintenir en poste leurs employés, et être à jour de leurs cotisations sociales ou redevances aux impôts - cependant, il faut savoir, la possibilité offerte par les pouvoirs publics d’un aménagement de ces prérequis tenant compte d’un engagement sur l’honneur du contrevenant à régulariser ultérieurement sa situation fiscale, cette mansuétude permet l’accès au plus grand nombre au dispositif d’aide. Ils auront jusqu’au 15 du mois en cours pour formuler le dossier de demande de soutien auprès du ministère du Travail, chargé de la reforme de l’administration.
Le gouvernement s’engage dans une incroyable entreprise de solidarité à l’égard du secteur privé. Il était très attendu, et il faut reconnaitre que le défi a été relevé au-delà des attentes. Mais des questions se posent. Comment le pays compte t-il financer ses mesures exceptionnelles ? L’État dispose-t-il de données lui permettant de mesurer le coût des nouvelles actions en faveur de l’emploi ? Compte-t-il aussi assumer la prise en charge partielle des 6000 travailleurs assujettis à la convention des agences privées d’emploi (APE), employés dans les bases militaires, les Nations unies, ou les ambassades ? Interrogé sur ce point lors de l’édition spéciale de la RTD cette nuit - samedi 2 mai -, le manager de la société d’emploi Halt, Said Del Wais, dont 1300 salariés ont été mis à l’arrêt le 22 mars à la suite des consignes sanitaires adoptées par le camp américain de Lemonnier, a expliqué que les institutions diplomatiques et militaires ne sont pas concernées par ces mesures d’aides au secteur privé national, car celles-ci dépendent d’un régime spécial, extraterritorial. Il n’a cependant pas caché sa crainte quant à la suite de l’employabilité des travailleurs djiboutiens sur la base américaine. Il a indiqué que malgré les relances effectuées auprès des responsables militaires, aucune garantie n’a été formulée sur un retour à la fin de l’urgence sanitaire militaire, décision d’ailleurs indépendante de la levée du confinement sur le territoire par le gouvernement. La base américaine pourrait rester confinée encore longtemps. Selon les termes de son contrat avec l’armée américaine, Halt s’acquitte du versement des salaires et est remboursée le 60e jour échu. Cette situation inquiète Said Del Wais, qui n’a aucune information officielle sur les conditions de la mise en quarantaine de la base. Il ne sait pas si les onze jours de salaires de mars non effectués, soit près de 500 000 dollars, seront payés par son contractant, ni les plus de 192 millions de nos francs que sa compagnie versera à partir de demain pour les salaires d’avril, bien que les travailleurs soient confinés. Il a mentionné avoir alerté le gouvernement, notamment les ministres des Affaires étrangères, Mahmoud Ali Youssouf et du Travail, chargé de la reforme de l’administration, Isman Ibrahim Robleh, sur cette question. Malgré la bonne volonté des banques, ces dernières ne pourront pas indéfiniment accompagner son entreprise ni les autres sociétés d’emploi, sans un éclaircissement indispensable sur le régime des APE. La balle est du côté de l’État, qui devra s’engager diplomatiquement, comme en 2013 lors de la grève des travailleurs du Lemonnier pour sauver les revenus de ses administrés pris dans la tourmente du covid-19.
Mahdi A.
[1] Arrêté 2020-49/PR/MTRA relatif aux conditions d’attribution de l’indemnité compensatrice aux salariés et de l’allocation aux entreprises durant la pandémie du Covid-19, article 4.