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La Banque africaine de développement à Djibouti
 

Sous la conduite de monsieur Koné Solomane, spécialiste en chef économie, une délégation de la Banque africaine de développement a effectué une visite de travail à Djibouti de quinze jours au cours du mois d’octobre 2010 pour se rendre compte de l’état d’avancement des différents programmes en cours d’exécution et ceux en préparation, et pour vérifier leur adéquation avec les besoins exprimés par les bénéficiaires. Bien que beaucoup de choses restent encore à faire, les experts de la BAD sont globalement satisfaits du travail déjà réalisé. C’est ce qu’explique l’économiste Koné Solomane dans l’interview ci-après.

Vous êtes de passage à Djibouti dans le cadre du partenariat qui lie la République de Djibouti et la Banque africaine de développement (BAD) mais, pour la plupart des Djiboutiens la BAD est assez éloignée, méconnue. Nous avons du mal à savoir sur quoi elle interagit. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu des actions, des initiatives et des accords en cours ou à venir et nous présenter la BAD.

Comme nous le faisons avec tous nos pays membres régionaux, c’est-à-dire l’ensemble des pays africains avec lesquels nous travaillons, les actions de la BAD s’inscrivent dans le cadre de l’assistance à la mise en oeuvre de leurs stratégies de développement. Concernant Djibouti, sa stratégie de développement est l’Initiative nationale pour le développement social (INDS). Sur la base de cette dernière, nous préparons un cadre de coopération et d’intervention. C’est ce que nous appelons dans notre jargon, le Document stratégie-pays.
Pour Djibouti, la stratégie en cours est celle qui a débuté en 2007 et prendra fifi n en décembre 2010. Dans ce cadre, nous agissons sur deux piliers notamment : Le premier pilier est relatif à la promotion du développement local intégré ; Et le second concerne renforcement des capacités axé sur la Gouvernance.
Etant donné qu’on se trouve en fin de période, nous procédons actuellement à l’évaluation de la stratégie, en vue de dégager des enseignements pour mieux orienter notre prochaine stratégie qui s’étalera sur une période de 3 à 5 ans.
Ce que nous avons eu à noter dans le cadre de cette stratégie qui s’achève, c’est que notre coopération avec Djibouti est dynamique.
En effet, rien que sur la période 2008-2010, on a pu engager un volume de financements pour plus de 130 millions de dollars, qui ont été répartis dans les secteurs des infrastructures - eau, assainissement, énergie - mais également dans le secteur social notamment pour appuyer le développement local et les actions de réduction de la pauvreté. Nous avons aussi fait des interventions d’urgence, notamment pour répondre à la crise alimentaire et à la sècheresse. Ce qu’il faut par ailleurs noter est que nos interventions ont surtout visé le secteur privé, notamment les activités portuaires au niveau du port de Doraleh, autour de 80 millions de dollars.
D’ailleurs, le secteur privé représente un peu plus de 50% de notre portefeuille actif, c’est-à-dire l’ensemble des projets financés par la BAD et qui sont en cours d’exécution à Djibouti.

Je suis un peu surpris parce que je savais que la BAD avait un volet privé, mais ce qu’on voit en général c’est une coopération avec l’État. On a l’impression que le secteur privé est sous représenté et n’est pas suffisamment appuyé ce qui peut paraître surprenant d’ailleurs lorsque l’on sait que c’est un secteur créateur d’emplois et de richesses.
Nous intervenons dans les deux secteurs, public et privé. Il faut dire que pendant longtemps, les interventions dans le secteur public ont été prédominantes. Toutefois, ces dernières années, les activités du secteur privé de la BAD ont dans l’ensemble pris de l’envergure. Par exemple, avant l’année 2007, les opérations du secteur privé représentaient en moyenne autour de 300 millions de dollars par an. Aujourd’hui, nous sommes à près de 2 milliards de dollars.

C’est donc une politique globale de votre institution qui veut soutenir davantage le secteur privé si je comprends bien ?
Exactement, mais dans un cadre cohérent avec la vision et la stratégie de développement du pays. Dans le secteur public, on essaie surtout de mettre l’accent sur des activités qui vont créer le cadre nécessaire pour le développement du secteur privé. A cet égard, nos interventions ciblent non seulement les investissements physiques mais également par le biais des réformes visant l’amélioration de l’efficacité du secteur public et de l’environnement des affaires. En particulier, nous oeoeuvrons aussi de manière vigoureuse à créer le cadre adéquat à l’intégration économique régionale pour mieux soutenir le secteur privé, notamment par le biais des infrastructures, la gouvernance économique et l’harmonisation des politiques.

Vous aviez parlé tout à l’heure d’un appui conséquent de 80 millions de dollars pour le port. C’est une très bonne chose mais est-ce que vous aidez les PME qui sont aussi créatrices d’emplois et de richesses ?
Vous avez parfaitement raison. Il faut les deux. Il faut aussi bien de gros investissements structurants qui créent le cadre nécessaire que l’appui au développement des PME qui sont source de création de richesses et d’emplois. J’ajouterai qu’il faut aussi aller au delà de ce qu’on appelle conventionnellement les PME vers les micro-entreprises par le biais de la micro-fifi nance qui touche plus directement les pauvres et, par conséquent, la réduction de la pauvreté. Dans le cadre de nos opérations à Djibouti, le Projet de réduction de la pauvreté urbaine à Djibouti (appelé le PREPUD) appui une composante microfinance. S’agissant spécifiquement des PME, notre appui direct se fait généralement à travers les lignes de crédits et le renforcement des capacités, en partenariat avec les banques commerciales locales.
Nous n’avons pas encore d’expérience de ce genre à Djibouti, mais cela n’est pas à exclure dans l’avenir.

Un peu comme l’a fait l’Agence française de développement l’année dernière avec la BCIMR/BRED à Djibouti qui ont ouvert des lignes de crédit et ont fait des opérations de co-prêts ?
Bien sûr ! Dans notre coopération avec Djibouti et dans le cadre de nos consultations avec les opérateurs économiques, notamment dans le secteur privé et le secteur financier, nous nous organiserons sur la manière adéquate de procéder pour développer des initiatives appropriées pour soutenir les PME à Djibouti et ce, d’autant plus qu’une telle option n’est pas exclue du champ de nos activités !

Pour cela, faut-il que vous soyez sollicité par la Chambre de Commerce et le secteur privé de Djibouti ?
Oui, comme j’ai eu à le dire la consultation avec toutes les parties prenantes est capitale. Nous devons aussi être proactifs, notamment en faisant un diagnostic adéquat pour faire l’état de la situation au niveau du secteur et des potentialités qui méritent d’être soutenues, en termes de création de richesse et d’emplois. En effet, il faut souligner qu’au-delà des financements, une partie importante de nos activités en tant que banque de développement vise le conseil, la production et le partage de la connaissance. Dans notre programme d’activités à venir, nous ferons le tour de la situation du secteur privé à Djibouti. Cela fait partie de nos plans parce que nous sommes convaincus que c’est le secteur privé qui doit être générateur de croissance, d’emplois et, en fin de compte, de réduction de la pauvreté.

Dans le prolongement un peu de vos idées, une nouvelle théorie est avancée ces deux dernières années notamment par une zambienne, Dambisa Moyo qui a écrit un livre, L’aide fatale, qui a eu un grand retentissement. Elle remet en cause les actions entreprises par les institutions comme la vôtre. Elle propose une nouvelle forme de développement qui sera plus axée sur ce que vous venez de développer en l’occurrence le secteur privé et non plus le secteur public.
Le secteur public a tendance à récupérer toutes les sommes disponibles pour le développement au profit de l’État freinant par là même le développement du secteur privé. Que pensez-vous de cette théorie ?

Ce n’est pas une théorie, mais plutôt une réflexion et une contribution importante sur l’aide au développement. Vous savez en matière de développement, il n’y a pas de vérité figée et nous sommes tous dans un processus d’apprentissage. A cet égard, les approches et les pratiques en matière d’aide au développement ont beaucoup évolué, avec comme problématique centrale, l’efficacité de l’aide. Sur la base de ce que j’ai dit tout à l’heure, vous voyez bien que notre pratique n’est pas en désaccord. Il faut comprendre que nous appuyons le secteur public dans une optique de développement du secteur privé, à travers la création de l’environnement adéquat. Dans la situation économique de la plupart de nos pays, l’aide est incontournable.
La problématique est qu’il faut rendre l’aide efficace et l’orienter vers des activités qui génèrent le développement de sorte que son importance diminue dans le temps et qu’on puisse s’en passer à long terme. Dans sa structuration, il faut rendre l’aide efficace pour répondre aux défis de développement à moyen et long terme des pays.

Mais, que pensez-vous de son approche qui est assez radicale par rapport à la suppression du don aux Etats ? C’est une approche qui sous-tend que le fait d’appuyer de cette manière le Gouvernement a tendance à mettre ces pays dans la léthargie et à ne pas inciter à créer eux-mêmes leurs infrastructures ou l’incapacité pour eux de pouvoir développer et créer la valeur. Je trouve que l’approche est assez radicale.
Il faut dire que de façon générale l’approche a l’aide au développement évolué. Aujourd’hui, l’accent est mis sur l’efficacité de l’aide, notamment dans le cadre de la Déclaration de Paris. Il s’agit d’un engagement mutuel entre les bailleurs et les pays et d’un cadre de coopération avec des indicateurs de résultat pour essayer de rendre l’aide efficace. L’aide n’est pas à exclure mais il faut accroître son impact sur le développement et le bien-être des populations.
Si vous dites qu’on ne doit pas faire du tout de don, cela veut dire implicitement qu’il faut faire des prêts. Cependant, cela peut comporter des risques pour la soutenabilité de la dette de certains pays, et ceci contribuerait à les étrangler davantage et accroître la pauvreté. Il faut faire la part des choses et aborder chaque cas sous un angle constructif pour mieux orienter nos actions.

On a l’impression que tous les moyens aussi bien matériels que financiers ont été mobilisés pour appuyer l’Afrique mais cette dernière a du mal à se relever. Est-ce que vous, en tant qu’économiste et de par votre expérience, vous pensez qu’il y aurait encore de l’espoir pour le développement de l’Afrique ?
Si je vous disais qu’il n’y a plus d’espoir, alors il n’y a plus même de raison d’être, ce qui est tout à fait contraire à mes convictions !
Ces dernières années, les économies africaines ont plutôt démontré qu’il y a de l’espoir. Les réformes économiques que la plupart des pays africains ont mis en œuvre depuis plus d’une décennie ont contribué à assainir la situation des finances publiques, les cadres macroéconomiques, avec quelques avancées au niveau du climat des affaires dans certains cas. Ces réformes ont permis de soutenir la croissance, de mieux résister aux chocs internes et externes et de faire reculer la pauvreté dans certains cas, même si les niveaux atteints sont en dessous de ce que l’on aurait souhaité. L’Afrique a même mieux résisté à la crise économique mondiale que par le passé. L’Afrique se trouve même dans une position où elle tire la croissance mondiale vers le haut. Evidemment, la BAD a accompagné nos pays dans cette aventure. En résumé, il y a beaucoup d’espoir si nous prenons notre destinée en main, en maintenant le cap des réformes à travers des institutions solides et la pratique de la bonne gouvernance, en innovant et en opérant des choix appropriés en matière de politique économique et d’investissement, y compris en capital humain.

C’est de la matière première que l’Afrique exporte et non de la valeur ajoutée ?
C’est ce qu’il faut changer à travers nos actions de développement.
Quand nous parlons de dynamiser le secteur privé et de créer le cadre nécessaire pour le développement du secteur privé et d’autres actions d’accompagnement, c’est en effet aider les pays à se départir dans ce mode de spécialisation dans les matières premières, et aller vers la diversification et la transformation structurelle des économies par l’industrialisation, le développement des échanges que l’intégration régionale doit pouvoir soutenir.

Pour revenir sur le portefeuille de la coopération entre Djibouti et la BAD, êtes-vous pleinement satisfait de l’évolution et de la capacité d’absorption de la République de Djibouti sur les moyens qui lui ont été octroyés. Est-ce que vous êtes satisfaits grosso-mode de ce portefeuille ?
La BAD a débuté ses opérations à Djibouti depuis 1979. Globalement, nos engagements nets cumulés se situent autour de 340 millions de sollars, dont près de la moitié a été approuvée au cours des cinq ou six dernières années. Cela démontre que la coopération avec Djibouti a connu un dynamisme et se renforce davantage. Nous sommes satisfaits. Nous l’avons même noté dans le cadre de notre exercice d’évaluation de notre stratégie d’intervention et de revue du portefeuille. Bien entendu il y a toujours des efforts à faire de part et d’autre et nous nous attelons à cela de manière conjointe.

Quels sont les secteurs qui sont justement un peu plus en retard ? Est-ce que vous avez des lignes budgétaires qui n’ont pas été épuisées ?
Quand on fait la revue de portefeuille, il ne s’agit pas de voir les lignes budgétaires qui n’ont pas été exécutées, mais il s’agit surtout de voir l’exécution des opérations dans leur ensemble, pour faire ressortir les éléments de blocage. Ce qui dérange aussi bien le pays que nous, ce sont les projets qui prennent des retards importants dans leur exécution. On a globalement deux projets qui sont âgés dans le secteur social, mais qui ont connu un dynamisme dans leur exécution au cours de ces deux dernières années. Notre défi, c’est de faire tout pour clôturer ces deux opérations dans les meilleurs délais.
Notre objectif est que ces projets en question ne soient plus dans notre portefeuille quand nous reviendrons pour la prochaine revue.

Vu qu’on se trouve bientôt à la fin de l’échéance 2010, avez-vous des projets en perspectives ? Est-ce que vous estimez qu’ils seront encore supérieurs aux derniers chiffres que vous avez eus avec la République de Djibouti ?
C’est ce que nous espérons tous et nous devons oeuvrer à cela. Avant de nous engager dans la nouvelle stratégie, nous essayons de voir tout d’abord dans quelle mesure on a pu exécuter celle qui vient de s’achever en vue de tirer les enseignements. Ensuite, en accord avec le gouvernement et dans le cadre de notre dialogue, nous essayons de définir les secteurs d’activités dans lesquels nous allons nous inscrire pour la prochaine stratégie qui, encore, va s’insérer dans le cadre de l’Initiative nationale pour le développement social. Après cet exercice d’évaluation de la stratégie qui s’achève, nous envisageons, au cours de l’année prochaine, la préparation de la nouvelle stratégie qui va porter sur la période de 3 à 5 ans. Tout ceci, on le finalisera avec les autorités et on consultera toutes les parties prenantes.

Est-ce qu’il vous arrive de combiner certains portefeuilles avec plusieurs bailleurs de fonds ?
Bien sûr ! Nous le faisons souvent, notamment à Djibouti. Nous sommes en cofinancement avec d’autres partenaires, en particulier l’Union européenne et le PNUD. De même, un autre projet d’assainissement à Djibouti se réalise aussi en cofifi lancement avec l’Union européenne. En outre, dans le cadre de la lutte contre la sécheresse, nous avons eu à apporter à Djibouti une aide d’urgence en partenariat le PAM.

J’ai une autre question relative au taux d’endettement de la République de Djibouti. Est-ce que vous estimez qu’il est raisonnable ?
Le taux d’endettement est un défi pour Djibouti. Comme vous savez, Djibouti n’est pas éligible à l’Initiative des pays pauvres très endettés (PPTE). Il y a des critères pour y accéder et qui ne s’appliquent pas dans le cas d’espèce. Cette situation amène, à juste titre, le pays à négocier d’autres accords d’allégement de dette, notamment avec le Club de Paris. C’est un défi. Le pays a connu par le passé des moments d’arriérés qui ont contrarié l’exécution des projets. Mais, il faut savoir qu’au cours de ces dernières années, des efforts notables ont été faits dans ce sens. Nous n’avons pas connu des situations d’arriérés chroniques. Ce qui nous a d’ailleurs amené à dynamiser cette coopération que vous avez pu constater à travers les chiffres.
C’est vrai, il s’agit d’un problème, c’est pourquoi, nous intervenons surtout sous forme de dons et non de prêt dans les opérations du secteur public à Djibouti.

Que représente la part des dons sur le portefeuille de 130 millions de dollars que vous nous avez cité ?
Il faut soustraire la part du secteur privé qui est d’environ 80 millions de dollars, le reste est surtout sous forme de dons.

Vous voulez dire près de 50% de ces 130 millions de dollars sont représentés sous forme des dons ?
Exactement. Il faut intégrer également nos opérations multinationales d’intégration régionale. En effet, nous sommes intervenus dans le cadre du projet d’interconnexion électrique Éthiopie-Djibouti, qui concerne le volet secteur public, pour un montant global d’environ 52 millions de Dollars en deux phases : 2004 et 2008. Le montant de la seconde phase a porté sur plus de 24 millions de Dollars. En effet, nous affectons des ressources additionnelles pour les opérations multinationales pour soutenir l’intégration régionale, en plus de nos interventions destinées spécifiquement aux pays.

Propos recueillis par Ahmed Abdourahman Cheik

 
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