Vendredi 24 février, les Djiboutiens sont invités à se rendre aux urnes pour participer aux troisièmes élections régionales et communales de notre pays.
La campagne a démarré depuis un peu plus d’une dizaine de jours, et pourtant personne à Djibouti n’a l’impression que le pays va connaître une élection demain. La population s’est peu déplacée pour suivre les différents meetings des candidats, sans doute à raison puisque l’issue du vote ne fait aucun doute, tant dans les deux régions pourtant réputées frondeuses d’Ali Sabieh ou Obock, que pour l’ensemble des circonscriptions en jeu.
Un réel manque d’engouement pour ces échéances électorales
Une campagne sans souffle, sans véritable enjeu, comme si les Djiboutiens se faisaient une raison, et que par ce désintérêt ils voulaient manifester une certaine déception vis-à-vis de la politique. Certains pensent que le résultat du vote ne changera pas leur vie de toute façon. À écouter les commentaires et les avis des uns et des autres, il ressort que « les hommes politiques du pays restent incapables de s’intéresser aux problèmes quotidiens des habitants et semblent plus intéressés à se servir qu’à servir ». La faiblesse du taux de participation au scrutin n’est pas sans inquiéter les responsables de l’UMP. D’ailleurs notre confrère de La Nation, Ali Barkat Siradj, dans son éditorial du 19 février en vient même à s’en émouvoir et se questionne quant à savoir si « le scrutin régional et communal du 24 février prochain [sera ou non] marqué par un fort taux de participation ? » Il ne cache pas son pronostic, et semble navré du peu d’attrait de cette campagne : « En tout cas, rien n’est moins sûr avec cette campagne électorale plutôt molle et qui peine à susciter l’enthousiasme des foules. Cette année en effet, les champions alignés par l’UMP et par les groupes indépendants ne semblent guère briller par leurs qualités de tribun ni par la pertinence de leurs propositions ». Il impute d’ores et déjà la bérézina à venir, notamment un niveau record d’abstention, à l’amateurisme des candidats présentés par les partis politiques et les listes indépendantes, leur incapacité à défendre leur projet « par des mots convaincants ». Il constate que « jour après jour, le journal de campagne diffusé par la RTD nous montre des candidats qui bafouillent quelques lieux communs quand ils ne scandent pas des slogan creux. (…) Il arrive parfois que, du fait d’un mauvais casting, un bon scénario basé sur une belle histoire donne naissance à un navet (…). Force est de constater que la campagne manque de souffle, que les candidats manquent de talents et d’entrain et que le tout est vaguement ennuyeux » [1].
Les élections sont de ce fait très exposées à l’abstention qui devrait atteindre un pic historique. Mais pourquoi un tel désintérêt ?
La mayonnaise n’a pas pris. Chacun a essayé de convaincre qu’il représentait un vote utile pour le changement. Mais comment les prendre au sérieux lorsqu’ils font des promesses intenables : de nouvelles routes, une police municipale, ne laisser personne sur le bord de la route, la mise en place d’un vaste programme pour la promotion de l’artisanat et la revalorisation du statut de la femme djiboutienne, une meilleure insertion professionnelle pour les jeunes, la réhabilitation du réseau d’assainissement, la création d’aires de jeux en faveur des enfants, ou bien encore de changer les choses face à « l’immobilisme actuel »…
A écouter discourir les candidats sur leurs projets ces derniers jours, on était en droit de se demander s’ils avaient pris la peine de s’informer sur les textes en vigueur relatifs à la décentralisation ou, encore mieux, d’explorer un tant soit peu l’unique ouvrage sur le sujet, celui d’Abdoulkader Hassan.
« Les habitants de la commune attendent de nous un discours de vérité et sont las des mensonges et des promesses non tenues ? C’est pourquoi, par voie de conséquence, je crois qu’il serait justement humain et en tout principe d’honnêteté, de prendre des engagements que nous savons pouvoir tenir », avait pourtant déclaré dans un meeting, Abdellah Habib Abdallah, président du mouvement Nasib. Aucune liste n’a su éviter les promesses sans lendemain, ni les surenchères.
En cas de victoire, comment les listes pourront-elles tenir les engagements pris ?
Elles ne les tiendront pas, tout simplement. Quelle est la réalité ? La décentralisation est entravée par les retards répétés aux transferts de compétence. L’État rechigne toujours à laisser la main aux communes dans la gestion de certaines ressources qu’il juge sensible pour l’économie nationale. Pourtant, l’ambition affichée au départ était de permettre aux populations de prendre en main la gestion de leurs propres ressources…
Les Djiboutiens ne croient pas que ces élections vont changer leur vie. Pour la plupart ils sont conscients que les élus régionaux et communaux n’auront pas la possibilité de réaliser les infrastructures d’utilité publique promises, ni de réduire sensiblement la courbe du chômage, et encore moins de lever des impôts… et donc ils ne provoqueront pas de grands bouleversements, même si, ici ou là, on a pu entendre certains s’exprimer sur leurs problèmes. Comme si cette élection allait résoudre le manque d’eau, améliorer l’accès à l’électricité pour tous, ou permettre de mieux équiper les centres de santé en matériel médical et en personnel suffisants…
Le véritable pouvoir est détenu par l’État central
Le peu d’intérêt de la population pour cette élection pliée d’avance n’a échappé à personne. Ce qui importe pour le gouvernement, c’est le taux de participation.Tout au long de cette semaine, il a essayé de mobiliser au maximum ses nombreux relais associatifs pour rameuter les foules aux meetings — à défaut de militants dévoués et bénévoles pour s’en charger — mais également faire sortir les habitants de leurs quartiers et faire barrage à l’abstention demain. C’est son joker : l’avantage du terrain du fait d’un maillage local des quartiers par des organisations associatives féminines extrêmement efficaces, sous la houlette de l’UNFD.
Si ce n’était pas suffisant, Diwan Azzakat a apporté également sa pierre à l’édifice, notamment en rappelant en filigrane combien le gouvernement est soucieux des plus démunis, en distribuant mercredi 16 février près de « 200 millions de nos francs à près de 2000 familles bénéficiaires de la zakat, 1500 résident dans la capitale alors que pour les cinq régions, 100 familles nécessiteuses ont été inscrites parmi les bénéficiaires pour chaque région » [2].
Enfin, il ne faut pas perdre de vue qu’il y a quand même eu des efforts engagés pour favoriser la décentralisation. Ce n’est sans doute pas suffisant. C’est la raison pour laquelle il faut remettre la décentralisation sur les rails, lui donner une nouvelle impulsion, et faire en sorte que le processus se poursuive, même si des insuffisances et défis sont encore latents. Il s’agira au lendemain du scrutin de poursuivre la réforme de la décentralisation. Et puis, si l’on se fie aux derniers évènements dans le Nord du pays, on ne peut pas nier que les attentes de la population pour ce nouvel essor soient très vives !
Mahdi A.
[1] Voir l’éditorial d’Ali Barkat Siradj dans La Nation du 19 février.
[2] Voir l’article de La Nation du 17 février 2013.