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Pourquoi Al Shebbab menace Djibouti ?
par Mahdi A., avril 2021 (Human Village 41).
 

Le mouvement islamiste Al-Shebbab a diffusé samedi 27 mars, dans une vidéo d’un peu plus d’une vingtaine de minutes, un appel à la population djiboutienne à se soulever pour renverser le chef de l’État, Ismail Omar Guelleh. Cette diatribe s’en prend pêle-mêle à une gouvernance décriée, à un pouvoir en place qualifié de suppôt des forces occidentales qui utilisent des drones pour bombarder depuis Djibouti des pays-frères musulmans, tuant d’innocentes victimes. Plus grave encore serait la trahison du peuple djiboutien à l’égard de la Somalie, nos militaires sont accusés de complicité dans la perpétuation de crimes dont l’objectif serait de s’accaparer les richesses enfouies dans le sous-sol du pays.
Le leader de cette mouvance, Ahmed Diriye, ne mâche pas ses mots et dénonce avec véhémence la présence des forces djiboutiennes – pas loin de 2000 hommes - au sein de la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom).
Son intention est claire : il veut embrigader la jeunesse djiboutienne dans ce qu’il présente comme une noble cause, une sorte de retour de bâton à l’endroit de ceux qui ciblent son pays et plus encore des musulmans depuis Djibouti. Sa cible est toute désignée : Américains et Français. Pareillement, il encourage la population à se libérer des chaines d’un régime qui les maltraite, qu’il qualifie d’infidèle accoquiné à des forces apostoliques.

Que retenir de ces proférations ? Le risque est-il réel de le voir s’attaquer à Djibouti ?
Bien que faible, il ne peut, pour autant, être écarté d’un revers de main. Ce qui peut nous réconforter, c’est que le dernier attentat ayant touché notre pays, celui de la Chaumière, remonte à 2014. Depuis rien. Comment l’expliquer ? Sans doute des leçons ont-elles été apprises par nos forces de sécurité, et des mesures ont-elles été prises pour combler les failles révélées par l’enquête ayant suivie cet acte criminel, en débusquant notamment les soutiens dont leurs auteurs ont pu bénéficier. Conscient de la faible capacité des Shebbabs à agir avec leurs seules ressources aussi loin de leur zone d’action traditionnelle, Ahmed Diriye lance un appel au djihad en invitant les volontaires à rejoindre ses rangs en Somalie pour acquérir des techniques de combat et une formation militaire. Pour le moins, cet appel du pied met surtout en lumière l’absence de relais à Djibouti pour mobiliser la population contre les nationaux « inféodés » aux troupes étrangères, au nom de « la justesse » du combat. Dans notre petit pays, où les communautés sont proches les unes des autres, un discours politique radical appelant à des actes sanguinaires contre les « impies » - ou entre djiboutiens - a peu de chance d’être entendu. L’arrestation du jihadiste Peter Cherif, recherché par le parquet antiterroriste français, à Djibouti peu après son infiltration depuis le Yémen dont il fuyait la guerre civile, puis son extradition vers la France en décembre 2018, est la preuve tangible que nos services spécialisés ne badinent pas avec la sécurité des habitants du territoire.

Interrogé dans nos colonnes en 2012 sur les raisons de la participation de troupes djiboutienne au sein des unités de l’Amisom, Mahmoud Ali Youssouf ministre des Affaires étrangères, le justifiait ainsi : « Il faut préciser d’abord que la demande d’envoi des troupes djiboutiennes, dans le cadre de l’Amisom, vient du gouvernement somalien, ensuite de la communauté africaine, à travers l’Union africaine et enfin de la Communauté internationale, qui ont vu les atouts dont disposent les forces djiboutiennes, des atouts qui pourraient contribuer à un meilleur succès de l’action des forces de l’Amisom. Nous sommes un pays qui partage avec la Somalie une langue, une culture et certaines valeurs qui permettront aux forces djiboutiennes de pouvoir faire œuvre utile sur la scène somalienne. Et cela nous a pris un peu plus d’un an pour pouvoir préparer adéquatement cette force militaire de maintien de la paix. Il s’agit concrètement d’un bataillon de 850 soldats qui a été appuyé à travers le programme ACOTA, qui est un programme développé par les Américains pour venir en assistance aux forces africaines projetées dans des missions de maintien de la paix sur le continent africain. Nous avons également l’appui d’instructeurs français qui préparent nos soldats pour le déploiement en Somalie dans le cadre de l’opération de l’Amisom.
Bien entendu, il y a des risques lorsque l’on envoie des troupes en opération ; mais le fait que l’on s’abstienne d’envoyer des troupes ne nous garantit d’ailleurs pas une sécurité interne à toute épreuve. Le terrorisme est un fléau qui n’a pas de frontières, qui ne cherche pas d’excuses pour agir et attaquer là où les brèches existent, et nous savons que tout cela comporte un certain nombre de risques. Mais il faut savoir que la République de Djibouti s’est toujours positionnée sur le dossier somalien comme un partenaire recherchant la réconciliation, la paix et la stabilité pour ce pays. Cela est nécessaire pour Djibouti puisque nous sommes un pays voisin de la Somalie, et la stabilité de la Somalie contribue à consolider notre propre stabilité. »

Le communiqué du gouvernement d’hier - 31 mars - en réaction aux menaces proférées contre notre pays n’indique aucune inflexion de l’engagement de nos troupes en Somalie : « Al-Shabab a régulièrement diabolisé et lancé des menaces directes contre les pays de la région qui apportent un soutien à la Somalie jusqu’à ce que ce pays soit en mesure d’assumer l’entière responsabilité de sa sécurité.
Djibouti est et restera un partenaire fiable, solidaire et engagé de la Somalie et des acteurs internationaux dans leurs efforts pour aider à stabiliser ce pays ».

Est-ce que les forces d’Al-Shebbab se sentent pousser des ailes depuis le retrait militaire des forces américaines de Somalie opéré à la toute fin du mandat de Donald Trump ? Il ne peut être exclu que ce repli stratégique soit compris comme une victoire militaire sur les forces « occupantes ». Et ce d’autant plus qu’il y a peu de chances que Joe Biden fasse machine arrière et décide de renvoyer des troupes à la base aérienne de Baledogle, située à une centaine de kilomètres de la capitale fédérale, Mogadiscio, qui disposait de plus de 800 lits pour un effectif alors, de 500 hommes en armes selon la chercheuse Aline LeBoeuf [1].
L’option la plus probable est l’intensification du soutien aux forces de l’Amisom et de l’armée fédérale somalienne depuis Djibouti et possiblement le Kenya, avec l’utilisation de drones. Cela expliquerait la virulence de la réaction des Shebbabs contre Djibouti, devenu à son corps défendant une sorte de plateforme Amazon des armées, une zone avancée de projection d’opérations militaires internationales contre les grands dangers de ce XXIe siècle : la piraterie, la traite des êtres humains, Al–Qaïda, les Houtis, les Shebbabs, l’État Islamique, la prolifération des armes légères.

Mahdi A.


[1Aline LeBoeuf, « La compétition stratégique en Afrique. Approches militaires américaine, chinoise et russe », Études de l’Ifri, août 2019, PDF en ligne.

 
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